France

Unef : «A notre époque, on n’était pas dans les "conneries" des combats racisés» (ENTRETIENS)

Le syndicat étudiant agite les débats depuis plusieurs mois, notamment à cause des propos racialistes et polémiques de sa présidente. D'anciens membres et cadres de l'Unef déplorent son évolution. Eclairages.

Le célèbre syndicat étudiant Unef vit-il ses dernières heures face aux demandes répétées exigeant sa dissolution ? Au fil des années et particulièrement des derniers mois, l'Unef s'est en effet illustrée pour ses prises de positions controversées racialistes enflammant bien souvent le monde politique et syndical. Les dernières déclarations de sa présidente Mélanie Luce promouvant des réunions en non-mixité selon la couleur de la peau n'ont fait que mettre une pièce dans la machine à polémiques.  

Il n’y a plus cette perspective historique à l’Unef, qui est désormais davantage un supplétif des luttes intersectionnelles, antidiscrimination

Fortement inscrite dans des combats de gauche depuis sa création en 1907, l'Unef a accordé une place croissante aux luttes intersectionnelles ces dernières années. Au point de les substituer aux autres ? «L’Unef s’est progressivement appropriée la déconstruction par une espèce d’OPA intellectuelle nord-américaine de la pensée déconstructionniste sur une pensée de gauche traditionnellement marxiste. C’est un remplacement idéologique», déplore Paul Melun, président de la section Unef de SciencesPo Bordeaux entre 2014 et 2016. Très critique sur l'état actuel du syndicat, il rappelle qu'à «l’origine, l'Unef était un syndicat anticapitaliste, qui avait eu des sympathies et accointances avec les maoïstes, les trotskystes, la Révolution de 1917...» «Tout cela semble bien loin. Il n’y a plus cette perspective historique à l’Unef, qui est désormais davantage un supplétif des luttes intersectionnelles, antidiscrimination», note Paul Melun, aujourd'hui essayiste et commentateur politique.

J’aurais envie de pouvoir leur dire, sans me faire traiter de boomer, ou de «petit Blanc», qu’en tant qu’universaliste et camarade, ils font fausse route

Responsable Unef-id (une branche de l'Unef qui était alors divisée en deux branches) de la région Provence Alpes-Côte d'Azur entre 1992 et 1998 et élu au conseil d’administration de l'université Aix-Marseille 3 durant cette période, Boris Faure se dit pour sa part triste de l'évolution de l'Unef avec «cette minorité idéologique qui a pris la main sur le syndicat» : «J’aurais envie de pouvoir leur dire, sans me faire traiter de boomer, ou de "petit Blanc", qu’en tant qu’universaliste et camarade, ils font fausse route et ce n’est pas comme ça qu’ils vont résoudre le problème étudiant.» «On ne résout rien en divisant. Je ne vois pas mes enfants s’engager dans une Unef racialisée, indigéniste, victimaire», ajoute le socialiste qui présume que les actuels cadres de l'organisation «ne doivent pas se rendre compte qu’ils abordent des thèmes qui sont minoritaires dans l’opinion étudiante». Il pense à cette ancienne présidente de l'Unef à Paris IV et actuelle vice-présidente nationale, Maryam Pougetoux. Celle-ci a notamment suscité de vives réactions politiques et médiatiques en apparaissant publiquement, durant une interview télévisée ou lors d'une commission d'enquête au sein de l'Assemblée nationale, vêtue d'un hijab. «Cette jeune vice-présidente de l’Unef avec son voile, quel message veut-elle faire passer ? Est-ce que c’est cela l’émancipation pour elle... porter un voile ?», s'interroge Boris Faure.

