Arabie saoudite : quand des citoyens se mobilisent pour traquer les recrues de Daesh sur internet
Des volontaires saoudiens scrutent la toile pour intercepter des individus radicalisés cherchant à rejoindre l'Etat islamique. Pour ce faire, ils utilisent leur connaissance poussée de l'Islam rigoriste pour démonter les arguments des recruteurs.
Chaque soir après le travail, les membres du collectif Sakinah («tranquillité» en arabe) infiltrent des réseaux de jeunes islamistes radicaux pour empêcher des groupes comme l'Etat islamique de les recruter. Leur arme la plus efficace : une connaissance sur le bout des doigts de l'Islam ultraconservateur qui régit l'Arabie saoudite et dont les extrémistes se servent volontiers pour recruter de nouveaux membres dans leurs rangs.
Abdulrazaq al Morjan, un expert en criminalistique numérique membre de l'association déclare : «L'Arabie Saoudite est le cœur de l'islam [...] et les recruteurs de Daesh ne peuvent pas rivaliser [avec nous] quand il s'agit d'interprétations religieuses.»
Saudi volunteers engage would-be militants on Twitter and steer them away from violent extremism https://t.co/CofcxlepKU
— Tina Fuhr (@TinaFuhr) 30 novembre 2016
Interrogé par le Wall Street Journal, il explique que les membres de Sakinah savent comment dialoguer avec Al-Qaïda et Daesh, comment contester leurs idées avec les bons arguments et comment les décrédibiliser.
Ce collectif indépendant travaille en collaboration avec d'autres organisations du gouvernement de Riyad qui s'est mis en tête de combattre le djihadisme avec ses propres armes, notamment l'islam sunnite radical.
Combattre les djihadistes avec leurs propres armes
En effet, alors qu'une grande partie de l'effort mondial visant à faire face à la radicalisation en ligne met l'accent sur l'incitation des entreprises technologiques à faire plus pour empêcher les terroristes d'utiliser les plateformes de réseaux sociaux pour diffuser leurs idées djihadistes, les membres de Sakinah proposent une approche différente.
Ils engagent carrément le dialogue avec des djihadistes potentiels pour les détourner de l'extrémisme violent à l'aide de la doctrine islamique rigoriste. Pour ce faire, Twitter est leur terrain d'action principal. C'est en effet là que la prolifération des recrutements de Daesh est la plus importante selon eux.
Le groupe Sakinah est composé d'environ 80 personnes, psychologues, experts en technologie de l'information ou encore des spécialistes de l'islam. Presque tous sont des Saoudiens.
L'association a commencé à lutter contre les extrémistes en ligne dès 2003, lorsqu'un jeune bureaucrate du gouvernement, Abdulmunem al Mushawah, s'est mis durant son temps libre à surveiller et à affronter des extrémistes affiliés à des groupes comme Al-Qaïda sur des forums de discussion. Au fil des mois, il a été rejoint par d'autres volontaires.
A la base du fondement de Sakinah se trouvent les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis qui avaient provoqué une intense pression internationale pour réprimer l'idéologie extrémiste et le financement du terrorisme.
Après mai 2003, Riyad a intensifié ses efforts contre le terrorisme, lorsque Al-Qaïda a lancé une campagne de bombardement dans le pays, et encore plus avec la montée de l'Etat islamique, qui a mené des dizaines d'attaques au royaume saoudien depuis 2014.
Dans leurs conversations, les volontaires de Sakinah discutent souvent du principe islamique du djihad, un terme qui signifie «la guerre sainte», mais très souvent interprété de façons divergentes par des groupuscules qui souhaitent orienter la signification du terme en fonction de leurs propres intérêts.
Les membres de Sakinah soutiennent que le djihad ne peut être sanctionné que par des dirigeants et que le meilleur type de djihad est justement celui qui vise à contrer les terroristes qui abusent de la foi islamique en la détournant.
A titre d'exemple, suite aux attaques du métro et de l'aéroport de Bruxelles en mars 2016, les extrémistes se sont jetés sur les réseaux sociaux pour rechercher de potentielles recrues. C'est alors que les volontaires de Sakinah sont intervenus, en suivant scrupuleusement ceux qui avaient exprimé leur soutien aux attaques.
Selon les bénévoles du groupe, dans un tiers des cas, Sakinah parvient à dissuader les individus radicalisés de rejoindre Daesh ou d'autres groupuscules extrémistes djihadistes. C'est ce qui ressort de l'analyse du comportement à long terme des 3 000 personnes avec lesquelles ses membres ont interagi depuis la création de Sakinah en 2003.
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