France

Les Gilets jaunes sont-ils vraiment divisés après la création d’une liste aux européennes ?

Fraîchement lancée, la liste de «ralliement d'initiative citoyenne» est parfois présentée comme un événement qui «divise» les Gilets jaunes. Le rejet qu'elle suscite ne renforcerait-il pas, au contraire, la cohésion du mouvement citoyen ?

La constitution de la liste de «ralliement d'initiative citoyenne» (RIC) a été confirmée le 24 janvier par ses premiers membres, et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle peine à susciter l'enthousiasme des Gilets jaunes.

Si cette liste électorale en construction est globalement décrite comme une source de divisions au sein du mouvement citoyen, qu'en est-il réellement ?

En privilégiant la démarche électorale aux européennes – dont le taux de participation, tous pays confondus, est en baisse continue depuis 1979 –, les membres du «ralliement d'initiative citoyenne» semblent avoir mis au second plan l'une des aspirations phares du mouvement citoyen dont ils prétendent pourtant porter la voix : l'instauration d'une démocratie directe. Celle-ci est prônée par les Gilets jaunes, à travers, notamment, l'instauration du référendum d'initiative citoyenne en toute matière, le fameux RIC. Ce dernier doit notamment permettre aux citoyens de voter eux-mêmes les lois, plutôt que d'élire des représentants chargés de le faire. D'aucuns – à l'image du blogueur Etienne Chouard, considéré comme une référence du mouvement des Gilets jaunes – pointent en effet l'incohérence consistant à porter cette revendication par le biais de représentants, qui plus est à l'échelle supranationale. 

Un argument auquel Hayk Shahinyan, directeur de campagne de la liste (avant d'en annoncer son retrait pour «une semaine»), opposait ce 25 janvier à l'antenne de RT France l'urgence de l'engagement politique des Gilets jaunes : «On va pas attendre les municipales ou les législatives. On a besoin d’exister immédiatement sur le champ politique», avait-il affirmé.

Sur le terrain : des Gilets jaunes unanimes

Comme ont pu le constater nombre de nos confrères de la presse régionale lors du onzième acte de la mobilisation, la grande majorité des Gilets jaunes interrogés a exprimé son hostilité à la création d'une liste en leur nom en vue des élections européennes. «"C'est des traîtres !", peut-on entendre ici, "C'est bien pire que ça..." lui répond-on [...] "C'est de la foutaise" [selon] Marie, une retraitée orléanaise», rapportait par exemple ce 27 janvier France Bleu Orléans.

Plusieurs journalistes de RT France, couvrant l'acte 11 des Gilets jaunes à Paris, ont relevé sur le terrain une attitude similaire : le rejet massif par les Gilets jaunes d'un projet mené sans leur aval. Ainsi, dans la capitale, Maxime Nicolle, alias «Fly Rider», une des figures médiatiques du mouvement citoyen, s'est montré catégorique sur les organisateurs du «ralliement d'initiative citoyenne» : «Ils amènent un mouvement qui ne leur appartient pas alors qu’ils n’ont même pas questionné les gens», a-t-il déploré.

De même, Benoît, cheminot vêtu de jaune, a confié au micro de RT France sa réticence à voter pour une telle liste. «Il faut que le mouvement passe un cap», a-t-il en outre estimé, se félicitant de récents appels à la grève.

«La liste n’apporte strictement rien, à part diluer l’opposition à Macron», a considéré Jean-Louis, autre Gilet jaune interviewé par RT France ce 26 janvier.

Une liste rejetée par les Gilets jaunes sur les réseaux sociaux et dans la rue

Le jour du lancement officiel de la liste du «ralliement d'initiative citoyenne», Eric Drouet, le fondateur du groupe Facebook «la France en colère !!!», également figure incontournable du mouvement, décidait de sonder sa communauté de Gilets jaunes sur Facebook. Il leur a demandé s'ils approuvaient le constat suivant : «La liste aux européennes d'Ingrid Levavasseur et d'autres Gilets jaunes ne représente pas le mouvement des Gilets jaunes et ne peux arborer le sigle R.I.C». Sur près de 30 000 votants, plus de 28 400 ont répondu par l'affirmative, exprimant ainsi leur rejet de ladite liste. 

Lire aussi : A peine annoncée, la liste Gilets jaunes aux européennes déjà décriée

De plus, comme le rapporte LCI dans un article consacré aux réactions de Gilets jaunes au lancement de la liste pour les européennes, Priscillia Ludosky, autre personnalité emblématique du mouvement et auteur de la pétition sur les prix du carburant, a estimé qu'une telle liste était «contre-productive».

Autre exemple, l'avocat François Boulo, qui se présente comme l'un des porte-paroles des Gilets jaunes de Rouen et intervient régulièrement sur les plateaux télévisés, a considéré qu'inscrire le mouvement citoyen en vue des élections européennes était «une grave erreur». Dans un tweet, l'homme de loi a fait valoir : «Le parlement européen n’a aucun pouvoir pour améliorer la vie des gens. Or, les Gilets jaunes entendent obtenir des avancées concrètes et immédiates.»

Une liste aux profils contestés...

Toujours sur les réseaux sociaux, la liste du «ralliement d'initiative citoyenne» inquiète également les Gilets jaunes en raison des choix politiques passés de certains de ses premiers membres. Ainsi, un visuel intitulé «La liste Gilets jaunes : en marche toute !» n'a pas tardé à être diffusé sur les réseaux sociaux. L'infographie met en avant plusieurs profils de la fameuse liste, rappelant par exemple qu'Ingrid Levavasseur avait voté Emmanuel Macron au deuxième tour de l'élection présidentielle et qu'elle avait failli être chroniqueuse chez BFM TV (poste qu'elle avait finalement refusé après un déferlement de réactions sur les réseaux sociaux).

Autre fait également mis en avant dans l'infographie : le profil de Marc Doyer, qui a récemment confirmé auprès du site CheckNews.fr de Libération avoir été membre du bureau d’En marche ! dans l’Oise. Le même site rapporte qu'en décembre 2018, ce directeur commercial de 53 ans confiait : «Entre les Gilets jaunes et marcheur, mon cœur balance.»

... et faisant le jeu des macronistes ?

Massivement remise en cause au sein du mouvement des Gilets jaunes, la liste du «ralliement d'initiative citoyenne» correspond par ailleurs à une démarche que le camp Macron n'a eu de cesse d'encourager, dès le début de la mobilisation, comme le rapportait un article du Monde le 17 décembre dernier. «Ce serait la meilleure chose qui pourrait nous arriver», confiait ainsi un dirigeant de La République en marche (LREM) cité par le quotidien du soir.

Toutefois, l'impopularité de cette ligne au sein des Gilets jaunes pourrait contribuer à mettre en exergue le côté indomptable d'un mouvement citoyen qui n'a de cesse, depuis plus de deux mois, de bouleverser le paysage politique français.

Fabien Rives

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