Le Conseil d’Etat rejette le recours pour accorder des masques, tests et gel à tous les détenus

Le Conseil d’Etat rejette le recours pour accorder des masques, tests et gel à tous les détenus© Pascal Guyot Source: AFP
INTERVIEW
Une voiture du SAMU devant la prison de Nîmes (Gard) dans le sud de la France le 26 mars 2020.
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Le Covid-19 affecte déjà une vingtaine de prisons. Des associations avaient requis des libérations et du matériel de protection, demande refusée par le Conseil d’Etat. Une surveillante, un associatif et deux détenus réagissent pour RT France.

Quatre syndicats et associations, dont l’Observatoire international des prisons (OIP), avaient sollicité le Conseil d’Etat pour requérir des masques, du gel hydroalcoolique et des tests de dépistage pour tous les détenus. Leur requête visait également à libérer les détenus à bas risque afin que les prisonniers qui restent, occupent individuellement les 55 000 cellules à disposition en France.

Mais le juge des référés au Conseil d’Etat a répondu par la négative le 8 avril. «Il rejette l’ensemble des demandes de bon sens formulées par les associations et syndicats requérants», déplore François Korber, directeur général de l'association Robin des lois, qui soutenait la requête de l'OIP. La plus haute juridiction a justifié son choix dans un communiqué : «Les mesures déjà prises et celles annoncées» par le gouvernement lors des audiences «permettent de réduire le risque de contamination au sein des prisons».

«J’ai halluciné de voir que tout va bien !», s’étrangle Séverine*, surveillante dans un centre pénitentiaire du Sud-Ouest, réagissant pour RT France au rejet du Conseil d’Etat. «La protection n’est pas terrible, voire nulle ! », proteste-t-elle.

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Pour François Korber, dont l’association mène bataille avec l’avocat Emmanuel Ludot, le compte n’y est pas, et ces mesures s’avèreraient largement insuffisantes pour contrer des foyers épidémiques. «Le Conseil d’Etat laisse de côté cette question : comment peut-on respecter les mesures barrières et la distanciation qui sont imposées à tous les Français, à des personnes détenues dans les maisons d’arrêt à deux, trois ou quatre, dans neuf mètres carrés ?», a-t-il confié à RT France.

La protection n’est pas terrible, voire nulle

«Ils restent sur une position archaïque. Ce sont des hauts fonctionnaires, proches de ceux qui sont dans les ministères. On ne peut pas s’attendre à ce qu’ils prennent des mesures progressistes», dénonce ce défenseur de longue date des droits des prisonniers. 

Des protections dérisoires contre le virus

Pourtant les chiffres annoncés par le ministère de la Justice le 8 avril font redouter le pire. Soixante-trois contaminations sont dénombrées parmi les détenus et 145 parmi le personnel. Une vingtaine d’établissements ont été atteints par le Covid-19. «Le virus est entré moins vite que dans le reste de la France, mais s’il rentre, il se produira la même chose que dans les Ehpad : ce sera une catastrophe. On nous dit que lorsqu’il y a des soupçons de coronavirus, les détenus sont placés à l’isolement, comme à Fresnes, où un quartier de malades a été établi. Mais il n’y a pas la place de l’installer dans tous les établissements, ni de moyens de dépistage. Dans les centres de détention, il n’y a qu’un détenu par cellule, donc c’est mieux. Mais ce n’est pas le cas des maisons d’arrêt», dénonce l’associatif.

Il n’y a pas de dépistage et les surveillants portent des masques bidons 

«Contre le virus, les détenus n’ont que du savon et de l’eau de javel», nous apprend-on à la communication de l’OIP. Abès*, incarcéré dans un centre de détention, s’est confié à RT France sur les incohérences des mesures et le manque d’information. «Rien n’est fait en réalité pour la distance», observe le détenu. «C’est vraiment n’importe quoi. Personne ne nous a expliqué quoi que ce soit. Les chefs viennent un peu jouer les durs, en disant : "Ne vous rapprochez pas les uns des autres, sinon on va vous punir." Mais ils nous laissent aller en promenade comme d’habitude, et là nous sommes les uns sur les autres. Au sein de la prison, plusieurs détenus sont partis en quarantaine, sans que l’on sache s’ils étaient contaminés ou pas», explique-t-il.

Abès tousse depuis quelques jours et sera saisi des quintes durant la totalité de l’entretien, mais il n’a pas été examiné. En centre de détention, il a la chance d’être seul en cellule, ce qui limite les risques de contamination. Mais il déplore la pénurie et le refus d’accorder des moyens de protection. «Ils ne donnent pas de masques, pas de produit pour les mains. Quand vous demandez du gel au chef de bâtiment, il explique qu’on ne peut pas nous en donner, car il y a de l’alcool dedans, soi-disant on pourrait mettre le feu. Il n’y a pas de dépistage et les surveillants portent des masques bidons», détaille Abès. 