Le virage Unef des années 2010

Lorsqu'il était à la tête de sa section d'une quinzaine de membres jusqu'en 2016, Paul Melun explique quant à lui avoir maintenu une section inflexible sur les valeurs laïques et universalistes, résistant aux pressions du national pour organiser des réunions non-mixtes. Il affirme que si à l'époque, «il n’y avait pas encore de réunions interdites aux Blancs», l'Unef demandait en revanche des rencontres réservées aux femmes «où les hommes n'y étaient pas admis car vus comme des oppresseurs». Pour s'y être opposé, Paul Melun assure avoir reçu des appels téléphoniques d'en haut. Ce chroniqueur politique déclare en outre avoir «vite compris» que la gauche, pas seulement l’Unef, «mais aussi au sein du milieu universitaire», était en train «d'embrasser les théories déconstructionnistes, venus d'Outre-Atlantique», délaissant «progressivement ses sujets traditionnels qui étaient les questions de la précarité étudiante». Les prémices de «l'islamo-gauchisme» dans les universités en quelque sorte, une notion que Paul Melun valide.

Lui qui est entré à l'Unef en y voyant à l'origine un syndicat jouissant «d’une bonne réputation, modéré et assez hégémonique à gauche» a donc rapidement déchanté. Mais comment ces idéologies ont pu pénétrer le mouvement étudiant ?

Un hold-up de l’intérieur

Pour le jeune politologue, l'évolution idéologique de l'Unef a suivi le déclin du Parti socialiste (PS) sous le quinquennat Hollande, un syndicat qui était jusqu'à présent régulièrement considéré comme une école de cadres pour le parti. Or, avec la loi travail El Khomri de 2016 notamment, l'Unef est peu à peu entrée dans la contestation du gouvernement socialiste et, de fait, du PS. Peu à peu, pour Paul Melun, c'est le début de l'influence de mouvements politiques moins structurés au sein de l'Unef, avec des «jonctions évidentes» qui se sont faites avec des militants de La France insoumise et des groupuscules «acquis à l’islam politique». «Un hold-up de l’intérieur», décrit-il.

Pour le plus expérimenté Boris Faure, la réunification des deux branches de l'Unef en 2001 a été le point de départ de l'influence d'une gauche radicale sur le syndicat, jusqu'alors divisé selon lui entre une aile réformiste proche du PS et une aile communiste. «Malheureusement, l'aile communiste avec des militants plutôt laïques et universalistes vont eux-mêmes se faire déborder», retrace-t-il. L'un des tournants, pour l'actuel conseiller consulaire des Français de Belgique, a été l'arrivée à la présidence de William Martinet à l'Unef en 2013 (jusqu'en 2016) qui «met en place des sujets sur le genre et tout un arsenal idéologique qui va aboutir à la situation d’aujourd’hui». 

Comme Paul Melun, Boris Faure note que le quinquennat Hollande va accroître la distance entre l'Unef et le PS. Un moment où l'Unef va également perdre du poids dans le monde étudiant, notamment sa place de leader dans la représentation au profit de la Fage en 2016 lors des élections étudiantes. Ce syndicat étudiant étant selon Boris Faure «davantage dans des combats concrets pour les étudiants, avec une souplesse d’appareil dans un système quasiment confédéral». L'Unef aurait alors été entraînée dans une spirale de plus en plus radicale pour l'ex-premier secrétaire fédéral des Français de l’étranger : «Cette défaite a participé, à une forme de radicalisation de l’Unef par ricochet car ça donne du grain à moudre à la frange radicale. Quand vous êtes en train de perdre du terrain, ce sont les plus radicaux et les plus excités qui donnent de la voix.»

La dissolution, un «effet de manche» médiatique ?

Boris Faure se souvient des combats menés dans les années 90 avec l'Unef. En ce temps-là, ces questions racialistes n'existaient pas selon lui : «On n’était pas dans les "conneries" des combats racisés, on ne faisait pas de la pigmentocratie. On n’allait pas défendre les gens en fonction de la couleur de leur peau. On défendait des sujets sociaux avant tout. Pour nous c’était le social avant le racial.»

On ne faisait pas de pigmentocratie

Dès lors, il argue que les discriminations étaient d'abord «abordées sous l’angle social» : «Quand on parlait de la situation de nos copains ou copines noirs ou maghrébins qui étaient parmi nous, on parlait des discriminations sociales qu’ils subissaient, des quartiers dans lesquels ils habitaient, le manque d’argent pour se loger. Ce n’était pas un combat où l’on disait à l’un qu’on allait le défendre parce qu’il avait telle couleur de peau. Cela aurait trop segmenté les luttes.»

