Après les déboires de François de Rugy durant l’été ou la démission forcée du conseiller d'Edouard Philippe, Sandro Gozi, le 23 octobre, après la découverte de liens contractuels avec les autorités maltaises, c’est au tour de la ministre des Outre-mer, Annick Girardin, d’être dans la tourmente après des révélations du Canard enchaîné portant sur l’attribution de plusieurs contrats à son compagnon, Jean-François Vigneau, sur l’île de Saint-Pierre-et-Miquelon, où la ministre a été députée de 2007 à 2017 et a siégé au conseil territorial pendant 16 ans.
Le palmipède note que celui-ci a en effet bénéficié de l’attribution de «plusieurs appels d’offres publics remportés sur l’archipel». En février 2018, l’entreprise de Jean-François Vigneau, Gardiennage Sécurité Intervention (GSI), avait enlevé le marché des «prestations de sûreté» de l’aéroport local pour un montant de 741 924 euros hors taxes. Le contrat courait sur une durée de trois ans.
L’Intérieur intervient
C’est en 2013 que Jean-François Vigneau, à l’époque collaborateur parlementaire occasionnel de l'ancienne députée, lance sa compagnie après avoir pris connaissance, début juillet, de l’existence d’un appel d’offres lancé par l’aviation civile de Saint-Pierre-et-Miquelon pour le «gardiennage de la station [locale] Galileo», concurrent européen du GPS.
Mais si elle veut pouvoir participer à l’appel d’offres, la société doit se faire attribuer, par le ministère de l’Intérieur, l’habilitation nécessaire pour exercer dans la sécurité privée. Coup de chance ou du destin, cette fameuse autorisation tombe le 18 septembre, soit un jour avant la date limite de dépôt des candidatures. Le tout dans «un délai record», précise le Canard. Finalement, GSI remporte, le 27 décembre, le contrat d’une valeur de 792 708 euros hors taxes pour 36 mois.
«Il n’y avait aucune structure de ce type dans l’archipel en 2013. Jean-François a appris dans une émission de télévision que Galileo allait s’installer dans l’archipel et qu’il y aurait des besoins de sécurité», insiste auprès de l’hebdomadaire celle qui a été ministre de François Hollande avant de devenir celle d’Emmanuel Macron. Elle assure être «incapable de dire quels appels d’offres ont été remportées par GSI».
Plus de 2,4 millions d’euros de contrats en six ans
Mais ce n’est pas tout. En avril 2017, l’aviation civile lance un nouvel appel d’offres pour le gardiennage de la station Galileo assorti d’une enveloppe de 882 648 euros hors taxes. Et à la surprise générale le marché est remporté par … GSI. Parmi les critères retenus pour son attribution apparaît : «offre économiquement la plus avantageuse». «Comme c’était la seule offre présentée, le choix a dû être ardu», explique, non sans ironie, le palmipède.
Au total, sur une durée de six ans, la société de Jean-François Vigneau aura empoché la bagatelle de 2 417 274 euros hors taxes de marchés publics. Une situation dont la ministre affirme ne pas avoir connaissance. «Nous sommes très clairs, très nets. Je me suis toujours tenue éloignée de tout ça, et Jean-François ne veut pas que je m’en approche», remarque-t-elle dans les colonnes du journal.
Si l’existence de tels contrats a été tenue aussi longtemps secrète, c’est que les liens entre Annick Girardin et son compagnon, qui détiennent une propriété en commun sur l’île, ne sont jamais apparus dans les déclarations de la ministre à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) selon le Canard enchaîné. Or, un décret du 5 janvier 2017, relatif à l'obligation de transmission de la déclaration d'intérêts, réaffirme que doivent être portés à la connaissance de la HATVP les «activités professionnelles exercées à la date de la nomination par le conjoint, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou le concubin».
Un porte-parole du cabinet ministériel observe néanmoins, auprès du Canard, qu’Annick Girardin et Jean-François Vigneau «ne sont ni mariés ni pacsés, chacun a un foyer fiscal et une résidence principale différente. C’est donc parfaitement légal». Une approche que conteste un cadre de la HATVP auprès de l’hebdomadaire, arguant que la possession d’un bien immobilier en commun constitue pour la Haute Autorité «une proximité suffisante» pour lancer des procédures de contrôle.
La ministre dénonce des «calomnies»
S’exprimant auprès de l’AFP, en marge du déplacement d’Emmanuel Macron dans les îles françaises de l’océan Indien, la ministre a fustigé des «calomnies». «La haute-autorité a toujours su, puisque dans mes déclarations antérieures, Jean-François Vigneau a déjà figuré […] C’est mon choix personnel de ne pas le faire en 2017 quand je suis nommée ministre des Outre-mer, c’est mon choix personnel de modifier ma déclaration. Ça regarde Jean-François et moi. Et la haute autorité que j’avais appelée m’avait à l’époque confirmé qu’il n’avait pas de soucis», a-t-elle fait valoir.
Une version confirmée par la HATVP dans une réponse à la ministre dont l’AFP s’est procuré une copie. «Du point de vue de la HATVP, il n'y a pas dissimulation. Annick Girardin a transmis suffisamment d'éléments à la Haute autorité […] Les éléments des déclarations actuelles comme précédentes suffisent à la Haute autorité pour lui permettre d'effectuer ses missions de prévention de conflit d'intérêt et de contrôle du patrimoine», peut-on lire dans le document.
Toujours est-il que le cabinet d’Annick Girardin concède dans l’article du Canard enchaîné qu’il pourrait «étudier une modification de la déclaration à la haute autorité».
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