Au cœur d'une polémique sur sa pédophilie, Gabriel Matzneff ne lira pas le livre qui l'accable
«Le Consentement», qui paraît ce 2 janvier, est à la source d'une vive polémique entourant l'écrivain Gabriel Matzneff. Vanessa Springora y relate une relation «sous emprise» alors qu'elle n'avait que 13 ans. L'écrivain, lui, n'exprime aucun regret.
Vanessa Springora, 47 ans, nouvellement nommée directrice des éditions Julliard, signe ce 2 janvier chez Grasset Le Consentement, déjà en rupture de stock dans de nombreuses librairies le jour même de sa parution. Et pour cause, ce texte autobiographique, à l'origine d'une tempête médiatique, raconte sa relation amoureuse à l'âge de 13 ans avec l'écrivain Gabriel Matzneff, alors âgé de 50 ans. Ce dandy qui recevait les honneurs du tout-Paris de l'époque pour ses productions littéraires n'a jamais caché sa pédophilie, revendiquée dans ses écrits.
La publication de cet ouvrage décrivant une relation «sous emprise» a suscité un véritable tollé médiatique une semaine avant sa parution. Ainsi, après la publication d'extraits du texte de Vanessa Springora par des journalistes qui en ont eu l'exclusivité, les réseaux sociaux se sont enflammés, les internautes exhumant des extraits de textes de Gabriel Matzneff dans lesquels il décrit en détails des relations sexuelles avec des enfants, garçons et filles, notamment dans son livre intitulé sans ambiguïté Les moins de 16 ans.
Il y a eu un dysfonctionnement de toutes les institutions : scolaire, policière, hospitalière… C'est ça qui est sidérant face à un militant de la cause pédophile qui a publié des textes en ce sens et qui s'en glorifie
«A quatorze ans, on n'est pas censée être attendue par un homme de 50 ans à la sortie de son collège, on n'est pas supposée vivre à l'hôtel avec lui, ni se retrouver dans son lit, sa verge dans la bouche, à l'heure du goûter», écrit par exemple Vanessa Springora dans son livre.
L'affaire suscitera des réactions jusqu'au sein du gouvernement. Le 28 décembre, le ministre de la Culture Franck Riester a ainsi apporté son soutien à «toutes les victimes» de l'écrivain Gabriel Matzneff. «L'aura littéraire n'est pas une garantie d'impunité. J'apporte mon entier soutien à toutes les victimes qui ont le courage de briser le silence», a écrit le ministre sur son compte Twitter. Il a invité toutes les victimes, ainsi que «tout témoin de violences commises sur des enfants, à contacter le 119», le numéro d'écoute de l'enfance en danger. Le ministre de la Culture a aussi demandé au Centre national du livre (CNL) de lui fournir «toutes les précisions» concernant une allocation versée à certains écrivains pour compenser les difficultés financières liées au grand âge ou à la maladie, dont Gabriel Matzneff est bénéficiaire.
De son côté, le secrétaire d'Etat chargé de la Protection de l'enfance, Adrien Taquet, «a demandé à ses services de se renseigner du point de vue du droit sur les révélations concernant Gabriel Matzneff ainsi que sur ses publications», a fait savoir à l'AFP son entourage, sans affirmer à ce stade que des poursuites judiciaires pourraient être engagées.
A l'inverse, certains ont préféré dénoncer une «chasse aux sorcières», à l'instar par exemple de Josyane Savigneau, membre du jury Femina et ancienne patronne du Monde des livres, qui s'est exprimée sur Twitter.
Matzneff ne lira pas le livre et se contentera de ses «adorables souvenirs»
Sur fond de campagne internationale contre les violences sexuelles, la parution du livre de Vanessa Springora a donc fait resurgir dans l'actualité médiatique le sujet des penchants sexuels de Gabriel Matzneff. Pourtant, celui-ci ne s'en est jamais caché. Dans les années 80 et 90, il était régulièrement invité sur les plateaux de télévision français par des personnalités comme Bernard Pivot ou Thierry Ardisson. Dans un entretien exclusif accordé au Parisien et paru le 1er janvier, Vanessa Springora confirme qu'il n'était «pas très difficile de savoir qui était Matzneff à l'époque». De son point de vue, «il y a eu un dysfonctionnement de toutes les institutions : scolaire, policière, hospitalière… C'est ça qui est sidérant face à un militant de la cause pédophile qui a publié des textes en ce sens et qui s'en glorifie».
Dans un long texte envoyé à L'Express qui le publie ce 2 janvier, Gabriel Matzneff répond à Vanessa Springora. Il y livre son point de vue sur sa relation avec elle. Sous sa plume, aucun mea culpa ni demande de pardon. Il assume et revendique un amour et une passion exceptionnels. «Ce livre, je ne le lirai pas», écrit-il. Et d'ajouter : «S'il contient ce que l'on me dit qu'il contient, il me ferait trop de mal ; et même si son ton est mesuré, nostalgique, je préfère me contenter des dizaines de lettres d'amour fou que Vanessa m'a écrites, de ses photos, de mes adorables souvenirs.»
Pour Gabriel Matzneff, la Vanessa d'alors n'aurait pas dû rompre avec lui, une décision qui les aurait rendus tous deux «très malheureux». Et d'exprimer sa déception : «Je demeurais convaincu qu'après ma mort tu écrirais quelque chose de beau, de tendre sur nous ; sur l'exceptionnel amour qu'ensemble nous vécûmes. Je ne mérite pas l'affreux portrait que [...] tu publies de moi en ce début d'année 2020. Non, je ne le mérite pas, ce n'est pas moi, ce n'est pas ce que nous avons ensemble vécu, et tu le sais.»
«Je laisse ce livre en héritage»
Vanessa Springora explique qu'elle aurait pu pardonner la «transgression» que constitue le fait de tomber amoureux d'une fille de 14 ans si elle n'avait pas découvert qu'elle était «face à un prédateur». «Le problème, c'est le caractère systématique et pathologique de son attirance pour les adolescents. Et le mal qu'il fait», explique-t-elle au Parisien, assurant recevoir des messages de «jeunes filles de toutes parts, et notamment plusieurs qui ont croisé sa route».
L'auteur ne souhaite cependant pas être «la porte-parole de quoi que ce soit» mais exprime des regrets de ne pas avoir écrit son livre plus tôt. «Ça me culpabilise un peu, je ne sais combien d'années il a été actif, on m'a raconté des histoires terribles entre-temps, bien pires que la mienne», raconte-t-elle, assurant vouloir désormais laisser son livre «en héritage face à l'œuvre de Gabriel Matzneff».