Auditionné le 17 novembre au soir par la commission des lois du Sénat sur le budget 2021 de la justice, le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti a confirmé travailler à la révision de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
La révision de ce texte fondateur semble en effet nécessaire aux yeux du ministre de la Justice dans le cadre de la stratégie gouvernementale de lutte contre la menace terroriste, selon ses propos diffusés par la chaîne Public Sénat.
J'ai beaucoup travaillé pour tenter d'éradiquer la haine en ligne, qui a abouti à l'assassinat du professeur Samuel Paty, mais pourrit aussi notre pays, souvent en toute impunité
«J'ai beaucoup travaillé pour tenter d'éradiquer la haine en ligne, qui a abouti à l'assassinat du professeur Samuel Paty, mais pourrit aussi notre pays, souvent en toute impunité», a-t-il déclaré à l'occasion.
Et de continuer : «Et nous avons travaillé de ce point de vue-là, de façon très précise, pour essayer de réguler, au travers de la loi, notamment de 1881, les immixtions de ceux qui ne sont pas journalistes et qui ne méritent pas d'être protégés par cette loi mais qui viennent, au fond, s'y lover pour diffuser la haine en ligne et bénéficier des protections qui sont dues aux journalistes et aux organes de presse.»
Toujours selon Public Sénat, Eric Dupond-Moretti a également annoncé lors de son audition qu'il travaillait «sur différents éléments», tels que «la reprise de la proposition de loi Braun-Pivet» visant à instaurer des mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine – loi censurée par le Conseil constitutionnel – ou «l'amélioration des Micas [mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance]».
La loi sur la liberté de la presse entraverait les moyens de poursuite de la justice
Deux jours après la décapitation par un islamiste du professeur d'histoire-géographie Samuel Paty, le 16 octobre 2020 à Conflans-Saint-Honorine (Yvelines), Eric Dupond-Moretti, en collaboration avec le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, avait présenté «un plan d'action qui [...] donnera lieu à des actions concrètes contre les structures, associations ou personnes proches des milieux radicalisés», qui propagent des appels à la haine pouvant encourager les attentats, selon la présidence.
Dès le lendemain, les procureurs généraux avaient été appelés par le ministre de la Justice pour mettre en place une stratégie visant à lutter contre la menace terroriste en France. Le garde des Sceaux avait alors reconnu l'existence de «trous dans la raquette» des outils judicaires de prévention et de répression contre cette menace, selon l'un des participants à la réunion cité par le journal Le Monde. La procureure générale auprès de la cour d'appel de Paris, Catherine Champrenault, avait quant à elle proposé au ministre de sortir de la loi de 1881 les délits d'incitation à la haine, estimant que la loi sur la liberté de la presse entrave les moyens de poursuite de la justice.
Cette loi, selon Catherine Champrenault, «ne permet pas de procédure rapide comme la comparution immédiate, ni de mesures de sûreté comme le contrôle judiciaire ou la détention provisoire», alors que «face à des discours de haine susceptibles de provoquer des effets dévastateurs, la justice doit pouvoir agir rapidement».
Par ailleurs, les efforts du ministre de la Justice et des procureurs généraux pour mettre en place une stratégie visant à endiguer la menace terroriste sur le sol français s'inscrivent désormais dans le projet de loi «confortant les principes républicains», anciennement connu sous le nom de projet de loi contre les séparatismes. Délit réprimant la haine en ligne, contrôle renforcé des associations, meilleure transparence des cultes, identifiant national pour chaque enfant en âge d'être scolarisé... Le texte du projet de loi est actuellement défendu par le gouvernement.
Concernant la lutte contre «la haine en ligne», le gouvernement veut créer un «nouveau délit de mise en danger de la vie d'autrui par diffusion d'informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d'une personne permettant de l'identifier ou de la localiser». L'agence de presse précise que cette disposition a été ajoutée après le meurtre de Samuel Paty au mois d'octobre.