Les quatre policiers impliqués dans la mort de Cédric Chouviat, livreur décédé par asphyxie deux jours après avoir été plaqué au sol sur le ventre lors de son interpellation à Paris le 3 janvier 2020, ont été auditionnés en garde à vue le 17 juin. Consulté par Mediapart, un enregistrement et un rapport d'enquête, contenant une retranscription des multiples vidéos prises de la scène, éclaire d'un jour nouveau les circonstances de la mort de ce père de famille de 42 ans.
«J’étouffe»
Ces nouveaux éléments, versés à l’enquête judiciaire ouverte en janvier pour «homicide involontaire», viennent largement nuancer le premier rapport de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) réalisé le jour des faits, le 3 janvier, dans lequel est retranscrite l'audition des quatre policiers ayant réalisé l'interpellation de Cédric Chouviat.
Ainsi, pas moins de 13 vidéos, dont neuf ont été enregistrées par la victime grâce à son propre téléphone relié à un micro placé à l'intérieur de son casque de moto, trois par la policière lors de l'interpellation, et la dernière par un automobiliste, ont été analysées par les enquêteurs, avec pour objectif de vérifier les «conditions d'une interpellation réalisée dans un contexte allégué d'outrages et de résistance».
D'abord décrit par la policière, qui participait à ce contrôle routier avec trois de ses collègues, comme «irrespectueux envers l'équipage [de police]», «agressif» et «menaçant» lors de son interpellation, Cédric Chouviat aurait en réalité été poussé à plusieurs reprises par l'un des agents, ne supportant pas qu'il le filme avec son téléphone. Si les policiers ont rapporté avoir subi de nombreuses insultes de la part de Cédric Chouviat, la retranscription des enregistrements citée par Mediapart rapporte les termes qui auraient été employés par ce dernier : «C’est vous les clowns», «Bande de clowns», «Guignol», «C’est vous qui êtes la risée» ou encore «Pauvre type». En face, lors de l'interpellation, l'un des policiers aurait lancé à Cédric Chouviat : «Vous croyez que je vais me mettre à quatre pattes et que je vais vous sucer la bite aussi ?»
Un autre élément mis en avant dans le premier compte-rendu de l'IGPN, est que le livreur se serait débattu lors de son interpellation. Un élément qui ne peut être ni confirmé, ni infirmé par Mediapart, qui précise néanmoins qu'après une clé d'étranglement, Cédric Chouviat se retrouve plaqué au sol sur le ventre par trois agents, puis menotté.
Selon le média d'investigation, Cédric Chouviat a alors prononcé les paroles suivantes, ses dernières avant de perdre connaissance : «Arrête», «je m’arrête». Puis, à sept reprises : «J'étouffe.»
Conduit en réanimation à l’hôpital Georges-Pompidou à Paris (XVe arrondissement) dans la foulée du contrôle de police, Cédric Chouviat est décédé le 5 janvier, vers 3h30. Selon l'avis médical, ce père de cinq enfants, «a fait un arrêt cardiaque suite à un manque d’oxygène». L'autopsie évoque elle une asphyxie «avec fracture du larynx».
Les quatre policiers ont été entendus le 17 juin en garde à vue, préalable à une éventuelle mise en examen, selon des sources judiciaires citées par l'AFP. D'après RTL, le magistrat instructeur les a convoqués «début juillet» et ils pourraient alors faire l'objet de poursuites.
George Floyd et Cédric Chouviat, même destin ?
Si des différences indéniables existent entre les sociétés française et américaine, et les problèmes respectifs qui les traversent, les derniers mots de Cédric Chouviat ne sont pas sans rappeler ceux prononcés par George Floyd («I can't breathe», je ne peux pas respirer), Afro-Américain décédé le 25 mai à Minneapolis lors de son interpellation. La scène, filmée, avait provoqué une vague d'indignation aux Etats-Unis, donnant lieu à un mouvement international contre le racisme et les violences policières.
Interrogé par RT France le 9 juin, le père de Cédric Chouviat, Christian Chouviat, établissait lui-même ce rapprochement. «Il y a beaucoup de similitudes [entre les deux affaires]», estimait-il, avant de préciser que Cédric Chouviat, comme George Floyd, étaient tous deux morts par asphyxie. «C'est la même mort. Ils ont tous les deux été condamnés à mort après un contrôle de police», poursuivait-il.
Depuis le début de l'affaire, la famille de la victime dénonce une «bavure policière» causée selon elle par des techniques d'interpellation «dangereuses». Elle réclame une requalification des faits en «violences volontaires ayant entraîné la mort», un crime passible des assises, et la suspension des policiers.
«Les mots terribles de Cédric Chouviat avant de mourir font de cette phrase un cri universel. En dépit des cris, les policiers ont maintenu leur pression asphyxiante. Cédric Chouviat aurait pu être sauvé», ont affirmé les avocats de la famille de Cédric Chouviat, William Bourdon et Vincent Brengarth à Mediapart. Et d'ajouter que ces derniers éléments de l'enquête démontrent que «cette modalité d'interpellation conduit à une mécanique d'acharnement dont Cédric [Chouviat] a été indiscutablement la victime».
Le 8 juin, le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, avait annoncé l'abandon prochain de la technique d'interpellation dite de la «clé d'étranglement», comme le réclame, entre autres, la famille Chouviat. Mais une semaine plus tard, le directeur général de la police nationale Frédéric Veaux précisait dans une note adressée à l’ensemble des agents que, si cette pratique ne serait plus enseignée dans les écoles de police, elle pourrait continuer à être utilisée «avec mesure et discernement».
Avant même ce revirement, Christian Chouviat, déplorait, sur RT France «un effet d'annonce» de la part du gouvernement, et pointait notamment du doigt le plaquage ventral, autre technique controversée utilisée par les forces de l'ordre, dont les autorités n'ont pas annoncé l'interdiction.