Salon de l'agriculture : en terrain hostile, Emmanuel Macron parviendra-t-il à séduire ?
Le président français redouble d'efforts pour séduire les exploitants agricoles. Alors que s'ouvre le salon de l'agriculture, le discours très «start-up» d'Emmanuel Macron parviendra-t-il à convaincre le monde agricole, loin de lui être acquis ?
Le 22 février, Emmanuel Macron a convoqué à l’Elysée plus d’un millier de jeunes agriculteurs de moins de 35 ans installés depuis moins d’un an. Il les a gratifiés d’un discours offensif et volontariste pour définir les stratégies agricoles de l'avenir à ceux qui vont les incarner. «Je ne suis pas en train de préparer mon samedi», a-t-il averti, assurant préparer l’avenir et voir plus loin que sa visite du salon de l’agriculture deux jours plus tard.
Emmanuel Macron n’a pas caché son manque d’enthousiasme face au rendez-vous annuel des agriculteurs français où, en 2017, son crâne avait eu la mauvaise surprise de servir de piste d’atterrissage à œufs. «Je me fiche de préparer l'ambiance de samedi, je construis le visage de la France agricole des prochaines années», a-t-il annoncé au parterre de jeunes exploitants. Durant son allocution d'une heure, Emmanuel Macron n’aura pas eu de mots assez durs pour ses opposants, «les grands défenseurs de l’agriculture en parole travaillant dans les actes à maintenir le statu quo». Il a fustigé agriculteurs et responsables du secteurs qui «agitent la peur». «Je les croiserai samedi et les regarderai dans les yeux», a-t-il tonné.
Je ne suis pas là pour plaire. Je suis là pour faire.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 22 février 2018
Ce que nous faisons ne plaît pas à tous ceux qui vivent sur des mensonges et agitent la peur. Je les croiserai samedi et les regarderai dans les yeux. pic.twitter.com/uNfVPoLuKF
Un sondage Odoxa-Dentsu Consulting pour franceinfo et Le Figaro paru le 23 février montre que 69% des personnes interrogées jugent le chef de l'État «plutôt éloigné» des préoccupations de la France rurale. Ces dernières semaines ont été émaillées de manifestations d’agriculteurs pour protester contre la mise en œuvre de réformes agricoles suivant des injonctions européennes.
Emmanuel Macron, qui défie la vieille garde «du système», selon lui défavorable à la majorité du secteur, essaie aussi de soigner les agriculteurs, un électorat qui ne lui est pas favorable. Après une cérémonie de présentation des vœux particulièrement léchée dans le Puy-de-Dôme le 25 janvier, il a invité à l’Elysée les acteurs susceptibles de suivre sa feuille de route, dans laquelle on retrouve les leitmotivs du macronisme : volontarisme, économie de marché et entrepreneuriat. Il a ainsi annoncé un vent de changement dans les campagnes : «des marchés nouveaux, une concurrence nouvelle, des habitudes sociales nouvelles, des technologies nouvelles : une vraie mutation.»
Mesures et lois nouvelles : quand Emmanuel Macron tente de faire passer la pilule
Le président français sait que les sujets qui fâchent sont nombreux et garde indubitablement à l'esprit le souvenir des manifestations d'agriculteurs survenues un peu plus tôt dans le mois contre la réforme des zones défavorisées, à savoir la nouvelle carte des communes pouvant percevoir des aides, afin de remplir des conditions posées par Bruxelles. Si davantage de communes seront éligibles, certaines seront désormais exclues de cet avantage. Cette situation a entraîné une vive fronde dans les communes lésées comme le Loiret, le Cher, l'Indre-et-Loire, l’Aveyron, le Gers... «Il y a 1380 communes qui sortiront et 4900 communes qui entrent et plus de moyens alloués, mais ceux qui rentrent et qui auront les moyens ne disent pas merci», s’est défendu le président qui a déploré le fait que seuls les mécontents s'expriment. Ces derniers bénéficieront selon lui d’un sas de deux ans et d’un accompagnement pour comme des aides d'investissement vers la mécanisation, le photovoltaïque…
Autre sujet qui fâche : les prix de la grande distribution, sans cesse tirés vers le bas, qui contraignent un grand nombre d’agriculteurs à vendre à perte. Les Etats Généraux de l'alimentation avaient permis l'édiction d'une charte dans laquelle les grandes surfaces s’engageaient à proposer de meilleurs prix. Or, dans la réalité, elles n’ont pas respecté leurs promesses, provoquant la fureur des agriculteurs qui ont bloqué l’accès aux grandes surfaces ces dernières semaines et ont déversé du fumier devant les enseignes. Emmanuel Macron est monté au créneau, rappelant que la situation était sous contrôle et qu'une loi sur le juste prix des grandes surfaces devait bientôt voir le jour. «Ce ne sont pas des promesses ! Je me suis engagé, le texte législatif sortira au printemps», a-t-il affirmé, vantant des «actions concrètes».
