L'antisionisme est-il de l'antisémitisme ? La question qui divise

L'antisionisme est-il de l'antisémitisme ? La question qui divise© RONEN ZVULUN Source: Reuters
Des Israéliens devant le consulat de France à Jérusalem le 23 mars 2018.
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Se basant sur des faits divers antisémites, des députés macronistes, LR et centristes, veulent pénaliser l'antisionisme. Le sujet est sensible, d'aucuns estiment qu'il s'agirait ici de sanctionner une opinion politique. Qu'en est-il ?

Un fait divers, une loi ? Marque de fabrique des mandats de Nicolas Sarkozy, ce mot d'ordre est aujourd'hui repris par une trentaine de députés La République en marche (LREM), Les Républicains (LR) et centristes, emmenés par le marcheur Sylvain Maillard, président du groupe d'étude de l'Assemblée sur l'antisémitisme, et vice-président du groupe d'amitié France-Israël. Tablant sur l'émotion suscitée par une vague de faits divers antisémites enregistrée depuis une semaine en France, ils souhaitent pénaliser l'antisionisme, assimilant celui-ci à de l'antisémitisme. L'initiative a été annoncée après les insultes qui ont visé le philosophe Alain Finkielkraut en marge d'une manifestation des Gilets jaunes le 16 février à Paris.

«L’antisionisme moderne est de l’antisémitisme» a ainsi affirmé Sylvain Maillard sur France Info le 18 février. Sauf qu'au sein même de LREM, le président Emmanuel Macron lui-même a exprimé son opposition à une telle initiative (avant de revenir finalement sur sa position lors du dîner du Crif le 20 février). Le sujet fâche. L'antisionisme est-il de l'antisémitisme ? Tout d'abord, s'il n'y a guère de débat sur la définition de l'antisémitisme comme racisme antijuif, il est en revanche plus périlleux de définir précisément ce qu'est l'antisionisme. Et pour cause, son contenu varie selon la définition qu'en donnent ceux qui s'en revendiquent.

Lire aussi : La France va adopter une définition de l'antisémitisme intégrant l'antisionisme, annonce Macron

Juifs et... antisémites ?

Dans une tribune publiée dans Le Monde du 20 février, l'universitaire israélienne Ruth Amossy a de fait reconnu que «les définitions de l’antisionisme [étaient] plurielles» : «Au départ, il s’agit du refus des fondements idéologiques du retour à Sion, en l’occurrence des liens historiques du peuple juif à la terre d’Israël. Mais il peut revenir aussi à contester à ce peuple le droit de vivre dans un espace national reconnu comme sien», à savoir un Etat juif. De plus, elle a rappelé «qu’il y a[vait] des juifs antisionistes, qui ni[ai]ent la nécessité pour les juifs d’avoir un Etat». Des membres de l'Union juive française pour la paix (UJFP), dont le fondateur Richard Wagman, en font partie. Cette organisation a d'ailleurs publié le 19 février un communiqué au message laconique : «Nous sommes juifs et nous sommes antisionistes.»

La proposition de Sylvain Maillard pourrait-elle donc se matérialiser par la condamnation pour motif d'antisémitisme de juifs antisionistes ? Une hypothèse dont l'absurdité illustre le talon d'achille de la proposition : la définition de l'antisionisme.

L'antisionisme : une opinion politique...

«L'antisionisme, c'est en réalité être contre une politique [...] c’est une opinion, pas un délit», a ainsi jugé le président du groupe UDI-Agir Jean-Christophe Lagarde en conférence de presse. L'historien Dominique Vidal a pour sa part estimé sur France Info qu'une telle loi équivaudrait à mettre «le doigt dans un processus totalitaire» : «Je crois que d'un côté il y a un délit, l'antisémitisme comme toutes les formes de racisme, et de l'autre il y a une opinion que l'on peut partager ou qu'on peut critiquer, mais qui n'est qu'une opinion et ça fait partie de la liberté d'opinion en France.» Il a en outre ajouté : «L'antisionisme est le fait de critiquer la pensée de Theodor Herzl, le fondateur du mouvement sioniste, pour qui d'une part les juifs ne pouvaient pas s'assimiler, s'intégrer dans les sociétés dans lesquelles ils vivent et [selon qui] il fallait un Etat pour que tous puissent s'y rassembler. De toute évidence, l'histoire a montré que ce n'était pas ainsi. D'ailleurs, la majorité des juifs ne vivent pas en Israël.»

Par ailleurs, l'antisionisme peut également revêtir, chez celui qui s'en revendique, une contestation de la politique d'Israël, et notamment de sa politique actuelle de colonisation en Cisjordanie, dans les territoires palestiniens. Dans cette optique, le président de l'association d'aide aux migrants, Tous citoyens, David Nakache juge que «l'antisémitisme n'est pas l'antisionisme» précisant que lui-même «combat l'antisémitisme, [s']'oppose à la politique d'Israël, [qu'il est] juif aux yeux des antisémites, [...] traître aux yeux des sionistes». «Merci de ne pas tout confondre, sinon je suis perdu», prolonge-t-il.

