Emmanuel Macron a vécu un camouflet en octobre avec le refus par les eurodéputés de la candidature de Sylvie Goulard à la Commission européenne. La France s'était aventurée à présenter l'ex-ministre Modem, alors même que celle-ci avait dû démissionner deux ans auparavant du gouvernement eu égard à son implication dans une affaire judiciaire. Et ses hautes rémunérations, provenant d'un think tank américain entre octobre 2013 et janvier 2016 alors qu'elle était eurodéputée, ont également peu joué en sa faveur. Après ce fiasco, le président français avait le sentiment d'être abasourdi, ne «comprenant pas» ce qu'il s'était passé, rejetant en partie la faute sur la future présidente de ladite Commission, Ursula von der Leyen.
Emmanuel Macron veut créer une nouvelle institution européenne dont le rôle est déjà rempli par une autre
Se voulant être le leader des progressistes européens, Emmanuel Macron ne pouvait perdre totalement la face. Evitant une remise en cause du choix français à proposer Sylvie Goulard, il a donc repris une recette, digne de l'ancien monde au sein de la politique française : la création d'une nouvelle organisation gravitant autour des institutions législatives et exécutives, cette fois-ci de l'Union européenne.
Le chef d'Etat français a ainsi proposé la création d'«une haute autorité de la transparence de la vie publique» au sein de l'UE, pourtant régulièrement accusée d'être une usine à gaz concernant les compétences et les prises de décisions de chacune de ses institutions.
D'après Emmanuel Macron, «cette haute autorité» devrait éviter «des règlements de compte politiques entre les familles au Parlement». Les querelles politiques sont en effet la cause, selon lui, du refus de Sylvie Goulard par les eurodéputés. Ce nouvel organe viserait à réduire les interrogations des eurodéputés sur l'éthique des candidats – lorsqu'ils sont auditionnés avant leur nomination – puisque leur profil serait validé par cette autorité.
L'apparence peut apparaître vertueuse. Mais pourquoi créer une telle instance quand il en existe déjà une, censée s'acquitter de cette mission, la Commission des affaires juridiques (Juri) du Parlement européen ? Certes, celle-ci n'est pas indépendante puisque composée d'eurodéputés, et certains, à l'instar de l'eurodéputée de La France insoumise Manon Aubry, la critiquent pour son fonctionnement. Ne suffit-il toutefois pas de transformer une organisation déjà existante plutôt que d'en avoir deux, avec l'existence de chevauchements de compétences à la clef ?
Comment se donner une image écologiste ? Créons des comités pour l'écologie
Dans une logique très française, Emmanuel Macron veut donc copier en Union européenne une tradition française, inspirée de l'ancien monde : la création de comités Théodule, avec des personnes placées par le fait du prince. Le président français promeut d'ailleurs lui-même ces institutions, aux rôles parfois, souvent, fantoches. En novembre 2018, pour montrer des gages écolos, il a par exemple créé le Haut conseil pour le climat. Or, il existait déjà un Conseil national de la transition écologique (CNTE) depuis 2013. Pis, en avril 2019, peu avant les européennes, Emmanuel Macron décida de créer deux autres instances pour l'écologie, la convention citoyenne et un Conseil de défense écologique. On recense pourtant 60 comités écologiques déjà existants, disposant chacun d'un budget propre, et certains étant, de l'aveu d'un conseil ministériel interrogé par Le Parisien, «des coquilles vides, ne servant à rien». En tout, il existe 394 entités pour un montant annuel, selon le magazine Capital, de 26,2 millions d’euros.
Toutes ces instances ont souvent les mêmes ambitions qu'une autre institution de la République, dont l'utilité est elle aussi souvent remise en cause : le Conseil économique, social et environnemental (CESE), composé de 233 conseillers eux-mêmes nommés en partie par le pouvoir et, bien sûr, rémunérés et disposant de différentes indemnités (pour un total mensuel d'environ 3 800 euros bruts). Ces institutions sont souvent critiquées pour être des placards dorés pour des amis proches du pouvoirs ou des politiques.
Une autre parade macronienne, devenue un classique depuis l'arrivée au pouvoir en mai 2017 a été la création de débats pour calmer les colères ou légitimer une action politique.
