Réouverture de vols intérieurs : l'aide à Air France se fait-elle sans contrepartie écologique ?
Des responsables de gauche s'insurgent contre la réouverture prochaine de vols domestiques par Air France sur des trajets couverts par le TGV. Et contestent le prêt de 3 milliards de l'Etat, sans contrepartie environnementale suffisante à leurs yeux.
L'annonce par Air France de la reprise de trois vols intérieurs le 11 mai, reliant Paris et Bordeaux, Brest et Montpellier, a irrité élus et politiques de gauche.
La compagnie aérienne française a bénéficié de prêts à hauteur de sept milliards d'euros, dont trois accordés par l'Etat. Selon les responsables et militants politiques qui se revendiquent écologistes, la compagnie ne s'est pas engagée à prendre des mesures environnementales suffisantes en contrepartie. Gauche et écologistes se sont manifestés sur les réseaux sociaux pour contester la reprise de ces vols, très émetteurs d'émissions de CO2 par rapport aux autres moyens de transport.
Cela revient en l'espèce, à subventionner directement l'avion au détriment du train !
«S’il y a un substitut train qui est beaucoup plus protecteur de l’environnement... Il faut penser le fait que les TGV relient les hubs plutôt que les avions. Ça coûte moins cher et c’est plus protecteur de l’environnement, et c’est court aujourd’hui en temps de trajet», a ainsi fait valoir Yannick Jadot, eurodéputé EELV à BFM TV, le 26 avril 2020.
Son parti avait publié un communiqué le 25 avril, exigeant des conditions environnementales et sociales pour l'aide publique à la compagnie aérienne. Dénonçant des promesses de façade, il avait demandé «la fermeture des lignes aériennes intérieures sur lesquelles une alternative en train existe en moins de 4 heures», rappelant que l’avion émet 45 fois plus de CO2 par kilomètre et par voyageur que le TGV. Les élus écologistes ont ensuite lancé des salves sur Twitter, comme le candidat à la mairie de Paris David Belliard ou l'eurodéputé David Cormand. «Cela revient en l'espèce, à subventionner directement l'avion au détriment du train !», s'agace ce dernier.
Super! On a vraiment bien fait de soutenir sans conditions Air France à hauteur de 7 milliard€... Cela revient, en l’espèce, à subventionner directement l’avion au détriment du train! https://t.co/Ca58HdEo5f
— David Cormand🌻 (@DavidCormand) April 25, 2020
Les critiques ont aussi fusé chez les figures d'autres partis, comme chez l'eurodéputée La France insoumise (LFI) Manon Aubry. Elle fustige le fait que «"le monde d'après" [que les membre des la majorité] poursuit les travers du monde d'avant» et mène, selon elle, à la catastrophe écologique.
La priorité est donc de rouvrir des liaisons aériennes pour lesquelles il existe des alternatives en train de 2h à 3h30 max ?
— Manon Aubry (@ManonAubryFr) April 26, 2020
Encore un indice que le monde d'après qu'ils construisent poursuit les travers du monde d'avant. Et qu'il nous emmène droit à la catastrophe écologique ! https://t.co/CzsroogKWr
Le député de Maine-et-Loire Matthieu Orphelin, (Libertés et territoires), ancien marcheur, a lui aussi raillé l'incongruité de ces vols. Il avait quelques jours auparavant adressé un courrier au ministres pour proposer la suppression progressive des vols courts-courriers pour les cas où une alternative en train existe pour une durée raisonnable.
J'espère que ce n'est pas la 1ère action du plan permettant à @AirFranceFR de devenir la "compagnie aérienne la plus verte du monde".
— Matthieu ORPHELIN (@M_Orphelin) April 26, 2020
Rappel Bordeaux-Paris = 2h de TGV https://t.co/2ZZoCQYnOy
Le syndicaliste cheminot Thomas Portes, responsable national du PCF en charge du collectif des cheminots, s'est lui aussi élevé contre cette décision et demande à ce que l'on réfléchisse à «fermer certaines liaisons aériennes».
Donc #AirFrance à qui l’État va donner 7 milliard d’€ va réouvrir en priorité la liaison Paris Bordeaux, alors que le TGV met 2h, et Paris Montpellier où le TGV met 3h15. Ce n’est pas sérieux. Et si on réfléchissait pour interdire certaines liaisons aériennes ? Urgence #COVID19https://t.co/cwNvImGLdp
— Thomas Portes ✊ (@Portes_Thomas) April 25, 2020
«Air France doit devenir la compagnie aérienne la plus respectueuse de l'environnement de la planète», selon Le Maire
Si la reprise des vols domestiques a irrité les politiques écologistes et les ONG comme Attac ou la Fondation Nicolas Hulot, qu'en est-il des garanties environnementales promises par la compagnie aérienne ?
Air France s'est vue gratifier de 4 milliards de prêts bancaires garantis à 90% par l'Etat et de 3 milliards de prêt direct de l'Etat. Cette aide doit notamment servir à payer les 45 000 salariés actuellement au chômage partiel. Anticipant les critiques, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire avait justifié le prêt public de 3 milliards à Air France, en garantissant notamment le respect de «conditions écologiques» fixées par le gouvernement. «Air France doit devenir la compagnie aérienne la plus respectueuse de l'environnement de la planète. C'est la condition à laquelle je suis le plus attaché», a-t-il affirmé lors d'une interview sur TF1 le 24 avril.
La ministre de la Transition écologique Elizabeth Borne s'est défendue le 27 avril sur Europe 1 d'avoir fait un «chèque en blanc» à Air France, en précisant les «engagements écologiques qui seront pris par la compagnie». Ils consisteraient à «réduire de 50% les émissions de CO2 par passager sur les vols domestiques d'ici 2024», «passant par un renouvellement de la flotte et l'utilisation de bio-carburants» et «une réflexion sur le réseau en France d'Air France quand il y a des alternatives ferroviaires de moins de 2 heures 30». Les promesses citées par la ministre s'avèrent bien en-deçà des mesures prônées par les partis écologistes et de gauche.
Mais les dirigeants d'Air France-KLM, au-delà de toute considération environnementale, se voient contraints de réfléchir à une restructuration de l'offre du réseau domestique, dont une partie est déficitaire. La compagnie aérienne est en effet confrontée à des pertes d'environ 200 millions d'euros par an sur les vols intérieurs. Anne Rigail, directrice générale d'Air France, a ainsi rappelé que le groupe affichait 40% de moins d'offre domestique depuis 2006.