Hyper Cacher, quatre ans après : deux policiers racontent la «panique» de l'intérieur
Deux policiers en service lors de l'intervention de l'Hyper Cacher le 9 janvier 2015 racontent à RT France cette journée comme ils l'ont vécue. En 2015, la France ne semblait pas prête à une telle situation, mais l'est-elle aujourd'hui ?
Un policier, présent en salle de commandement lors de la prise d'otage de l'Hyper Cacher le 9 janvier 2015, a accepté de retracer pour RT France la journée qu'il avait passée : les incertitudes liées à l'assaut concomitant de l'imprimerie où s'étaient retranchés les frères Kouachi et les failles des forces de sécurité avec lesquelles les policiers ont dû composer. Une autre source policière, formée au niveau 2 (formation à la tuerie de masse), sollicitée par RT France, a pour sa part déploré la situation actuelle dans la lutte contre le terrorisme.
Deux jours après l'attaque qui avait endeuillé la rédaction de Charlie hebdo, Amedy Coulibaly devient le suspect principal dans le meurtre d'une policière municipale à Montrouge : Clarissa Jean-Philippe. A 13 heures, le terroriste entre dans l'Hyper Cacher armé d'un fusil d'assaut Kalachnikov, deux pistolets mitrailleurs Skorpion, deux pistolets Tokarev et 15 bâtons de dynamite. Il porte également deux gilets pare-balles. Il tue immédiatement trois personnes, puis une quatrième avant de prendre 17 personnes en otage.
Le rideau de fer de la supérette se baisse et là, ça devient le bordel
En salle de commandement de la police, la riposte s'organise aussitôt. Interrogé par RT France, le policier qui était présent ce jour-là explique : «Il y a au moins deux problèmes dès le commencement de l'intervention. D'une part, l'Hyper Cacher se trouve sur le secteur du XXe arrondissement de Paris, mais à la limite du Val-de-Marne, qui se trouve du l'autre côté du trottoir, il y a donc deux juridictions de police à l’œuvre sur la même intervention. D'autre part, il faut bien comprendre qu'à ce moment-là, on ne sait pas encore qui est responsable de l'attaque. On ignore encore où se trouvent les frères Kouachi, on pense que ça peut être eux. Il y a un gros moment de flou, on bloque les grands axes routiers du nord de Paris... Puis, il est établi qu'il s'agit d'un homme noir. On comprend donc que ce ne sont pas eux.»
Un assaut simultané à Dammartin-en-Goële et à l'Hyper Cacher : le défi pour les forces de l'ordre
Rapidement, les policiers prennent position autour de l'Hyper Cacher et établissent un périmètre de sécurité. La situation va durer jusqu'à 19 heures. «Le Val-de-Marne prend la décision de couper le périphérique qui n'est pourtant pas sous sa responsabilité. Cela déplaît à Paris», relate le policier présent en salle de commandement. Et de déplorer : «Le rideau de fer de la supérette se baisse et là, ça devient le bordel. Des effectifs parisiens se positionnent d'un côté du magasin, et ceux du Val-de-Marne de l'autre. Pire : plusieurs conférences radio [canal de communication] sont alors mises en place, une pour Paris et l'autre pour le Val-de-Marne. On partage mal les informations à ce moment-là. Par ailleurs, la situation de prise d'otage des frères Kouachi se confirme à Dammartin-en-Goële et c'est le groupe d'intervention de la gendarmerie nationale [GIGN] qui est aux commandes là-bas. Or les deux assauts seront forcément liés parce qu'une des premières revendications de Coulibaly est de laisser partir les Kaouchi de l'imprimerie où ils se sont retranchés. Si un assaut est lancé là-bas, celui de l'Hyper Cacher doit être lancé simultanément. Le temps passe et ça en met beaucoup avant que les policiers se décident à travailler sur la même conférence.»
Il y a une gradée qui hurle dans la conférence parce que les collègues font des demandes prioritaires pour tout et n'importe quoi
A ce moment, le stress prend le dessus au sein des forces de l'ordre et les nerfs commencent à lâcher : «Il y a une gradée qui hurle dans la conférence parce que les collègues font des demandes prioritaires pour tout et n'importe quoi. A un moment, dans une situation terroriste, tout devient prioritaire, le moindre passant, le moindre signalement, parfois mal-intentionné, d'un individu suspect qui rôde autour d'une école. Alors quelqu'un demande à la gradée en question de garder son sang-froid. Cela marche, elle redescend. Heureusement, parce que le stress dans la voix à la radio, ça s'entend et ça peut vite virer à la catastrophe si tout le monde panique. Le chef d'état-major rappelle également à chacun qu'il doit travailler sur sa circonscription sans en déborder. Là encore, c'est la bonne décision. Cela ne sert à rien d'envoyer tout le monde au même endroit, on risque le sur-attentat. Entre temps, on a dû se positionner un peu à l'aveugle, du fait du manque de concertation entre les équipes.»