Faire des débats : une apparence démocratique, une réalité moins pragmatique
Cette botte a été utilisée pendant la crise sociale des Gilets jaunes. Certes, Emmanuel Macron a tenté d'apporter en parallèle une réponse politique. Il a renoncé à une hausse de taxes sur l'essence pour l'année 2019 (n'empêchant pas le prix de l'essence d'atteindre des sommets en avril), a repoussé le durcissement des contrôles techniques ou permis le retour des heures supplémentaires «sans impôt ni charges dès 2019». Des mesures qui avaient été saluées par l'organisation patronale du Medef.
Le principal atout macronien fut, malgré tout, l'organisation d'un grand débat de janvier à mars 2019, pour apaiser la société avant les européennes. Et tout porte à croire qu'il ne s'agissait que d'une vaste mascarade dont le coût est estimé à 12 millions d'euros. Il s'avère effectivement que la plateforme officielle en ligne a été ouverte aux anonymes (volontairement ?), les questionnaires proposés pour les citoyens ont été orientés politiquement en faveur des réformes et les débats publics ressemblaient davantage à des meetings de pré-campagne pour la macronie avant les européennes, en particulier pour le président français.
Le gouvernement avait d'ailleurs assuré, avant le début du grand débat, qu'il ne changerait pas de cap politique à l'issue de celui-ci, le 15 mars. France info constatait d'ailleurs en avril 2019, que «le nombre de contributeurs a été surestimé, et que plus de la moitié des contributions n'ont pas pu être prises en compte». Les quelques résultats restitués publiquement ont été présentés selon le cap réformiste libéral souhaité par le gouvernement. Il fallait créer pour la macronie l'illusion d'une écoute des doléances pour conforter sa position. Il n'y a eu aucune remise en cause de la suppression de l'ISF par exemple, ni de baisse contrôlée des tarifs de l'essence ou de l'énergie.
En lieu et place, parmi les mesures liées au grand débat, Emmanuel Macron a justifié la baisse du nombre de parlementaires (affaiblissant ainsi les oppositions politiques) comme réponse à une transformation des institutions. Il a également voulu l'intégration de 150 citoyens par tirage au sort au sein du CESE pour façonner un «Conseil de la participation citoyenne». Concernant cette mesure, pour un semblant de démocratie plus participative, le fait que l'un des principaux soutiens médiatiques d'Emmanuel Macron, Daniel Cohn-Bendit, soit tiré au sort pour intégrer cette convention citoyenne pose là encore question. Quelle peut-être la légitimité et la crédibilité de cette nouvelle institution qui devra plancher sur la transition écologique ?
Des rapports et encore des rapports devraient émerger avec des propositions concrètes pour l'écologie. Cela semble tout vu : Ne s'agira-t-il pas de taxer les automobilistes de voitures anciennes, possédées par les classes les moins favorisées ? Ne s'agira-t-il pas d'accorder de nouvelles primes pour l'achat de voitures électriques pour des citoyens aux bas revenus, qu'ils ne pourront, de toute manière, s'acheter malgré celles-ci ? Ne s'agira-t-il pas d'éluder nos rapports avec tous les pays qui sont les principaux pollueurs, comme le Qatar et leurs super-climatiseurs extérieurs, ou l'Allemagne pour ses formidables usines à charbon ? Ne s'agira-t-il pas de fustiger l'énergie nucléaire (énergie pilotable la plus faible émettrice de gaz à effet de serre, comparé au gaz et au charbon), quitte à ne pas se soucier des conséquences sur le prix de l'énergie (le nucléaire permet à la France d'avoir une énergie des moins chères au niveau mondial), ni à se questionner sur la méthode de production électrique alternative et pilotable ?
Créer des débats et des concertations plus ou moins fantoches permet au gouvernement de gagner du temps, et de mieux prouver l'utilité de ses réformes avec des institutions fabriquées sur mesure, à l'image du grand débat national.
Autre cas : la réforme des retraites a été plus explosive que prévue. Le gouvernement pensant que le vocabulaire positif de «justice» ou «d'universalité» permettrait de convaincre les Français de l'objectif de la réforme : celui de travailler plus longtemps.
Sauf que la colère a mis de nombreuses professions dans la rue, peu habituées à cet exercice, comme les policiers ou les avocats.
