Incendie de Rouen : les pompiers et policiers primo-intervenants étaient-ils assez équipés ?
Alors que de nombreux riverains sont admis aux urgences du CHU de Rouen pour des symptômes similaires après l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen, syndicats de pompiers et de policiers s’inquiètent également de la santé des primo-intervenants.
Des pompiers et des policiers ont été rapidement dépêchés dans la nuit du 25 au 26 septembre pour contenir le phénoménal incendie sur le site de l'usine Lubrizol à Rouen et établir un périmètre de sécurité. Mais plusieurs questions ont émergé après cette intervention, notamment au sujet de la santé de ces effectifs primo-intervenants et du matériel mis à disposition sur les lieux du sinistre.
Un pompier a capté des images impressionnantes de l'intervention qu'il a transmises aux médias, où on le voit marcher dans un mélange inquiétant d'hydrocarbures, comme le montre ce sujet diffusé dans le journal télévisé de France 2 le 30 septembre :
Par la suite, un autre soldat du feu s'est confié au sujet de cette intervention à haut risque au journal Libération daté du 1er octobre. Dans son témoignage, il assure que «les autorités veulent cacher la vérité» quant à l'état de santé des primo-intervenants. Et de détailler les conditions dans lesquelles ont été réalisées ses analyses de sang : «"Biologie sanguine à réaliser à réception du courrier, ce lundi 30 septembre. Merci de bien vouloir adresser les conclusions médicales sous pli confidentiel au Service départemental d’incendie et de secours de la Seine-Maritime." [...] Et aujourd'hui, on me dit que mes propres résultats d’analyses me sont inaccessibles, qu’elles doivent rester confidentielles. Comment voulez-vous qu’on ne devienne pas paranos ?», s'alarme le pompier. Selon le quotidien, le pompier est «persuadé» que ses supérieurs hiérarchiques «mentent délibérément» pour ne pas «créer un mouvement de panique» chez les pompiers.
Libération, dans sa rubrique CheckNews, est revenu le 2 octobre sur ces révélations et les a décryptées : «Les pompiers du SDIS 76 [Service départemental d'incendie et de secours de Seine-Maritime] qui sont intervenus sur le site, environ 800 selon la médecine du travail, ont tous reçu ces derniers jours la fameuse ordonnance brandie par [le pompier interrogé], expliquent à CheckNews la médecine du travail et un syndicat. Mais celle-ci n’a pas toujours été bien comprise par tous les agents. Elle était ainsi accompagnée d’un courrier explicatif [...] : "Les résultats des analyses seront intégrés au dossier médical, puis transmis aux agents, avec une lettre d’information, par les médecins référents des services de santé territoriaux et de la direction.» Un courrier que Fabien reconnaît n’avoir «pas vraiment lu."»
La rubrique de décryptage explique donc que si les pompiers n'ont pas eu un accès direct à leurs bilans sanguins, les résultats leurs seront bien communiqués, mais que la médecine du travail les recevra auparavant, les étudiera et les versera aux dossiers médicaux des pompiers, qui seront informés confidentiellement.
Les révélations ont manifestement créé quelques remous au sein du corps des sapeurs-pompiers, le syndicat autonome des sapeurs-pompiers de Seine-Maritime ayant fait savoir le 1er octobre dans un communiqué : «En raison d'un référé contre le SDIS76, les personnels sont invités à ne pas communiquer sur l'intervention et les suites de l'intervention Lubrizol, que ce soit au travers des médias, réseaux sociaux ou tout autre moyen de communication. Le syndicat autonome ne pourra intervenir en faveur des personnels qui dérogeraient à cette demande.»
Interrogé par RT France au cours de la Marche de la colère policière le 2 octobre à Paris, le secrétaire général d'Unsa-Police, Philippe Capon, est lui aussi revenu sur les conditions d'intervention des policiers et des pompiers à Rouen. Le syndicaliste a dénoncé «le manque de considération et de protection» accordé par «l'administration à ses policiers et à ses pompiers, aux gens qui sont les premiers sur le terrain [...] à qui on a fait prendre des risques énormes pour leur santé, en intervenant sans protection ou avec des moyens inappropriés.» Ce manque de considération est attribuable, selon Philippe Capon, au gouvernement «et pas simplement au ministre de l'Intérieur».
A cet égard, le syndicat Unsa-Police a d'ailleurs publié le 1er octobre un communiqué de presse dans lequel le partenaire social s'alarmait notamment des «nausées, vomissements et autres symptômes d'intoxication» ressentis par les membres des compagnies républicaines de sécurité 03 et 04 (CRS) qui ont été envoyés sur le site de l'usine alors qu'elle était encore en proie aux flammes.
Le syndicat ViGi-Police a également émis un communiqué similaire le lendemain, 2 octobre, dans lequel la formation syndicale portée par Alexandre Langlois dénonçait une «propagande du gouvernement qui dit que tout va bien» : «5250 tonnes de produits chimiques sont parties en fumée. Pour se protéger des intoxications, nos collègues ont demandé à être équipés de tenues protégeant contre les risques nucléaires, radiologiques, biologiques, chimiques, incluant un masque à gaz. [...] En lieu et place de la tenue adaptée, nos collègues ont eu des masques contre la poussière et les maladies, non contre les risques chimiques. De même, aucune consigne de décontamination, comme prendre une douche froide avec du savon et de mettre immédiatement son uniforme seul dans la machine à laver n’a été donnée. Pourtant ces consignes ne coûtaient rien, si ce n’est de mettre à mal la propagande du gouvernement qui dit que tout va bien.»
Selon les informations de BFMTV, le 2 octobre, 156 riverains avaient été admis au service d'urgence du CHU de Rouen à la suite de l'incendie de l'usine. L'hôpital a précisé que 15 à 20 individus par jour s'y présentaient pour des nausées, des vertiges ou encore des difficultés respiratoires. Ces symptômes ont notamment donné lieu à six hospitalisations pour des patients victimes de maladies respiratoires déjà diagnostiquées.
Antoine Boitel