France

De BHL à la Commission culture du Sénat, les appels à fermer RT France ont le vent en poupe

Les pressions visant à couper les canaux de diffusion de RT France se sont multipliées au fil de l'intervention russe en Ukraine. Les médias mainstream s'en font le relais... en reconnaissant à demi-mot le pluralisme des points de vue présentés.

Connu pour son soutien à diverses interventions militaires occidentales aux quatre coins du monde, Bernard-Henri Lévy (BHL) a appelé les autorités françaises à s'engager sur le front... médiatique. «Tant qu’on est en situation de guerre, on ferme Russia Today [en France]», a ainsi préconisé ce 25 février à l'antenne de RMC, le très médiatique philosophe, qui appelait encore récemment l'Europe à armer davantage l'Ukraine.

Alors que son interlocuteur rétorquait que «fermer un média n'était pas forcément la solution» – cela revenant selon lui à «faire un peu comme Poutine» – BHL a défendu sa position, en référence à des propos tenus en mai 2017 par Emmanuel Macron au sujet de la rédaction de RT France. «Je me rappelle qu’Emmanuel Macron, au début de son mandat, avait dit que ce n’était pas des journaux, mais des organes de désinformation [...]. Si c’est vraiment des organes de désinformation, ce que j’ai tendance à penser, on les ferme», a en effet considéré le philosophe. À qui l'on pourrait rappeler que tous les journalistes de RT France sont pourtant détenteurs d'une carte de presse.

«Si c’est vraiment un organe de propagande, alors on interrompt. On le réouvrira quand cette guerre sera terminée, quand l’Ukraine sera de nouveau debout», a-t-il encore poursuivi.

Suspension ou fermeture : les pressions sur RT France se multiplient

La volonté ici exprimée par BHL fait écho à une requête formulée le 24 février auprès du président du régulateur audiovisuel, par le président de la Commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, Laurent Lafont. Par voie de courrier, celui-ci a en effet accusé la chaîne et le site internet de RT en France de relayer «quotidiennement» les «actions de propagande» du Kremlin, «sans véritable contradiction».

Alors même que RT France dispose d'une convention avec l’Arcom (ex-CSA) et n'a d'ailleurs jamais été sanctionnée par le régulateur, ou plus largement poursuivie pour diffusion d'une fake news ou d'une diffamation, Laurent Lafont a poursuivi  : «[Il est] urgent de nous interroger sur la menace que fait peser cet organe de communication gouvernemental russe sur nos valeurs démocratiques à l'aune de la situation nouvelle créée par le déclenchement des opérations militaires en Ukraine.» Et d'ajouter : «J'estime que la propagande diffusée par Russia Today menace aujourd'hui l'ensemble de ces principes et justifie pleinement la suspension de ce service.»

Une pluralité de points de vue embarrassante pour ses contempteurs

Si les appels à couper les canaux de diffusion de RT France se sont encore amplifiés avec l'intervention militaire entamée par l'armée russe en Ukraine le 24 février, ils ne datent néanmoins pas d'hier. Signe de cette pression accrue sur l'Arcom afin de nuire à RT France, Libération rapportait le 9 février que le régulateur français avait été saisi par une obscure entité qui comptait faire sanctionner le média pour son traitement de l'information et qui avait été «créée pour l’occasion».

Une pression qui est largement relayée par divers médias et personnalités. A titre d'exemple, le 20 février, l'éditorialiste Brice Couturier, en toute confraternité, estimait sur Twitter : «Vue la situation, il faut interdire RT France et les autres organes de désinformation poutiniens.»

Plus récemment sur le plateau télévisé de C à vous sur France 5, un chroniqueur de la chaîne télévisée a posé une question cruciale concernant l'avenir de la rédaction de RT France, en ces termes : «Faut-il empêcher la chaîne de télévision Russia Today d'émettre en France ?»

A l'appui, un court documentaire dans lequel il est notamment fait mention de la ligne éditoriale de RT France mais aussi des déboires rencontrés par RT en Allemagne, où sa diffusion est interdite.

En tout état de cause, la couverture médiatique par RT France de l'intervention militaire russe en Ukraine attire plus que jamais l'attention au sein d'une presse française qui semble tiraillée entre rhétorique accusatoire et la réalité de la pluralité des points de vue présentés dans notre média. Car c'est bien là tout le paradoxe : contraints de constater la pluralité de points de vue s'exprimant sur l'antenne de RT France, certains organes de presse ne peuvent se résoudre à y voir autre chose que... du machiavélisme. «La chaîne crée par Moscou se fait largement l’écho de la rhétorique du Kremlin. Mais pas seulement. Elle laisse aussi entendre des voix discordantes. Une propagande habile», expose ainsi L'Obs ce 25 février, tentant maladroitement de justifier son narratif. Le Monde voit de son côté dans le traitement de l'opération militaire russe en Ukraine «un exercice d'équilibriste».

Les syndicats montent au créneau

Lassés de la multiplication des procès d'intention intentés à RT France, les syndicats de journalistes ont fait part de leur indignation. Dans un communiqué commun, Les sections du Syndicat national des journaliste (SNJ) et de Force ouvrière (FO) de RT France rappellent que :
«Malgré la confusion entretenue par certains à l'égard de nos collègues, nous soulignons notre attachement à la charte d'éthique mondiale des journalistes de la FIJ, et nous sommes fiers de pouvoir contribuer, à notre échelle, au pluralisme de l'information dans notre pays.» 

Alors, simples manifestations d'hostilité envers la rédaction de RT France ou menaces sérieuses ? Le quotidien du soir assure pour sa part : «selon nos informations, d'"éventuelles sanctions ou suspensions" font partie des réflexions en cours pour sanctionner ou suspendre la chaîne.»

Sans citer nommément RT – qu'il avait assimilé, sans s'embarrasser de preuves, à un «organe de propagande» lors de la réception de Vladimir Poutine à Versailles en 2017 – le président de la République Emmanuel Macron a pour sa part récemment annoncé des initiatives supplémentaires «en matière de lutte contre la désinformation qui est en train d'être propagée sur les réseaux sociaux et par plusieurs relais de propagande russe sur le sol européen». Le chef d'Etat français a ainsi fait valoir la «protection de [la] démocratie [et des] opinions publiques», sans pour autant détailler les initiatives ici mentionnées.