Les Républicains vont définir leur nouveau cap politique les 12 et 13 octobre prochains, avec l'élection de leur président de parti. 50 ans après le départ du général de Gaulle de l'Elysée, son ombre plane toujours au dessus de ses héritiers politiques. Mais ce parti de droite, aujourd'hui nommé Les Républicains (LR), est-il resté gaulliste depuis le départ à la retraite du général en 1969 ? La droite modérée a-t-elle d'ailleurs le monopole du gaullisme ?
Interrogé par RT France, l'historien Gilles Richard et auteur de Histoire des droites en France : de 1815 à nos jours, estime de fait que «depuis Pompidou, le gaullisme est sur le déclin» : «Jacques Chirac n’était pas gaulliste. On ne peut plus être gaulliste aujourd'hui. Il n’y a plus de place pour le gaullisme. Le gaullisme c’est une vision de la France qui pose la France en troisième grand entre les deux blocs et à la tête du tiers monde. Mais il n’y a plus de bloc soviétique donc le problème est réglé. Il n’y a plus de place pour une politique de type gaulliste. Donc on ne peut plus être gaulliste.» Si Gilles Richard est catégorique, de nombreux hommes politiques prétendent pourtant défendre une vision gaullienne de la politique. L'ancien président RPR de l'Assemblée nationale Jean-Louis Debré décrit par exemple le gaullisme, dans Le Monde, comme «une passion, la passion de la France, de l'Etat, de la République». Il assure qu'il y a «il y a eu un gaullisme pompidolien, un gaullisme mitterrandien, un gaullisme chiraquien».
De fait, se pose un problème depuis le décès de de Gaulle en 1970 : chacun avance sa propre définition du gaullisme, et essaie ainsi de s'approprier cette figure tutélaire. De manière consensuelle, le gaullisme c'est «une certaine idée» de la France, pour copier les termes du général dans ses Mémoires de guerre et à la télévision en 1965. Qu'est-ce à dire ? Chez les gaullistes de gauche comme Jean-Pierre Chevènement, de Gaulle se situait «au-dessus de la droite et de la gauche», défini ainsi comme «l'homme de la nation», défendant «l'Europe européenne» et «l’Europe des nations, de l’Atlantique à la Russie». A droite, l'ancien député Henri Guaino se réclame tout autant du gaullisme, se classant sur Cnews comme «eurocritique», et refuse de mettre dans une case politique le général, y compris celle de la droite. Le chiraquien Jean-Louis Debré refuse aussi d'étiqueter le gaullisme comme étant uniquement de droite : «C'est une vision de l'homme dans la société, ne se rattachant ni à la lutte des classes marxistes ni au laisser-faire libéral. Le gaullisme dépasse donc un homme et une époque. Il n'est pas mort avec de Gaulle.»
La droite tient à son général
Pourtant, Les Républicains ont semble-t-il abandonné ces concepts. Dans le discours général, Les Républicains se revendiquent fièrement de la droite et souscrivent à un modèle social calqué sur une idéologie libérale. Quant à leur positionnement sur l'Europe... N'est-ce pas à l'UMP (ex-LR) que se retrouvaient certains fédéralistes européens comme l'eurodéputé Jean Lamassoure, l'ex-ministre Luc Chatel ou les anciens Premiers ministres Jean-Pierre Raffarin ou Alain Juppé ?
Le fédéralisme européen serait ainsi contradictoire avec la définition du gaullisme proposée par Jean-Pierre Chevènement, Henri Guaino, Philippe Séguin, Charles Pasqua ou encore Nicolas Dupont-Aignan. Tous ceux-ci ont pris ou prennent encore pour référence l'action de de Gaulle entre 1940 et 1969. Nul doute que Charles de Gaulle lui-même réfutait toute idée d'Europe fédérale face à l'Europe des nations.
