Qui de Yannick Jadot, apparaissant comme l'un des plus modérés d'Europe Ecologie Les Verts (EELV), et de Sandrine Rousseau, la «radicale», remportera la primaire des écologistes le 28 septembre ? En obtenant 27,7% des 106 000 voix exprimées au premier tour début septembre, l'eurodéputé a devancé d'un fil l'ancienne porte-parole du parti (25,14%). Derrière, éliminés et possibles faiseurs de roi, se situent la décroissante Delphine Batho avec 22,32% et l'édile grenoblois Eric Piolle avec 22,29% des suffrages.
Outre leur appartenance à EELV, les deux finalistes ont pour points communs de vouloir mettre fin à l'industrie nucléaire, aux pesticides, de légaliser le cannabis, de favoriser le bien-être animal et l'agriculture bio et de mettre une imposition plus forte pour les plus riches. N'en demeurent pas moins quelques points de désaccord, parfois importants.
Sandrine Rousseau, la candidate woke ?
D'emblée, Sandrine Rousseau a pris le parti de la «radicalité» face à «l'écologie de gouvernement», cette dernière notion étant revendiquée par Yannick Jadot. «Aujourd'hui la radicalité est la seule chose qui nous protège», a-t-elle défendu le 21 septembre sur Twitter.
Pour Sandrine Rousseau, qui se définit comme une «éco-féministe», cette radicalité passe par le terrain sociétal, sur lequel elle défend ouvertement la lutte intersectionnelle. En misant sur ces enjeux, elle s'est démarquée des autres candidats durant la campagne de cette primaire. «Notre système économique, social et sociétal est fondé sur le triptyque : nous prenons, nous utilisons et nous jetons. Le corps des femmes, le corps des plus précaires dans la société, le corps des racisés. Nous ne voulons plus de ce système-là», a-t-elle par exemple proclamé le 21 août lors des universités d'été d'EELV.
Habituée aux polémiques, elle place des punchline à l'envi, médiatisant par là même sa candidature. Dans le cadre des amphis d’été de La France insoumise dans la Drôme, le 29 août, elle s'en est également pris au «système capitaliste» qui, selon elle, «s'est nourri de trois prédations majeures, à savoir celle du corps des personnes noires, des femmes et de la nature».
Elle n'hésite pas à essentialiser, comme lorsqu'elle prononce cette phrase qui demeure absconse : «Le monde crève de trop de rationalité, de décisions prises par des ingénieurs. Je préfère des femmes qui jettent des sorts plutôt que des hommes qui construisent des EPR.» Sa vision de l'écologie ne serait donc pas fondée sur la raison ? Troublant pour une économiste.
Sandrine Rousseau assume de fait une ligne que d'aucuns jugent woke, où les projets écologiques en matière d'énergie ou d'isolation des bâtiments sont quasiment relégués au second plan. Pour La Dépêche, elle étaye cette vision de «l'éco-féminisme», «le logiciel au travers» duquel elle «pense le monde» : «Il faut changer notre modèle, travailler pour l'émancipation des femmes et des minorités, promouvoir le service public plutôt que d'augmenter les subventions aux entreprises. Lutter contre les violences aussi, et respecter la nature en tant qu'être vivant.»
Yannick Jadot, plus centriste mais moins EELV compatible ?
En face, Yannick Jadot est depuis plusieurs années l'un des principaux cadres médiatiques d'EELV. Les dernières semaines avant le premier tour de la primaire, il s'est fait déborder par le ton de son opposante. Sandrine Rousseau a fait figure de tornade, chacune de ses sorties médiatiques ayant été commentée sur internet, dans la presse et dans le monde politique. Elle qui n'était vue que comme une outsider face au favori Yannick Jadot, a rebattu les cartes.
Semblant plus consensuel, Yannick Jadot a dès lors tenté de contrer le discours de Sandrine Rousseau sur son propre terrain. «La radicalité que je porte c'est de gagner l'élection présidentielle», a-t-il revendiqué au lendemain du premier tour de la primaire. «La radicalité ce ne sont pas des mots : ça fait 30 ans que je suis écolo, j'ai été avec les paysans pour lutter contre le libre-échange, j'ai été avec les femmes opprimées au Bangladesh, j'ai été espionné par EDF, j'ai arraché des OGM», a-t-il appuyé sur France inter le 20 septembre.
