Guerre d'Algérie : première condamnation de l'Etat pour l'accueil «indigne» d'un harki
- Avec AFP
Pour la première fois, le Conseil d’Etat a condamné l’Etat français à indemniser un fils de harki pour l'accueil «indigne» qui lui a été réservé. Ce jugement ouvre la porte à des demandes de ces anciens supplétifs de l'armée française en Algérie.
C'est une victoire judiciaire à lourde charge symbolique : le Conseil d’Etat a pour la première fois condamné l’Etat à indemniser un fils de harki pour l'accueil «indigne» qui lui a été réservé. «La responsabilité pour faute de l'Etat doit être engagée à raison des conditions de vie indignes réservées à l'intéressé» dans les camps dits «de transit et de reclassement» où les harkis sont arrivés dans les années 1960 et 1970, a jugé le Conseil d’Etat dans une décision transmise le 3 octobre.
La plus haute juridiction administrative a condamné l’Etat à payer au requérant 15 000 euros «en réparation des préjudices matériels et moraux» qu'il a subis. Celui-ci réclamait un million d'euros en première instance devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, qui l'avait débouté en 2014.
Mais c'est la première fois que le Conseil d’Etat, saisi d'une demande de réparation liée aux camps de harkis, reconnaît l’Etat responsable et le condamne à verser une indemnisation, ainsi que l'a précisé la juridiction. «Cela ouvre une brèche, et ceux qui ont été enfermés dans ce genre de camps vont maintenant profiter de cette brèche. Les autres harkis, s'ils veulent obtenir des réparations matérielles, vont y aller», a affirmé à l'AFP Fatima Besnaci-Lancou, historienne et cofondatrice de l’association «Harkis et droits de l’homme».
Le requérant était né au camp Joffre, camp de transit et de reclassement des anciens supplétifs de l'armée française en Algérie, situé à Rivesaltes, dans les Pyrénées-Orientales, avant d'être transféré en 1964 au camp de Bias dans le Lot-et-Garonne, «le pire de France, quasiment un camp d'enfermement», selon Fatima Besnaci-Lancou, où il a vécu jusqu’en 1975 .
Dans ces camps, les conditions d'accueil et de vie ont entraîné chez le plaignant «des séquelles qui ont exigé un accompagnement médico-psycho-social» et «ont aussi fait obstacle à son apprentissage du français», précise le Conseil d’Etat.
Une condamnation qui constituera un «précédent»
«Cette condamnation crée un précédent, mais il était attendu, après la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat français dans le sort des harkis par François Hollande en 2016», a ajouté Fatima Besnaci-Lancou. L'ancien président de la République avait alors reconnu les responsabilités de la France dans «l'abandon» des harkis.
Sur les quelque 150 000 Algériens recrutés par l'armée française comme auxiliaires durant la guerre d'Algérie (1954-1962), environ 60 000 sont parvenus à partir pour la métropole avec les «pieds-noirs» en 1962. Mais leur accueil s'est fait dans des conditions précaires : camps, hameaux de forestage et cités urbaines ; sans réelles perspectives d'intégration pour eux-mêmes ou pour leurs enfants. Les autres ont été livrés à leur sort en Algérie où le nouveau régime les considérait comme des traîtres.
Les harkis «attendent une reconnaissance de l’Etat français pour ce qu'ils ont fait pour la France», a convenu en septembre la secrétaire d’Etat auprès de la ministre des armées, Geneviève Darrieussecq, en présentant un «plan harkis» de 40 millions d'euros destiné à revaloriser les pensions des anciens combattants et à venir en aide à ceux de leurs enfants qui vivent dans la précarité. Après avoir promu en septembre d'anciens combattants harkis et des représentants d'associations dans l'ordre de la Légion d'honneur, le chef de l’Etat doit aussi présider dans les prochains mois une cérémonie d'hommage exceptionnelle, selon Geneviève Darrieussecq. Après la reconnaissance, le 13 septembre, de la mort aux mains de l'armée française de l'opposant communiste Maurice Audin pendant la guerre d'Algérie, le gouvernement avait ainsi pris une nouvelle initiative visant à «travailler sur l'apaisement des mémoires» autour de cette page douloureuse de l'Histoire française.
Cependant, dans sa décision, le Conseil d’Etat a une nouvelle fois refusé de se prononcer sur le préjudice lié, selon le requérant, à l'absence de rapatriement des harkis après la signature des accords d'Evian le 18 mars 1962, qui ont consacré la défaite française en Algérie. «Conformément à sa jurisprudence, le juge ne contrôle pas [...] les actes qui se rattachent à l’action du gouvernement dans la conduite des relations internationales et leurs éventuelles conséquences», précise la juridiction.
Lire aussi : L’Algérie veut recenser «les crimes coloniaux» perpétrés par la France