France

Une association policière lance l'alerte : «Les grenades sont dangereuses, nos LBD sont dangereux»

Dépité par le silence des syndicats, un collectif de policiers de terrain dit sa fatigue et réagit à l'incident qui a mené à la blessure du Gilet jaune Jérôme Rodrigues : «Il serait opportun de réfléchir sur la suite à donner à ce mouvement.»

Dans une publication Facebook datée du 28 janvier, le Collectif autonome des policiers d'Ile-de-France (CAP-IDF) s'inquiète de la tournure que prennent la crise des Gilets jaunes et le maintien de l'ordre que lui oppose le gouvernement : «Le visage de la Police s'est trouvé changé, le masque du bourreau violent et répressif aidant.»

Et de déplorer dans la même publication : «Nos états-majors nous ont donné carte blanche pour nettoyer les rues, les directives ont été jusqu'à aujourd'hui des plus claires : "Force doit rester à la loi, dégagez-nous tout ça !" Nous en voyons les résultats. Plus de 1 000 blessés dans nos rangs, tandis que les Gilets jaunes en comptabilisent plus de 1 600.»

Le collectif étrille les décisions prises verticalement par le gouvernement et le ministère de l'Intérieur et déplore le silence des «syndicats de police majoritaires qui ne pipent mot» avant de prévenir : «Les grenades sont dangereuses, nos lanceurs de patate (LBD) sont dangereux. Quand nombre de policiers sont considérés tout aussi dangereux, il serait opportun de réfléchir sur la suite à donner quant à la gestion opérationnelle et politique de ce mouvement. Puisque le couperet s'approche encore un peu plus de nos têtes, chers collègues, ne serait-il pas mieux d'éviter toute utilisation de ces armes et de refuser d'aller au contact dans ces conditions dantesques et de défiance d'une hiérarchie lâche ?»

Devant les caméras, on les sent fébriles à présent. Et cette fébrilité politique va se répercuter sur nous.

Interrogé par RT France, l'association CAP, qui représente prioritairement les policiers de terrain hors de tout mandat syndical, maintient ses propos et les précise : «Castaner, on le sent de moins en moins arrogant, moins serein. Devant les caméras, on les sent fébriles à présent. Et cette fébrilité politique va se répercuter sur nous.»

Concernant les opérations de maintien de l'ordre dans la capitale et les grandes villes de France, le CAP reconnaît volontiers les dérapages, mais rappelle que les comportements sur le terrain correspondent à des ordres : «Nous, on écoute les collègues et on sent bien que quand les patrons nous disent : "Nettoyez tout ça", certains se sentent pousser des ailes... Et ils y vont. La hiérarchie ne peut pas plaider l'innocence à cet égard, parce qu'ils entendent les conférences radio en direct dans les manifestations. Pour les préfets et les ministres, c'est pareil.»

Et de pointer un dilemme : «Les collègues qui font n'importe quoi, il faudra qu'ils assument, mais ce ne sont pas forcément ceux qui auront le plus mal agi qui seront les plus sanctionnés.»

Par ailleurs, le CAP estime que les associations de police occupent l'espace médiatique laissé par les syndicats majoritaires du secteur depuis le début de la crise des Gilets jaunes : «Notre porte-parole, Jean-Pierre Colombies, n'a jamais été autant sollicité par les télévisions qu'en ce moment. Les grands représentants professionnels tels qu'Alliance, Unité et Unsa semblent bien contents de nous laisser jouer les lanceurs d'alerte pour se saisir ensuite de nos arguments lors de leurs négociations avec le ministère de l'Intérieur.»

L'association de policiers de terrain déplore à ce titre une certaine apathie de la part des syndicats : «Ils n'ont rien fait, mais c'est incroyable... Vous imaginez la puissance qu'ils ont actuellement ? S'ils disaient : "On arrête tout, on est fatigués, on baisse les boucliers", Macron serait obligé de faire beaucoup plus pour les Gilets jaunes et pour les policiers aussi ! La preuve, il ne veut surtout pas nous perdre et il nous félicite même pour notre travail depuis l'étranger. Sans nous, il est perdu.»

Leur terrain, c'est plutôt la banlieue, normalement, et là-bas, les consignes sont d'assurer une certaine paix sociale. Par contre, quand on leur dit de nettoyer les Champs, là c'est open-bar.

Le CAP ne joue pas non plus l'avocat du diable et prévient : «On n'appelle pas à désarmer, évidemment. D'ailleurs, les collègues nous disent que si on leur retire les LBD40, ils n'iront plus ! Mais il va se passer quelque chose de grave, on le sait.»

Le policier du collectif prend alors en exemple le cas du Gilet jaune Jérôme Rodrigues, blessé à l’œil le 26 janvier place de la Bastille à Paris : «Elle n'est pas claire cette affaire. D'un côté, Castaner se félicitait de n'avoir jamais vu de policier attaquer un Gilet jaune, mais ensuite, il annonce qu'il y aura des sanctions. Donc on nous dit désormais qu'il faut "nettoyer les rues", mais "attention, pas de bavures". Rodrigues est un pacifique, mais après plus de 10 actes de ces manifestations, les policiers sont aussi fatigués.»

Enfin, le CAP admet que «la majeure partie des incidents» est imputable aux Brigades anti-criminalité (BAC) : «C'est normal, ce sont eux qui sont en première ligne et ce sont aussi eux qui portent les LBD40. C'est aussi ce choix opérationnel qui est critiquable. Les CRS, eux, savent balancer des grenades, mais les BAC sont moins habituées à tirer au LBD et des grenades. Leur terrain, c'est plutôt la banlieue, normalement, et là-bas, les consignes sont de faire attention pour assurer une certaine paix sociale. Par contre, quand on leur dit de nettoyer les Champs [Elysées], là c'est open-bar. D'ailleurs, je remarque qu'en ce moment, dans les banlieues, c'est plutôt tranquille et la raison est simple : on ne dérange pas trop le trafic depuis le début de la crise sociale.»

Antoine Boitel

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