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— RT France (@RTenfrancais) April 3, 2015
La Brigade de recherche et d'intervention (BRI) et le RAID prennent également position. Le temps se fige, plusieurs heures s'écoulent. Les policiers abandonnent les caméras de surveillance de la ville de Paris et se résolvent à regarder les chaînes d'information continue pour suivre la situation.
Sur le terrain, un «échec complet»
Un autre policier intervenu sur le terrain ce jour-là confirme auprès de RT France la confusion : «Sur le papier, Coulibaly est neutralisé, il n'y a pas de mort côté police et les victimes ne sont pas tuées au cours de la prise d'otage à proprement parler. Mais sur le terrain, c'est un échec complet. D'abord, pas de chance, mais lorsque la BRI essaie d'intervenir en faisant péter la porte de derrière afin de pénétrer dans l'établissement, elle ne cède pas. La BRI est derrière, le RAID est devant et la CSI [compagnie de sécurisation et d'intervention de la police nationale] est derrière le camion blindé pour exfiltrer les otages. Là, l'assaut de Dammartin-en-Goële est lancé, le rideau de fer du magasin se lève et Coulibaly sort pour l'assaut final. Un collègue du RAID progresse avec sa colonne, mais il est menacé par un explosif qui a été lancé. Une colonne, elle, avance sans reculer. Elle ne recule jamais, car il faut progresser, pas rester planté comme un piquet. Donc, acculé, le gars choisit une autre voie et il passe devant Coulibaly... Il traverse donc le champ de tir de tous les collègues autour et se prend un paquet de balles dans son gilet qui sont destinées au terroriste !»
Les collègues savent se servir du HK-G36, mais ils ne savent pas se comporter dans un contexte terroriste
Une situation dangereuse exceptionnelle ? Le policier de terrain interrogé estime au contraire qu'il s'agit d'un exemple typique des problèmes qui peuvent se poser sur le terrain : «La doctrine est écrite noir sur blanc, sur le papier, mais le terrain, c'est autre chose. Il faut s'adapter en direct. Ce travail-là ne s'invente pas il faut une formation précise et une expérience. D'ailleurs en salle de commandement, c'est un gardien de la paix qui gérait tout parce que c'était simplement lui qui avait commencé à gérer le début de l'intervention. Il faut avoir la vision de tout ce qui se passe à ce moment-là, se souvenir des endroits précis où on a placé ses hommes. C'est de la stratégie, comme aux échecs. La vue globale est le nerf de la guerre. Certaines personnes ne savent pas faire.»
Trop de membres des forces de l'ordre habilités au niveau 2, et trop vite formés ?
Surtout, ce policier, spécialisé et habilité niveau 2, estime que ses collègues sont trop nombreux à avoir été formé pour ce type d'intervention depuis 2015 : «On est trop d'intervenants aujourd'hui. Nombreux sont ceux qui n'ont pas été assez bien formés mais qui sont niveau 2. Techniquement, les collègues savent se servir du HK-G36 [fusil d'assaut des policiers], ils savent tirer avec, mais ils ne savent pas se comporter avec dans un contexte potentiellement terroriste. Par exemple, si un mec se jette sur un collègue avec une arme à la main, comment savoir si le type a crié "Allah akbar" ou pas ? Ces choses-là ne s'apprennent pas en deux journées de formation au tir. Si vous voulez, c'est comme si on vous apprenait à conduire une Ferrari sur la voie publique et qu'ensuite on vous la mettait au garage en attendant que vous l'utilisiez éventuellement sur circuit... peut-être deux ans plus tard ! Mais la progression en colonne, le positionnement etc., ils sont estampillés niveau 2, mais ils ne savent pas faire.»
Le suspect va vouloir tuer le maximum de monde et défoncer du flic avant de mourir en martyr. Psychologiquement, ça change tout
Cette même source policière précise en outre que certains effectifs du RAID montraient initialement quelques réticences à être affectés aux interventions antiterroristes : «La mission du RAID, auparavant, c'était de régler les situations qui mettaient en scène un retranché. Souvent, ils n'avaient même pas besoin de tirer, tout se réglait en négociations. Mais dans un contexte de prise d'otage commise par un terroriste, c'est très différent, les motivations sont tout autres. Le suspect va vouloir tuer le maximum de monde et défoncer du flic avant de mourir en martyr. Psychologiquement, ça change tout. La négociation ne sert à rien dans ce cas-là et les flics savent qu'ils vont prendre du plomb.»
Et le fonctionnaire de police de déplorer la situation actuelle : «On conforte les collègues dans l'idée qu'ils peuvent faire du niveau 2 et qu'ils font bien le job, mais il y a des unités spécialisées pour ça, normalement, qui ont été préparées par des moniteurs sur de vrais formations longues. Et je vous le dis, j'ai vu des collègues mal formés sur le terrain... Parfois, ils commettent des maladresses qui peuvent coûter cher.»
Si, en quatre ans, la doctrine semble avoir été adaptée depuis les attentats de 2015, à en croire les sources contactées par RT France, beaucoup de travail de concertation reste toutefois à accomplir, notamment sur le partage d'information et la répartition des compétences en matière de formation à la tuerie de masse.
Antoine Boitel