Sur la même ligne, le journaliste franco-israélien Charles Enderlin conteste la proposition de Sylvain Maillard : «Je suppose que mes analyses sur la politique israélienne risquent de me faire condamner par cette nouvelle loi.»

... ou un «cache-sexe» de l'antisémitisme ?

D'autres personnalités soulignent en revanche que l'antisionisme, s'il est différent de l'antisémitisme, peut néanmoins en être un «cache-sexe». Ainsi, pour la député MoDem Laurence Vichnievsky, «l'antisionisme n'est pas un délit, sauf lorsqu'il cache l'antisémitisme». «C'est au juge, et non au législateur, de faire ressortir au cas par cas l'intention raciste», explique-t-elle sur Twitter.

A l'instar de Laurence Vichnievsky, nombreux voient dans certaines formes de l'antisionisme, un paravent ou une manière déguisée pour une pensée antisémite. Le patron du Parti socialiste, Olivier Faure argumente par exemple, sur la chaîne israélienne i24news, que «derrière l'antisionisme, il n'y a pas toujours un antisémite» mais «des antisémites se cachent derrière le paravent commode de l'antisionisme».

Evoquant l'agression verbale d'Alain Finkielkraut, le fondateur du mouvement Génération.s, Benoît Hamon, avait pour sa part affirmé : «Je condamne sans aucune réserve ceux qui l’ont conspué, insulté et traité d’un "sale sioniste" qui voulait dire "sale juif". Et laissez la Palestine en dehors de cette violence antisémite gratuite.»

Sur France Info le 18 février, le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, avait pour sa part souligné qu'«il y a[vait] de toute façon dès aujourd'hui une forme d’antisionisme qui est bien sûr le masque d’un antisémitisme, mais qui peut justement se détecter comme tel». Il s'est cependant montré plutôt défavorable à une loi qui irait «dans une course permanente vers la pénalisation des choses qui nous déplaisent». Selon le ministre, «il faut plutôt compter sur l’éducation, le débat».

«L'antisioniste n'est pas toujours antisémite. Il l'est parfois. Et son antisionisme, alors, est un cache-sexe», abonde de son côté le philosophe Raphaël Enthoven.

Effectivement, selon les sensibilités politiques de celui qui l'exprime, l'antisionisme peut être vu comme la volonté de destruction d'Israël, ou tout simplement la haine d'un Etat juif. C'est l'un des arguments qu'avancent ceux pour qui antisionisme et antisémitisme sont ejusdem farinae.

Amalgame ?

Le député franco-israélien UDI, Meyer Habib, fait cet amalgame. Il allègue que «l'antisionisme est le nouveau visage plus "politiquement correct" de l'antisémitisme».

Un discours que tenait d'ailleurs l'ancien Premier ministre Manuel Valls au cours d'un entretien sur CNews, le 5 février 2018 : «L’antisionisme, c’est nier Israël et son existence. Aujourd'hui, c’est le masque des antisémites.» Le 7 mars 2016 lors du dîner annuel du Conseil représentatif des juifs de France (Crif), il assurait d'ailleurs que l’antisionisme était «tout simplement le synonyme de l’antisémitisme et de la haine d’Israël».

Ces différences d'opinions démontrent la quasi-impossibilité de légiférer sur une définition qui fait aussi peu consensus. Resterait par ailleurs à définir, si un texte de loi devait être adopté, la limite entre ce qui serait permis ou non en terme de critique d'Israël. Ainsi, un militant qui souhaiterait qu'Israël se transforme en Etat démocratique multiconfessionnel (ce qui menacerait nécessairement le caractère «juif» d'Israël) serait-il considéré comme partisan de la «destruction d'Israël» et réduit au silence ? 

Pour contribuer au débat, l'ancien président de Médecins sans frontières et professeur associé à l’Institut d'études politiques de Paris, Rony Brauman, admettait, le 31 mars 2016, dans Mediapart : «On peut certes être antisioniste par haine des juifs, qui pourrait le nier ? Mais on peut n’être pas moins antisémite et un sioniste ardent.» Selon son analyse, le projet de rassemblement des juifs sur un territoire équivalait «dès l’origine [à] débarrasser l’Europe de ses juifs»...

Quoiqu'il en soit, tout antisioniste antisémite ne pourrait être considéré comme tel que dans un traitement au cas par cas, lié à une opinion et à une définition personnelle de l'antisionisme. Dans ce cas, seule la justice pourrait trancher le délit, et condamner la personne... pour antisémitisme, un délit déjà condamné par la loi.

Bastien Gouly

Lire aussi : «Rentrez à la maison !»: un ministre israélien appelle les juifs de France à rejoindre l'Etat hébreu

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