Ils nous laissent aller en promenade comme d’habitude, et là nous sommes les uns sur les autres

Le sujet épineux des masques fait réagir Séverine, surveillante : «Les masques qu’on nous a distribués ici ne sont pas aux normes. Il est marqué sur le paquet qu’ils n’assurent pas de protection contre les infections virales ou bactériologiques. Nous n’en avons qu’un par jour pour 12 heures de travail. Nous ne sommes pas protégés et on ne protège pas les détenus.»

Sur le sujet éminemment sensible des masques, les surveillants ont rencontré les mêmes difficultés qu’hors de la prison, lorsque les communications du gouvernement en minoraient l’importance. «Certains collègues, avant la distribution, m’ont raconté qu’ils avaient apporté leurs propres masques, et qu’on leur avait demandé des explications, puis de les enlever. Mais à partir du 28 mars, ça alors, les masques deviennent utiles !», dénonce Séverine. La surveillante, qui sent sa profession «abandonnée», déplore le manque d’information au sein de la prison : «On aurait plusieurs cas, certains sont partis à l’hôpital, mais on ne nous donne pas de précisions. Les détenus vont à l’infirmerie et reviennent avec des masques, mais on ne nous dit rien. On ne voit presque pas les syndicats, ni la direction.» Elle demande de vraies protections, surtout si la prison est dans un régime «portes ouvertes»

Nous ne sommes pas protégés et on ne protège pas les détenus

Cette politique, qui consiste à ne plus fermer les portes des cellules dans certains établissements, permet d’apaiser les tensions au sein de ces derniers. Mais en corollaire, «On se regroupe dans les cellules, on fait la cuisine ensemble !» poursuit Abès. Rafik*, un autre détenu interrogé par RT France, se plaint lui aussi de protections inexistantes. Il évoque la quarantaine des nouveaux entrants, placés dans un quartier à part à leur arrivée. «On se dit qu’ils peuvent se contaminer entre eux, et nous contaminer ensuite. De toutes manières, ils ne sont pas dépistés», remarque-t-il.

«Si un porteur sain est transféré dans une nouvelle cellule, il peut contaminer les autres. Quand il y a des symptômes, le protocole prévoit qu’on sorte le détenu, mais c’est trop tard. Et ils n’ont pas les tests de dépistage», appuie François Korber.  

 

Libérations et chiffres

 «La seule solution serait l’encellulement individuel, mais on n’y est pas encore», explique la communication de l’OIP. Pour réduire la surpopulation carcérale, par une ordonnance publiée le 27 mars, la garde des Sceaux Nicole Belloubet a annoncé les mesures d'assouplissement que la Justice allait adopter pour s'adapter à la crise sanitaire du Covid-19 : remise en liberté des détenus effectuant un reliquat de peine inférieur à deux mois assortie d'un confinement à domicile, aménagements pour les reliquats de peine inférieurs à six mois assortis de travaux d'intérêt général et remise de peine pour les détenus ayant moins de deux mois à purger. Ces mesures, qui excluaient les crimes impliquant par exemple des violences conjugales ou des faits de terrorisme, étaient censées concerner 5 000 à 6 000 détenus.

Mais Nicole Belloubet, lors d'une audition à l'Assemblée nationale le 8 avril, a avancé de nouveaux chiffres : «Le taux de surpopulation, qui était de 119% au 1er mars avec plus de 72 400 détenus, est au 7 avril de 107% avec 64 439 détenus. Nous comptons donc près de 8 000 détenus en moins.» 

Ces données suscitent la perplexité chez François Korber, qui estime qu'un grand nombre de places libérées sont dues au fait que beaucoup moins d’auteurs de petits délits entrent en prison après la comparution immédiate. Son association et d’autres réclament bien davantage de libérations à la garde des Sceaux, pour parvenir à l'encellulement individuel. «10 000 détenus à bas risque pourraient être libérés ; Ce sont des cambrioleurs, des escrocs. Ils ont enfreint la loi mais ils ne sont pas dangereux. Une simple circulaire de la ministre suffirait pour cela», estime-t-il. Après le rejet du Conseil d’Etat, François Korber et l’avocat de Robin des lois, Emmanuel Ludot, ont saisi la Cour européenne des droits de l’Homme et l’ONU. «Ce sont les seules instances capables de répondre à cette urgence alors que des personnes vont mourir», conclut-il.

 

 

 * prénoms modifiés à la demande des intéressés

 

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