Face à cette grogne, à laquelle s'ajoute celle des «petits» fonctionnaires – principaux perdants de la réforme – et des professions bénéficiant des régimes spéciaux (comme les cheminots), le gouvernement s'est mis à tergiverser. Pour apaiser le climat social tendu, quoi de mieux que de proposer... une consultation citoyenne. Ouverte depuis fin septembre sur internet (et seulement internet, ce qui exclut de fait certaines populations), la consultation citoyenne reprend le schéma du grand débat. Les citoyens peuvent s'inscrire plusieurs fois (avec autant d'identités possibles que leur nombre d'e-mails) et les questionnaires sont volontairement orientés dans le sens du gouvernement. Certaines questions adoptent un ton péremptoire comme : «Le futur système universel de retraites vise à lutter contre les inégalités et à construire un système plus juste. Selon vous, quelles inégalités doit-il contribuer à réduire en priorité ?» Et comme lors du grand débat, le gouvernement sera libre de restituer les réponses qui lui conviennent le mieux.
Le débat est une arme contre laquelle on peut difficilement répliquer puisqu'il est censé être un lieu de démocratie. Le pouvoir le brandit aussi pour montrer qu'il s'attaque sur un sujet précis, à des fins politiques. Préparant l'élection de 2022 et un éventuel nouveau second tour contre Marine Le Pen, Emmanuel Macron a voulu s'emparer du dossier immigration avec le «et en même temps» afin de contenter tout le monde. Emmanuel Macron loue en conséquence la politique de l'immigration massive en Allemagne d'Angela Merkel en 2015, tout en durcissant le ton sur le détournement du droit d'asile. Le gouvernement a été ainsi pris de court, notamment par les déclarations d'Emmanuel Macron sur l'immigration le 16 septembre, lorsque celui-ci demandait de l'«humanité» et, en même temps, de ne plus être «laxiste».
Le gouvernement a lancé, le 7 octobre, un débat parlementaire concernant l'immigration en proposant une synthèse aux députés et aux sénateurs. Sauf que le débat parlementaire, fait original, n'a donné lieu à aucun vote. N'est-ce pas une méthode de diversion ? Lors de ce débat parlementaire, Edouard Philippe en a profité pour se montrer «prêt» à ouvrir un autre débat, cette fois-ci sur «les dérives communautaires». Alors que la majorité se déchire sur la question du voile et de la laïcité, ce débat pourrait permettre de pacifier les esprits au sein La République en marche. N'est-ce finalement pas l'objectif avant les prochaines échéances électorales ?
Le gouvernement a choisi le passage en force
Face aux crises, le pouvoir a régulièrement joué sur les éléments de langage pour mieux passer en force, quitte à se couper d'une partie de la population, notamment les agents de la fonction publique.
Dès le 8 mai, soit un jour après la prise de pouvoir d'Emmanuel Macron, la macronie connaissait sa première manifestation contre les réformes promises. Légitime par les urnes, Emmanuel Macron est donc passé en force malgré les nombreuses manifestations que ce soit :
- sur la réforme du code du travail assouplissant les licenciements ou plafonnant les indemnités prud'homales,
- sur la réforme de la SNCF, ouvrant la voie à sa privatisation.
- sur les réformes liées à la fonction publique, favorisant l'embauche de contractuels précaires et prévoyant une baisse du nombre de fonctionnaires, comme dans l'Education nationale.
Emmanuel Macron et le gouvernement ont fait le pari que les manifestations n'entraîneraient pas d'effet boule de neige. Les désunions syndicales et le discours macronien, plutôt anti-syndicats, a permis des manifestations clairsemées, car semble-t-il peu soutenues par l'opinion publique. Le pouvoir a vanté chacune de ces réformes par une bataille contre l'ancien monde, avec des mots empruntés à la littérature marketing : plus de «flexibilité», de la «flexisécurité», faire entrer la France «dans le XXIe siècle», la fin «des lourdeurs», etc.
Personnels de l'Education nationale, infirmiers, forces de l'ordre, cheminots, syndicalistes... La convergence des luttes n'a pu se faire. Le pouvoir s'est, en conséquence, senti renforcé dans son action, réformant à tout-va, d'autant plus qu'il disposait et dispose toujours d'une majorité politique écrasante à l'Assemblée nationale. Cette majorité a pu lui permettre de réformer, sans se soucier de la colère de la rue. Mais les élections municipales de 2020, davantage que les européennes à un seul tour, seront un moment clé dans le quinquennat : les Français se déplaceront-ils pour conforter ou écarter les listes de marcheurs ?
Bastien Gouly
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