«Retour aux années 1930» : le parallèle douteux et démagogique d'Emmanuel Macron
Démago, Emmanuel Macron ? En jouant de nouveau sur la peur de la «lèpre nationaliste», le président a livré à Ouest-France une analyse catastrophiste, avec un objectif à peine voilé : s'assurer le soutien des Français lors des européennes.
Jouer sur la peur en vue des futures échéances électorales : Emmanuel Macron aurait-il cédé aux sirènes de ce «populisme» qu'il aime tant fustiger ? Au cours d'une interview fleuve publiée par Ouest-France le 31 octobre, le chef d'Etat n'a pas hésité à comparer l'époque actuelle à celle de la montée du fascisme dans les années 1920 et 1930.
«Le moment que nous vivons ressemble à l’entre-deux-guerres», clame-t-il. «Dans une Europe qui est divisée par les peurs, le repli nationaliste, les conséquences de la crise économique, on voit presque méthodiquement se réarticuler tout ce qui a rythmé la vie de l'Europe de l'après Première Guerre mondiale à la crise de 1929», ajoute-t-il sans sembler craindre d'atteindre le fameux point Godwin : «Il faut l'avoir en tête, être lucide, savoir comment on y résiste [en] portant la vigueur démocratique et républicaine», selon lui.
Pour autant, cette dramatisation de l'actualité politique, économique et sociale est-elle pertinente ? Certes, dans les années 1930, l'essor des partis fascistes et nazi en Europe s'expliquait en partie par les conséquences économiques de la crise financière de 1929. Certes, la zone euro n'arrive toujours pas à se relever de la crise bancaire et financière de 2008. Mais la ressemblance s'arrête-là.
2018 : une situation politique totalement différente des années 1920/1930
De même, la «lèpre nationaliste» en Europe serait, à en croire Emmanuel Macron, une résurgence de la montée des fascismes il y a 80 ans. Dans cette interview, la stratégie d'Emmanuel Macron et de ces soutiens depuis plusieurs mois apparaît clairement : mettre dans un même panier les succès électoraux de Viktor Orban en Hongrie, de la coalition du Mouvement 5 étoiles (M5S) et de La Ligue en Italie ou le Brexit, comme autant de résurgences du nationalisme.
Les votes de 2005 et du Brexit ont marqué l'arrêt d'une aventure. Je me bats pour retrouver le sel de la démocratie européenne. #Demokratia
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) September 7, 2017
Tous ces mouvements ont certes des points communs, notamment le fait de critiquer plus ou moins frontalement l'Union européenne et ses politiques imposées en matière économique ou d'immigration, mais ils ont au moins autant de points de divergence. Tout comme divergent la situation actuelle et celle des années 1930 : aucune institution supranationale semblable à l'UE n'existait à l'époque, les partis nationalistes affichaient des volontés expansionnistes ayant presque totalement disparu aujourd'hui, les partisans du Brexit ou du gouvernement italien viennent d'horizons politiques différents, très loin des nationalismes monolithiques des années 1930...
Les parallèles entre deux périodes éloignées tant dans le temps que dans le contexte politique semblent peu pertinents.
Enfin, Emmanuel Macron, promoteur de l'UE et d'un renforcement de celle-ci, semble esquiver la cause de la montée de ces nationalismes. Les différentes mesures de l'UE visant à asseoir le libre-échangisme et l'austérité dans un marché commun ont plongé certains Etats (Grèce ou Italie) dans une crise sans fin et provoqué la montée en puissance de partis définis comme populistes, eurosceptiques ou nationalistes.
En ressuscitant le spectre des années 1920 et 1930, Emmanuel Macron a en réalité un objectif : se poser comme la seule force démocratique et progressiste. En agitant le chiffon rouge, Emmanuel Macron entend figer le débat pour les futures élections européennes dans une lutte qui opposerait d'un côté une bouillie nationaliste, et de l'autre des progressistes auto-proclamés (qui se limiteraient en réalité à La République en marche). Les macroniens n'ont de cesse de matraquer cette idée médiatiquement. Ainsi, le 25 octobre, le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, avait publiquement traité toute les principales forces d'opposition politique de «faussaires de la politique», qualifiant Jean-Luc Mélenchon (classé à gauche) et Marine Le Pen (située à droite) de «deux mouvements populistes n'[ayant] rien à envier aux mouvements extrémistes européens».
Les marcheurs semblent avoir déterminé leur ligne de conduite en vue des européennes de mai 2019 : à défaut de rallier les Français à l'idée d'une Europe plus fédérale et intégrée, La République en marche impose un climat anxiogène pour se poser comme le seul choix politique crédible... Mais où est l'espérance ?
Bastien Gouly
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