Pourtant, le juste prix se mérite. En échange d'un «système qui arrête de sous-payer les gens et d'acheter moins cher que le coût de production», Emmanuel Macron préconise une «vraie révolution culturelle» consistant dans le passage «d’exploitant agricole à entrepreneur agricole». Une transformation qui s’accompagne de la création d’«une stratégie de filière», avec des plans pour redéfinir «le transport, l’exportation, la transformation, le passage par le bio, le circuit court»… Une refonte en profondeur du métier d'agriculteur. Les exploitants seront-ils être sensibles au discours made in start-up du président de la République ?
Un mot clef : la confiance.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 22 février 2018
Nous avons les atouts pour mener une vraie révolution culturelle. pic.twitter.com/YLmBljMZ8p
Troisième dossier, un des plus lourds : l’accord du Mercosur, qui a donné lieu à de nombreuses manifestations le 20 février dans toute la France. Il s'agit d'un projet d'accord commercial européen de libre-échange avec les pays d'Amérique latine, comme le Brésil, l'Argentine, l'Uruguay et le Paraguay. Si la France l'acceptait, entre 50 000 et 70 000 de tonnes de viande bovine, 80 000 tonnes de volailles et de grands volumes de sucre pourraient inonder le marché européen, et venir concurrencer des filières déjà très développées en France.
Loin de rétro-pédaler sur un accord qui n’est pas encore signé, Emmanuel Macron l’a défendu, au risque d’écœurer encore davantage les éleveurs des filières en souffrance. Selon lui, une précédente version de l’accord, «mauvaise pour les agriculteurs», a été repoussé à sa demande. Dans sa version actuelle, le texte serait «bon pour de nombreuses filières agricoles, pour l’économie française», et le pays aurait un «intérêt offensif à l’adopter». Le chef de l'Etat s’est ainsi insurgé contre le procès fait à l'accord avec le Mercosur alors que la filière bovine connaîtrait selon lui des problèmes structurels, comme un manque d’organisation et d'investissements, qui seraient bien plus graves. Il a aussi vilipendé ceux qui avaient concouru à faire perdurer le système «parce qu’il est bon pour eux».
Il n'y aura aucune réduction de nos standards de qualité. Il n'y aura jamais de bœuf aux hormones en France.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 22 février 2018
Enfin, Emmanuel Macron a annoncé le montant du budget qu’il souhaitait consacrer au monde agricole : cinq milliards d'euros distribués notamment via divers investissements dans des «projets transformant», comme la rénovation de bâtiments pour plus de confort pour l’homme et l’animal. Il souhaite aussi faciliter la reprise des installations par les jeunes grâce à divers «partages financiers».
La filière agro-alimentaire a un besoin global d'investissement si nous voulons réussir sur nos territoires. Cet engagement d'investissement de 5 milliards d'euros sera tenu :https://t.co/vuI1d7BwJ6
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 22 février 2018
Ce discours très volontariste arrivera-t-il à charmer un auditoire plutôt conservateur ? Première réponse au salon de l'Agriculture...