Un militant actif dans les années 60 dans l'Unef – qui a voulu rester anonyme – confesse que cette différenciation raciale entre les adhérents n'était même pas un sujet à son époque. Un syndicat qui était selon lui par essence universel et laïc.

Si on inscrit dans la loi le principe selon lequel les réunions interdites, selon votre couleur de peau, ne sont pas possibles en France, cela obligerait l’Unef à ne pas le faire

Promotrice de valeurs que d'aucuns qualifient comme antirépublicaines, l'Unef doit-elle être dissoute ? Aussi opposés à l'Unef version 2021, tant Paul Melun que Boris Faure jugent contre-productifs une telle manœuvre politique et y sont, en somme, défavorables. Le premier se prononce contre la dissolution d’association ou de groupe à but politique, comme celui de Génération identitaire. «Jusqu’à preuve du contraire, l’Unef n’incite pas à la décapitation, au meurtre, à l’assassinat», justifie-t-il en présumant qu'une telle dissolution entraînerait possiblement la formation d'une nouvelle association avec les mêmes cadres, sous un autre nom du type «syndicat des défenses d’étudiants». «Un effet de manche» donc, Paul Melun privilégiant l'arme légale, favorable à la piste dévoilée par le ministre de l'Education nationale Jean-Michel Blanquer : «Si on inscrit dans la loi le principe selon lequel les réunions interdites, selon votre couleur de peau, ne sont pas possibles en France, cela obligerait l’Unef à ne pas le faire. Dans le cas contraire, elle se mettrait hors la loi.»

Pour Boris Faure, la dissolution n'aurait pas non plus de sens car, d'après lui, «il faut assurer le combat politique» et l'Unef ne peut uniquement se réduire aux dernières polémiques. «Il faut que la tendance universaliste et laïc qui existe encore au sein de l’Unef, se bouge et reprenne la majorité de cette organisation. Ce n’est pas encore complètement mort», espère ce membre du Printemps républicain, une association de défense de la laïcité et des valeurs républicaines. D'ailleurs, pour lui, le gouvernement peut difficilement dissoudre «la deuxième organisation étudiante qui a un siècle d’existence» : «Ils ont en fait tiré en l’air. Ils ont donné un avertissement non seulement à l'Unef mais aussi à l’opinion publique, en disant : "On s’en occupe". Car l’opinion publique en France est très majoritairement laïque et universaliste.»

L’opinion publique en France est très majoritairement laïque et universaliste

Mais l'Unef n'est-elle pas l'arbre qui cache la forêt, comme l'analyse Paul Melun ? Se définissant comme un «amoureux de la France», il regrette ainsi que la gauche soit aujourd'hui cataloguée par les Français comme un mouvement qui lutte simplement contre les discriminations, pour les minorités ou les réunions en non-mixité. «C’est dramatique ce n’est pas du tout cela la gauche», s'exclame-t-il en conseillant les organisations la composant de se saisir enfin des sujets de sécurité et de souveraineté, rappelant par exemple que les grandes figures Jean Jaurès et Léon Blum étaient eux-mêmes des «patriotes». Il n'épargne pas non plus la droite, principalement centriste et juppéiste, qu'il estime tout aussi perdue sur les questions d'identité et parfois accusée de clientélisme avec des mouvances communautaristes.

Radical, Boris Faure, lui, appelle à ce que les dinosaures de la politique à gauche «qui occupent le champ politique depuis des dizaines d'années» se retirent, à l'instar de Ségolène Royal, celle-ci étant en lice pour postuler à un poste de sénateur dans une prochaine élection : «Ces personnes-là, leur logiciel de pensée n’a pas été mis à jour. Il manque de grandes figures politiques qui travailleraient vraiment avec des intellectuels.» D'autre part, il ne comprend pas que le Parti socialiste et les quelques écologistes laïcs n'aillent pas au bout de leurs idées, en ne votant pas le projet de loi sur le «séparatisme». Cela impliquerait malgré tout de sortir de certaines postures partisanes. Ne serait-ce pas une piste pour un sursaut de la gauche ?

Bastien Gouly