Aux européennes, La France insoumise veut «donner une claque» à Macron
Candidate sur la liste de La France insoumise pour les européennes, Jeanne Chevalier revient sur la stratégie d'un mouvement à la peine dans les sondages. Pour elle, aucun doute, LFI est «le débouché naturel aux revendications des Gilets jaunes».
La France insoumise (LFI) est à la peine dans les sondages en vue des futures élections européennes du 26 mai. Crédité de 7,5% dans les dernières estimations, le mouvement de Jean-Luc Mélenchon ne semble pas profiter d'une éventuelle dynamique enclenchée par le mouvement des Gilets jaunes. «Il y a encore deux mois et demi de campagne», rappelle toutefois Jeanne Chevalier, candidate sur la liste LFI.
Ce délai sera-t-il suffisant pour permettre au parti de Jean-Luc Mélenchon de trouver un nouvel élan ? «On est dans le prolongement des revendications sociales et démocratiques qui émergent dans ce pays. On veut leur donner un débouché politique à l’échelle européenne», note-t-elle, jugeant que les sondages intègrent généralement une liste Gilet jaune. «Or, quand il n’y a pas de liste Gilet jaune, je constate qu'il y a beaucoup de report sur notre liste», ajoute-t-elle. Sauf qu'une liste Gilets jaunes ne représenterait que 3% selon les différents baromètres et un report intégral de ces voix vers LFI ne ferait monter le mouvement qu'à 11%, bien en-deçà des attentes de La France insoumise qui se présente comme «l'alternative» à Emmanuel Macron.
Les Gilets jaunes disent : «On ne fait pas de politique». En réalité, ils font de la politique tout le temps»
Néanmoins, La France insoumise veut conserver son optimisme et accuse en priorité la «propagande médiatique» et la «relation entre les élites de ce pays et les médias détenus par les milliardaires». Jeanne Chevalier les tient responsables d'une «dépolitisation». «Ce qui me heurte parfois, c’est que les Gilets jaunes disent : "On ne fait pas de politique". En réalité, ils font de la politique tout le temps», analyse-t-elle. Le rôle des candidats de La France insoumise consisterait dès lors à donner une traduction, dans le champ de la politique institutionnelle, à ces revendications. «Si les Gilets jaunes veulent sanctionner la politique d'Emmanuel Macron – c’est une manière d’avoir une prise sur lui et sur sa politique – il faut lui donner une claque en votant pour la force d’opposition», explique-t-elle.
Reste à savoir si les Gilets jaunes, qui remettent en cause pour la plupart les formes traditionnelles de la vie politique française, seront susceptibles d'entendre ces arguments et de se laisser convaincre que La France insoumise est le «débouché naturel» de leur revendication.
Union de la gauche ou union du peuple ?
De son côté, La France insoumise peine à trouver une nouvelle dynamique après les excellents résultats obtenus par son candidat à la présidentielle en 2017. La baisse de régime était déjà visible avant l'éclosion de la protestation des Gilets jaunes. En novembre 2018, Farida Amrani, candidate de La France insoumise soutenue par de nombreuses formations de gauche, avait échoué à devenir la 17e candidate insoumise à l'Assemblée nationale face au candidat soutenu par La République en marche Etienne Chouat.
Jean-Luc Mélenchon lui-même confessait une défaite due à la stratégie de l'union de la gauche, peu fidèle à l'esprit campagne présidentielle de 2017. Celle-ci visait effectivement au rassemblement de la nation, au-delà des clivages traditionnels – une ligne qui était défendue au sein du mouvement par des personnalités telles que Djordje Kuzmanovic, orateur national du mouvement sur les questions internationales, ou encore l'essayiste François Cocq.
«On est aussi les héritiers d’une campagne présidentielle qui a cassé ces codes. Emmanuel Macron l'a fait, Jean-Luc Mélenchon également. Avec La France insoumise, on a voulu parler au nom du peuple et non au nom de la gauche», résume Jeanne Chevalier, qui assure que son parti à toujours «vocation à devenir majoritaire».
Pour autant, avec l'éviction de Djordje Kuzmanovic et François Cocq de la liste insoumise pour les européennes, cette stratégie semble avoir du plomb dans l'aile. La liste en question comporte en revanche des noms qui semblent indiquer un retour à une ligne d'inspiration «union de la gauche» : Emmanuel Maurel, fondateur de la Gauche républicaine et socialiste (GRS), qui avait soutenu Benoît Hamon en 2017 ou encore Catherine Coutard du Mouvement républicain et citoyen (MRC), parti qui avait également soutenu le candidat socialiste à la présidentielle. En outre, GRS et MRC soutiennent ouvertement une union de la gauche.
Un positionnement difficile à faire comprendre
Chez les insoumis, on se défend officiellement de tout changement de cap. «On n’est pas vraiment dans la question de l’union de la gauche. Le MRC et le parti d’Emmanuel Maurel se sont ralliés à notre stratégie, à notre ligne stratégique et donc de faire l’union autour du peuple. Ils se sont également ralliés à notre programme l’Avenir en commun et à notre ligne européenne», assure Jeanne Chevalier, qui va jusqu'à affirmer que la «latéralisation de l'espace politique autour de la gauche et de la droite» existe toujours.
Ce positionnement peut se révéler difficile à suivre. Il semble en outre que la France insoumise cherche à courtiser un électorat écologiste – alors qu'Europe Ecologie Les Verts est crédité de 7,5% dans de récents sondages. Le parti juge en effet que l'écologie est le sujet majeur de sa campagne. «On remet profondément en cause le système de production tel qu’il est. On remet ainsi en cause la répartition des richesses. Le fait est que les 100 plus grandes multinationales sont les plus gros pollueurs.» «L’enjeu pour nous c’est de montrer que les vrais écologistes, c’est nous», confesse de fait Jeanne Chevalier.
L’oligarchie pourrait céder sur des changements substantiels des traités européens
D'autant que, sur la question européenne elle-même, le parti tient un discours qui manque parfois de clarté. D'un côté, la tête de liste Manon Aubry assure vouloir rester dans l’Union européenne. De l'autre, Jean-Luc Mélenchon écrit une tribune sur l’Europe, en proposant la sortie des traités européens.
«Il n’y a pas de confusion», explique Jeanne Chevalier. «On veut rompre avec les traités européens actuels. Ce point est clair», rappelle-t-elle en expliquant la méthode du plan A / plan B reste «toujours valable» : «Notre stratégie a été pensée dans le cadre de l’élection présidentielle et dans le cadre d’une prise de pouvoir national. Si Jean-Luc Mélenchon était devenu président en 2017, il aurait proposé dans un premier temps de renégocier des traités de manière concertée avec l’ensemble des partenaires européens. Et si cela n’avait pas marché, de manière unilatérale, on était prêt à rompre sur les traités européens.»
La France insoumise serait-elle alors prête à assumer un Frexit ? Le problème se pose différemment selon Jeanne Chevalier : avec un PIB représentant 18% du PIB européen, la deuxième économie de l'UE aurait des arguments de poids à faire valoir auprès de ses partenaires : «On ne peut pas faire l’Union européenne sans la France. On est dans un contexte de Brexit, où le désamour des citoyens pour l’Union européenne est majeur. On est dans les conditions d’un rapport de force où l’oligarchie pourrait céder sur des changements substantiels des traités européens, si la France tape vraiment du poing sur la table. On est un pays fondateur.»
Bastien Gouly
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