On a l’image d'être les derniers briscards du gaullisme, à s’attacher à la personnalité du général de Gaulle
Des fédéralistes se sont pourtant retrouvés chez le parti héritier UMP (devenu LR en 2015) qui a dû composer avec diverses tendances, dont celle du gaullisme social longtemps personnifié par Philippe Séguin au sein du RPR. Si l'UMP et LR ont admis l'économie de marché et l'intégration européenne, la figure de de Gaulle est restée un symbole fort pour la droite, une personnalité incontestée par l'histoire et un réconfort pour son électorat traditionnel. Joint par nos services, le président des Républicains à la Sorbonne Ferréol Delmas constate au demeurant que «de Gaulle reste un des marqueurs au sein des LR». «Comme c’est un parti vieillissant, on a l’image d'être les derniers briscards du gaullisme, à s’attacher à la personnalité du général de Gaulle», appuie-t-il. Pour lui, Les Républicains gardent bon an mal an un esprit gaullien en tentant «de concilier des intérêts différents, sans être eurobéats, sans être dans la rupture». «[Le gaullisme], c’est la recherche d'un équilibre entre différents intérêts, comme économiques, entre le capital et le travail, et arriver à trouver un consensus», argumente-t-il.
Le gaullisme sans de Gaulle
Pas étonnant donc qu'on entende encore dans la bouche des LR des émanations gaullistes et gaulliennes, prenant pour point d'appui le général pour rassembler un électorat ou justifier telle ou telle politique. Par exemple, Nicolas Sarkozy, président de 2007 à 2012, invoque régulièrement de Gaulle, en particulier pour promouvoir la construction européenne, à l'image de ses propos tenus peu avant le deuxième tour de l'élection présidentielle de 2012 : «Au niveau européen, il y a des compromis à faire, il faut savoir s'entendre. C'est ça l'Europe de Delors, de de Gaulle, de Monnet.» Le lien entre de Gaulle et Jean Monnet est aventureux, les deux hommes ne s'appréciant guère et partageant une idée européenne radicalement différente (Jean Monnet étant notamment le promoteur d'une Europe supranationale).
Nicolas Sarkozy avait pour principal conseiller et plume, Henri Guaino, l'un des tenants de la ligne du gaullisme social. Celui-ci, et contre la position du parti UMP, faisait partie des nonistes lors du référendum pour le traité constitutionnel de 2005. Cela ne l'empêcha toutefois pas de soutenir la position du président Nicolas Sarkozy avec la ratification par le Parlement du traité de Lisbonne en 2008, une copie (presque) conforme du traité constitutionnel refusé par le peuple français trois ans auparavant. Autre position antigaullienne, l'ancien chef d'Etat fut aussi celui de la réintégration en 2009 de la France dans le commandement intégré de l'Otan. Charles de Gaulle en était sorti en 1966 pour rétablir, entre autres, «une situation normale de souveraineté du pays».
Parmi les autres exemples du «en même temps» de droite pré-Macron, l'UMP et LR ont globalement soutenu le fédéraliste Jean-Claude Juncker à la tête de l'Eurogroupe entre 2005 et 2013 puis à la présidence de la Commission européenne entre 2014 et 2019. La gaulliste Michèle Alliot-Marie (UMP) faisait partie des électeurs en faveur de Jean-Claude Juncker en 2014. Les gaullistes sociaux sont-ils dans le «en même temps» pour tenter d'infléchir inlassablement le parti de droite, tout en le ménageant pour se préserver de toute mise au ban ? Possible. Avant que Les Républicains ne soient détrônés par La République en marche à droite de l'échiquier politique, un soutien du parti était précieux pour obtenir ou assurer un poste électoral.
Contacté par RT France, Jérôme Besnard, élu municipal LR de Mont-Saint-Aignan et délégué Normandie d'Oser La France, estime que «les Républicains ne sont pas seulement des gaullistes qui auraient muté mais l’union des gaullistes, des libéraux et des démocrates-chrétiens».
