Pourquoi 70 policiers des stups ont-ils déposé leurs armes ?

Pourquoi 70 policiers des stups ont-ils déposé leurs armes ?© Pierre Verdy
L'ancien ministre de l'Intérieur Claude Guéant et l'ancien patron des stups François Thierry (tout à gauche) lors d'une saisie de drogue en mars 2011.
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Leurs méthodes d'enquête contestées ont conduit à la mise en examen de trois collègues, dont leur ex-patron. 70 policiers de la lutte anti-drogue ont déposé les armes en signe de protestation. Pourquoi cette crise au sein des stups ?

L'événement n'est pas banal : ils étaient 70 policiers de l'office central de la lutte contre le trafic illicite de stupéfiants (Ocrtis), basé à Nanterre (Hauts-de-Seine), à déposer leurs armes le 16 octobre. Ils marquaient ainsi leur protestation face à la mise en examen de trois de leurs collègues, un ex-commissaire, un officier du service et un policier, pour complicité de trafic de drogue. 

En cause : leurs méthodes d’enquête, comme la «livraison surveillée», une technique très courante de l'Ocrtis qui permet aux enquêteurs de suivre une grande quantité de marchandises pour démanteler les réseaux. Elle est suspectée de donner lieu à des protections et à des corruptions.

Les policiers ayant déposé leurs armes manifestent leur peur de se retrouver au tribunal à cause de cette pratique professionnelle qui n’avait pas jusqu’ici suscité l'attention de la justice. Ils ont prévenu que d’autres actions de contestation étaient à prévoir.

Le patron des stups devant les juges

Tout a commencé avec la chute du «superflic» médiatique, l’ancien directeur de la lutte anti-drogue, le commissaire François Thierry (muté en mars 2016 à la sous-direction anti-terroriste). Malgré ses succès incontestés, il a été mis en examen le 25 août 2017 en compagnie de 13 autres personnes pour «complicité de détention, transport et acquisition de stupéfiants» et «complicité d'exportation de stupéfiants en bande organisée». L'affaire n'est pas encore jugée, mais le procureur général de Paris lui a retiré l'habilitation d'officier de police judiciaire (OPJ) le 10 octobre. 

Les juges mettent en cause la saisie record de sept tonnes de cannabis opérée le 17 octobre 2015 par la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (Dnred). Cette drogue avait été entreposée dans des camionnettes stationnées dans le XVIe arrondissement de Paris, au pied de l’immeuble du narcotrafiquant Sofiane Hambli. Il aura fallu attendre deux jours pour que François Thierry dévoile que cette découverte ne relevait pas d’un hasard mais d'une «livraison surveillée» pilotée par son équipe et le trafiquant.

Bien que la méthode de la «livraison surveillée» soit autorisée, elle ne peut pas s’accomplir au profit d’un informateur de la police, qui ne doit en aucun cas être destinataire de la drogue. Or les juges suspectent que Sofiane Hambli l’était et qu’il ne s’agissait pas juste de sept tonnes importées mais de 40. Les enquêteurs du parquet de Paris ont dessaisi l’Octris lorsqu’ils ont soupçonné François Thierry de ne pas avoir informé les autorités judiciaires de tous les détails de l’opération et du rôle de son indic. Ils l'accusent plus généralement d’avoir couvert les activités de Sofiane Hambli, écroué depuis, dont le commerce prospérait et qui possédait 40 millions d'euros sur divers comptes selon les informations de Libération.

Cela fait des années que les méthodes sont validées et que le règlement est appliqué.

Contacté par RT France, Benoît Barret, secrétaire national du syndicat Alliance pour la province, refuse de s'exprimer sur l'affaire en cours d'instruction, mais s'étonne que ces techniques appliquées de longue date fassent aujourd'hui l'objet de suspicions : «Ces pratiques sont connues par les différentes juridictions mais il y a visiblement un retour en arrière, avec une justice qui vérifie ces pratiques et considère qu'elles ne répondraient pas entièrement à la loi. Pourtant, cela fait des années que les méthodes sont validées et que le règlement est appliqué.»

Les policiers des stups craignent que la justice ne s’attaquent à eux

Depuis l'enquête sur François Thierry, deux autres policiers du service, dont un officier, ont été mis en examen dans une autre affaire par des juges d’instruction de la Juridiction interrégionale spécialisée (Jirs) de Paris, qui leur reprochent la même chose : leurs indics ne se contenteraient pas de «balancer» mais ils bénéficieraient aussi du trafic.

Dès lors, les policiers de l'Octris se mobilisent pour leurs supérieurs et craignent aussi d'être inquiétés s’ils suivent les procédures habituelles pour piéger les trafiquants. Dans un communiqué dévoilé par Libération, les policiers se plaignent du «climat délétère» avec les juges parisiens. «Ces magistrats, dans des instructions menées uniquement à charge, ont décidé de remettre en cause une pratique policière éprouvée depuis des années par les enquêteurs», écrivent-ils dans ce document visible sur les réseaux sociaux.

Et d’ajouter qu’ils refusent d'être considérés comme de «vulgaires délinquants». Méfiants, ils ont décidé de «ne plus acter dans les procédures conduites par la Jirs». Ils prévoient d’autres actions de contestation dans un futur proche.

«L'organisation qui lutte contre le trafic de stupéfiants est très spécialisée et très sensible, la drogue est un véritable fléau contre lequel on doit déployer des méthodes inédites. Il existe des techniques policières d'infiltration connues : si on ne surveille pas des livraisons, comment interpeller les trafiquants ?», s'interroge Benoît Barret.

Si demain nos policiers craignent d'être plus ennuyés par la justice qu'un trafiquant de drogue, ça n'ira pas.

Le syndicaliste a confié à RT France le «véritable malaise» des policiers. «La lutte contre la drogue est sans fond et compliquée et nécessite ces méthodes légales et connues», explique-t-il. Puisque la justice a «soudain déclaré que ce n'était plus réglementaire», Benoît Barret plaide pour une sécurité juridique des méthodes employées. «Si on fait son maximum et qu'on se retrouve mis en examen, et bien on déposera les armes, tant que les principes de travail ne seront pas mieux définis. Si demain nos policiers craignent d'être plus ennuyés par la justice qu'un trafiquant de drogue, ça n'ira pas», conclut-il.

 

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