L'eurodéputé, qui apparaît comme appartenant à l'aile droite d'EELV, s'est montré flou sur la contestation du modèle économique capitaliste et de la société de consommation. S'il dénonce d'un côté certains traités de libre-échange, il adhère à une ligne «davantage pro-entrepreneurs que nombre de militants», écrit l'AFP. En août 2020, l'ancien patron de Greenpeace France avait même confessé lors des universités d'été du Medef qu'il défendait «le capitalisme européen et le modèle social européen, qui ne sont pas les modèles chinois ou américain».
Toutefois, sur l'économie, tout ne les sépare pas. Sandrine Rousseau se prononce pour le retour de la retraite à 60 ans et la semaine de quatre jours de travail. Elle désire également la création d'un «revenu d’existence versé de façon individuelle à partir de 18 ans, sous conditions de ressources». Une sorte de revenu universel, mais à la carte. C'est aussi, à peu de choses près, la proposition de Yannick Jadot, qui appelle de ses vœux la mise en place d'«un revenu citoyen dès 18 ans» pour les personnes les plus en difficulté.
Divergence sur la décroissance
Sur la décroissance, thème cher à Delphine Batho, les deux prétendants à l'investiture affichent une ligne proche, même si elle semble parfois difficile à saisir. Cette notion est un «non-sens économique» pour Sandrine Rousseau, qui pense que l'avenir ce «n'est pas moins d’activité : c’est simplement une activité qui émet moins de carbone». Dans le même temps, le 22 septembre lors du débat de l'entre-deux-tours sur LCI, Sandrine Rousseau a déclaré vouloir «décroître la quantité des biens consommés». Quant à Yannick Jadot, il estime que le débat n'est pas là.
Sandrine Rousseau a même approfondi la réflexion sur la décroissance dans son duel médiatique face à Yannick Jadot, mettant en avant le projet de «démobilité», c'est à dire «repenser toute nos vies pour limiter la quantité de trajets qu'on a besoin de faire». Pour elle, ceux qui sont contraints d'avoir une voiture doivent «accepter le changement», comme la suppression des SUV ou la hausse des carburants pour entraîner une diminution du CO2 et un «ralentissement du système». Elle demande à ce que la voiture de demain soit uniquement «légère», voire «collective» avec des collectivités locales qui paieraient une flotte d'automobiles pour des Français dans le besoin.
«Cela va être compliqué dans les villages», rétorque Yannick Jadot, qui estime qu'il faut une palette d'actions pour réduire les émissions de CO2 dans les transports, en investissant notamment dans le train. S'il arrivait au pouvoir, Yannick Jadot déclare ne pas vouloir imposer la suppression de la voiture individuelle, car tous les trajets «ne peuvent se faire à vélo».
Une vision différente de la République ?
Concernant la laïcité et les valeurs de la République, Yannick Jadot est régulièrement en porte-à-faux avec son parti. «Le burkini, ça n'a rien à faire dans une piscine !», avait-il osé le 20 septembre 2020, une sorte de pique au maire EELV de Grenoble Eric Piolle, souvent accusé d'être complaisant avec l'islamisme et ce vêtement controversé. «Il ne peut pas y avoir de "oui mais", ni sur Charlie Hebdo, ni quand des femmes sont victimes de codes vestimentaires contraints», poursuit-il. Une prise de position qui l'oppose à Sandrine Rousseau, qui soutenait le 25 août pour Charlie Hebdo qu'«on ne peut pas émanciper en interdisant un vêtement», même si elle considère le voile comme «sexiste». Et le journal satirique de relever, dans l'un des discours de celle-ci, la défense d'une «médecine communautaire».
Et quand Yannick Jadot s'affiche aux côtés de policiers lors d'un rassemblement contre les violences visant les forces de l'ordre, il se fait vertement critiquer par EELV et par Sandrine Rousseau – soutien public d'Assa Traoré – elle-même, le 22 septembre. «La République, la laïcité, la police républicaine sont des héritages de la gauche, les abandonner à la droite et l'extrême droite est une faute politique majeure», rappelle Yannick Jadot, qui refuse de voir un racisme systémique dans la police. D'un autre avis, Sandrine Rousseau confesse que «chaque policier» n'est pas raciste «mais que les consignes qui leur sont données aggravent les discriminations».
Enfin, tous deux semblent aussi s'affronter sur le plan institutionnel. Lorsque Sandrine Rousseau promeut «une convention citoyenne pour une autre République» (ressemblant à la Constituante souhaitée par Jean-Luc Mélenchon), Yannick Jadot veut simplement modifier l'actuelle Constitution avec un septennat présidentiel non-renouvelable et la mise en place de la proportionnelle pour les élections législatives. Les deux candidats sont toutefois au diapason pour une Europe plus sociale, défendant la construction européenne et une UE fédérale. Pas de radicale différence de ce côté-là...
BG