Julien Aubert, l'un des derniers Mohicans gaullistes au sein de LR ?
Candidat à la présidence LR, Julien Aubert semble actuellement incarner le courant des gaullistes sociaux au sein de la formation. Il a d'ailleurs créé un «laboratoire de réflexion gaulliste», Oser la France, pour œuvrer au rassemblement des «partisans de l’indépendance nationale». Parmi ses cadres, se trouve par exemple Jean-Philippe Mallé, ancien député socialiste.
Interviewé par nos soins en avril dernier, Julien Aubert veut en outre être clair sur les références gaullistes : «Je pense que de Gaulle est mort et il faut le laisser là où il est.» Cela rappelle la drôlerie de Jacques Chirac, expliquant que «le gaullisme sans de Gaulle, c'est vouloir faire du civet sans lièvre».
Si Julien Aubert ne se prétend pas de Gaulle mais gaullien, il prône ainsi des convergences entre la gauche et la droite, estimant d'ailleurs avoir «plus de convergences avec les Républicains de l'autre bord qu'avec [ceux qui prônent] l'union des droites», confessant concomitamment, que «sa mission [n'était] pas de faire exploser Les Républicains». Son objectif est par conséquent de rapprocher le parti LR avec cette ligne. Pour ce faire, il veut vendre aux militants LR une stratégie en deux structures. Julien Aubert est conscient que son positionnement de «défense de la souveraineté de la France dans une Europe des nations» ne parle pas forcément à la France des métropoles.
Je pense que de Gaulle est mort et il faut le laisser là où il est
Pour l'ancien séguéniste, essayiste et chroniqueur politique David Desgouilles, Julien Aubert «propose une ligne plutôt national-souverainiste, qui pourrait concurrencer à l’image du RPR dans les années 1970/80, le Rassemblement national [RN]». Sa vision serait de créer «un deuxième parti qui émergerait et serait un parti jumeau, frère, un peu sur l’exemple de l'Allemagne avec la CSU, parti de Bavière, alliée de la CDU, qui, elle, parle pour le reste du pays». Dans ce schéma, selon David Desgouilles, il y aurait donc un parti «plutôt France des villes» et un parti davantage «France périphérique», les deux se partageant le pays : «On aurait un parti libéral avec Valérie Pécresse ou Xavier Bertand qui seraient en tête de proue. Ils iraient concurrencer Macron. L’autre parti irait essayer de concurrencer le RN sur le côté national et souverainiste. Ces deux partis seraient alliés en ayant un discours totalement différent.» Pour David Desgouilles, se posera tout de même le problème de la présidentielle, «la mère de toutes les batailles» : «La difficulté serait de trouver un candidat commun qui arrive à allier les deux.»
La stratégie de fusion des idées dans l'UMP n'a-t-il pas tué à petit feu le gaullisme et... le parti ?
La logique des deux partis était l'une des stratégies de la droite pour former une majorité parlementaire et gouvernementale, entre partis centristes comme l'UDF et le RPR, des années 70 aux années 90. En 2002, sous l'impulsion du libéral Alain Juppé, la droite modérée a fait fusionner certains de ces partis dans l'UMP. Jérôme Besnard n'est pas tendre avec cette tactique : «Il faut accepter le constat que l’UMP a permis de fondre une masse d’électeurs et de cadres gaullistes au service d’élus centristes. C’est le premier constat et c’est celui de l’échec temporaire de la droite.» Pour Gilles Richard, l'UMP a définitivement ancré le projet «néolibéral», laissant peu de place aux gaullistes. L'un des promoteurs du courant gaulliste, Nicolas Dupont-Aignan, s'éloignera d'ailleurs progressivement du parti pour fonder le sien, Debout la République (aujourd'hui Debout la France).
