Orientation des étudiants : pourquoi la loi ORE soulève-t-elle tant d'opposition ? (DECRYPTAGE)
Promulguée le 8 mars, la loi sur l'orientation et la réussite des étudiants rencontre actuellement une forte contestation. RT décrypte pour vous le contenu de cette réforme. En cause : les nouvelles modalités d'entrée en premier cycle.
L'année 2018-2019 verra l'afflux à l'université des enfants du baby-boom de l'an 2000. Le nombre toujours croissant d'étudiants, la saturation de certaines filières et le taux d'échec important en première année universitaire – seuls 40,1% des étudiants passent en deuxième année –représentent un véritable casse-tête pour les autorités et le corps professoral. Mais les deux parties ne partagent pas toujours la même vision des solutions à apporter à ces problématiques bien réelles.
«Processus qualitatif» ou «sélection»?
Après le tirage au sort pour les filières saturées, la nouvelle loi relative à l'orientation et la réussite des étudiants (ORE) rencontre une forte contestation dans le monde étudiant.
Deux blocs s'affrontent depuis plusieurs semaines. D'un côté le gouvernement soutenu notamment par des présidents d'universités, de l'autre, de nombreux étudiants et enseignants contestataires. Ainsi, des mouvements de grève et des blocages – générant parfois des violences avec des groupes anti-blocage – ont eu lieu dans une cinquantaine d'universités françaises depuis fin mars.
Portée par la ministre de l'Enseignement supérieur Frédérique Vidal et promulguée le 8 mars 2018 par Emmanuel Macron, la loi ORE prévoit, entre autres réformes, la mise en place de nouvelles modalités d'admission en premier cycle à l'université. «Cette loi tourne la page d’un système absurde d’une sélection par tirage au sort. Ce sont les équipes pédagogiques des universités qui analyseront les dossiers. Quand il y a plus de candidats que de places, c’est ce processus qualitatif qui adviendra», avait déclaré le chef de l’Etat lors de la promulgation. En clair, chaque université traitera désormais les demandes d’inscription de manière personnalisée en répondant selon les «attendus» de la filière souhaitée par l'étudiant.
Ce que le président de la République qualifie de «processus qualitatif» est vu par les opposants à la loi ORE comme une «sélection» remettant en cause le principe d'une université ouverte à tous. Reprochant à cette loi de «remplacer la sélection par de la sélection», ils font valoir que le gouvernement, au lieu d'augmenter les moyens de l'enseignement supérieur, accroîtrait au contraire les inégalités entre les étudiants. Côté politiques, Jean-Luc Mélenchon avait ainsi dénoncé dès le 12 décembre devant l'Assemblée nationale une volonté «d'établir un marché de l'enseignement supérieur». Taclant le gouvernement, le leader de La France insoumise (LFI) avait lancé : «Vous ajustez le nombre d’étudiants au nombre de places disponibles, nous voulons faire l'inverse.»
Les algorithmes de «Parcoursup»
La loi ORE a entraîné le remplacement de la plateforme d'admission post-bac (APB) par Parcoursup, la nouvelle plateforme d'admission dans l'enseignement supérieur.
Concrètement, les nouvelles modalités d'admission en premier cycle impliqueront l'intervention des professeurs secondés par des programmes informatiques. Dans les nombreuses filières où il y a moins de places que de candidats, des commissions d’examen des vœux examineront des milliers de dossiers puis les classeront dans des piles : «oui», «oui si», «en attente» et «non». Pour faciliter le traitement de ce travail titanesque aux équipes pédagogiques, le ministère propose «un outil d’aide à la décision». En clair, il s'agit d'algorithmes qui évalueront les quatre grands critères qui compteront dans la caractérisation des dossiers des futurs étudiants. Outre les notes au bac, les bulletins de Terminale et de Première entreront en ligne de compte. Certaines filières très sélectives pourront remonter jusqu'aux résultats du collège. Ensuite, critères plus subjectifs, «le projet de formation motivé», par le biais d'une lettre de motivation et les «fiches Avenir» remplies par les professeurs principaux et les proviseurs des lycées.
Un travail supplémentaire pour les professeurs
L'effort que ce tri demandera aux enseignants du secondaire et de l'université est loin de faire l'unanimité. Déjà, dans les établissements, des voix se font entendre à travers le vote de motions dénonçant l'accroissement de la charge de travail supplémentaire des personnels enseignants et administratifs «alors même que la dégradation des conditions de travail est préoccupante depuis plusieurs années». Dans une tribune au Monde le 6 avril, plus de 200 enseignants à l’université expliquent pourquoi ils ne veulent pas classer les candidatures des bacheliers : « Nous refusons de porter un jugement sur les espoirs, les aspirations et la capacité de chacun à réaliser ses rêves.»
Des enseignants dénoncent une «fake news» de la ministre
Quand un étudiant n'est pas retenu dans la formation qu'il a demandée, l'université doit lui proposer des parcours d’accompagnement. Le gouvernement a également annoncé la mise en place de cours de mise à niveau pour les étudiants jugés le plus en difficulté.
Dans une tribune à France Info publiée le 10 avril, 425 enseignants dénonçaient «une sélection hypocrite», relevant le fait que les responsables gouvernementaux refusent d'utiliser le terme de «sélection». Les signataires de cette tribune se demandent avec quels moyens le gouvernement compte mettre ce projet en place et ne mâchent pas leurs mots, fustigeant un effet d'annonce : «L'affirmation récente de Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, qui évoque un milliard d'euros destiné à la refonte du premier cycle est une "fake news", c'est-à-dire, en réalité et en français, de la propagande. Un milliard d'euros représente 7,5% du budget total 2018 de l'Enseignement supérieur (13,4 milliards d'euros). Une dotation supplémentaire d'un milliard d'euros, rien que pour le premier cycle, devrait être largement visible, ce qui n'est pas le cas. Et, à notre connaissance, aucune loi rectificative du budget n'est annoncée.»
Cette tribune a depuis été convertie en pétition initiée par des «universitaires» et a recueilli plus de 7 000 signatures.
La Conférence des présidents d’université soutient la réforme
Des outils très efficaces pour réduire les inégalités sociales à l’entrée de l’enseignement supérieur
Dans une lettre aux présidentes et présidents d'université publiée le 9 avril, Gilles Roussel, président de la Conférence des présidents d’université (CPU), tient à «ne pas laisser les seuls opposants communiquer et très souvent propager des contre-vérités sur cette réforme» qu'il approuve. Il a réaffirmé tout son soutien à «[ses] collègues dont les sites sont actuellement occupés et à ceux qui font tout leur possible pour que ce ne soit pas le cas». Pour Gilles Roussel, en aucun cas cette loi n'opère une sélection. Réaffirmant son attachement au fait que tous les étudiants puissent accéder à l'enseignement supérieur, il a assuré que «l’étude du parcours antérieur de l’élève et un accompagnement adapté en première année sont potentiellement des outils très efficaces pour réduire les inégalités sociales à l’entrée de l’enseignement supérieur et donner les meilleures chances de réussite à tous». Une vision très opposée à celle de Jean-Luc Mélenchon, qui a déclaré : «La liberté de choisir les études que l'on fait se confond avec la liberté de choisir sa vie et c'est contre cela que vous allez.»
Le bras de fer qui oppose le gouvernement à ce mouvement social estudiantin dure depuis plusieurs semaines. Chaque camp se dit déterminé à aller jusqu'au bout. La coordination nationale étudiante (CNE) a appelé à manifester le 14 avril et à se «joindre à la journée nationale de grève du 19 avril», proposée par la CGT.