Selon Jérome Besnard, «Le libéral est un optimiste, or le général de Gaulle était un pessismiste : Il y a une grande différence» : «Le libéral pense qu’on peut aujourd'hui parier sur la réussite de l’Europe, la mondialisation heureuse. Or, ce qu’on essaie de nous vendre ne fonctionne pas.» Jérôme Besnard n'y va pas par quatre chemins : «Il faut d’abord jouer la carte nationale et penser égoïstement comme le faisait le général de Gaulle. Il faut d'abord penser à notre intérêt national plutôt que de parier sur le fait que, tout allant bien, nous pourrions nous développer grâce à une harmonie avec nos voisins et le reste de la planète.»
Ferréol Delmas reconnait que que la position des Républicains sur l'échiquier politique entre La République en marche et le RN reste «une position assez difficile à trouver» mais qu'elle se doit d'être gaulliste dans une optique libéral-conservatrice (libérale économiquement, conservatrice sur le pan sociétal) : «Quand se jouent les intérêts de la France, il faut savoir s’imposer dans l'Union européenne tout en participant, en même temps, à cette UE. Il faut que la France puisse y trouver sa voie, sans tomber dans le libéralisme à la start-up incarné par La République en marche».
Une bascule intellectuelle, liée au jeu politique des deux grandes forces actuelles, mettent d'autant plus en difficulté les gaullistes au sein du parti LR. D'un côté, La République en marche, par la voie d'Emmanuel Macron, oppose médiatiquement de manière absolue les progressistes aux extrémistes nationalistes, laissant ainsi peu de place à une zone grise – ou troisième voie – que pourrait incarner le gaullisme. Et le matraquage fonctionne. LREM étant largement vu médiatiquement, dans la doxa mainstream, comme le seul rempart contre les extrêmes. D'autre part, le Rassemblement national a réussi à capter les voix des eurocritiques par une façade idéologique gaullienne.
Le RN a mis la main sur le gaullisme officiellement, en disant "l’Europe des patries" et en promouvant la politique sociale. Mais la politique sociale au sein du RN ce n’est pas tout à fait celle de de Gaulle
Le spécialiste de l'histoire des droites Gilles Richard développe ainsi une vision particulièrement pessimiste pour les promoteurs du gaullisme : «Si vous êtes gaulliste aujourd'hui, si vous êtes pour l’Europe des patries, et bien vous basculez dans le Rassemblement national, qui défend et a repris le slogan de l’Europe des patries. C’était déjà le titre de la liste de Le Pen en 1984 lors des élections européennes [Front d’opposition nationale pour l’Europe des patries]». «Quand Julien Aubert dit qu’il fait du gaullisme, c’est la manière dont aujourd'hui le Rassemblement national se présente», accentue Gilles Richard. «Le RN a mis la main sur le gaullisme officiellement, en disant "l’Europe des patries" et en promouvant la politique sociale. Mais la politique sociale au sein du RN ce n’est pas tout à fait celle de de Gaulle», commente l'historien.
Par leur esprit eurocritique, les gaullistes seraient donc inévitablement catalogués dans une force à l'origine... anti-gaullienne (le Front national). Les gaullistes en règle générale, particulièrement au sein des Républicains, se retrouvent piégés. Après que le parti LR a obtenu un score catastrophique lors des dernières européennes, son salut repose pourtant, et éventuellement, par la reconquête intellectuelle et un retour aux fondamentaux gaulliens. Encore faut-il que les Républicains acceptent cette destinée. Encore faut-il que Julien Aubert soit réellement celui qui incarnerait le mieux cette voie. David Desgouilles juge que le député du Vaucluse a sa carte à jouer pour les futures élections à la présidence des Républicains face au (trop ?) consensuel – mais favori – Christian Jacob et le libéral-conservateur Guillaume Larrivé : «Beaucoup de gaullistes ont tout arrêté mais il n'est pas exclu que ceux qui restent au sein des Républicains ne soient pas les plus favorables à un retour aux sources. Avec peut-être un calcul fataliste : quitte à perdre les prochaines élections, perdons avec nos idées.»
Bastien Gouly
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