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Football, soupçons de terrorisme, investissements... : quel avenir pour la relation France-Qatar ?

Le Qatar entretient une relation privilégiée avec la France, où il investit massivement - et s'il y a ses détracteurs, il y a aussi ses soutiens. Après la rupture diplomatique entre Doha et plusieurs pays du Golfe, que faut-il attendre de la France ?

C'est un véritable séisme diplomatique qui vient d'avoir lieu le 5 juin : 15 jours après la visite à Riyad du président américain Donald Trump qui avait demandé aux pays musulmans d'agir de manière décisive contre l'extrémisme religieux, l'Arabie saoudite, l'Egypte, le Barhein, et les Emirats arabes unis ont tous annoncé la rupture de leurs relations diplomatiques avec le Qatar.

Depuis plusieurs années, ce richissime état gazier du Golfe s'est lancé dans une politique d'investissements tous azimuts dans le monde, et plus particulièrement en Europe. En dépit de son rôle controversé dans le soutien à plusieurs courants islamistes, le Qatar est bien implanté dans le paysage économique et diplomatique de la France.

La rupture annoncée entre Doha et l'Arabie saoudite, l'Egypte et Bahrein aura-t-elle alors des conséquences en France ? Si l'émirat y compte des opposants, il y est également soutenu par plusieurs personnalités de haut rang. Il y détient en outre de très nombreux intérêts financiers. Pour autant, depuis le relatif alignement de la diplomatie française sur la ligne de l'Arabie saoudite amorcé sous François Hollande, la relation étroite entre Paris et Doha bat de l'aile.

La question qatarie agite la politique française depuis près de 10 ans

Le 9 avril dernier, sur le plateau de BFM-TV, Emmanuel Macron, alors encore candidat à la présidentielle, avait assuré qu'il comptait «mettre fin aux accords qui favorisent en France le Qatar». «Je pense qu'il y a eu beaucoup de complaisance, durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy en particulier», avait-il déclaré. Dans Une France sous influence, un livre explosif paru en 2016 et écrit par les journalistes Vanessa Ratignier et Pierre Péan, les liens particuliers entretenus par Nicolas Sarkozy avec la famille régnante dans l'émirat étaient détaillés et violemment critiqués, les auteurs n'hésitant pas à évoquer des soupçons de corruption. En 2008, l'émir de l'époque, Khalifa bin Hamad Al Thani, avait été invité par Nicolas Sarkozy au défilé du 14 juillet sur les Champs-Elysées.

S'il est difficile d'affirmer pour l'instant que la rupture diplomatique qui vient d'avoir lieu dans le Golfe motivera la France à s'engager sur cette même voix, force est de constater que les critiques à l'égard du Qatar en France ne sont pas récentes. Le Front national critique régulièrement la «bienveillance» de certains dirigeants politiques français à l'égard de Doha. Juste après les attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo, Florian Philippot avait directement mis en cause le Qatar sur Radio Classique et LCI affirmant : «Ce pays finance l'islamisme qui tue.» Le Qatar avait alors, fait rarissime, porté plainte contre le dirigeant du Front national. A droite comme à gauche, les liens étroits entre le Qatar et certains mouvements politiques et religieux attisent la méfiance.

Pour autant, le Qatar compte aussi des soutiens plus ou moins ponctuels dans le paysage politique français. Certains le sont par leurs discours, comme Anne Hidalgo, qui vantait un Qatar «féministe et gay-friendly» en juin 2015, ou qui déclarait, à propos de la plainte déposée par Doha contre Florian Philippot : «Je pense que s'ils se sentent insultés, ils ont raison d'avoir recours au droit.» D'autres le sont davantage par leurs liens personnels et financiers avec l'émirat. Dans le livre paru en 2016 Nos très chers émirs les journalistes Christian Chesnot et Georges Malbrunot révélaient les relations étroites entre plusieurs dirigeants français et Doha. Jack Lang, Rachida Dati, Jean-Marie Le Guen, Dominique de Villepin... Les auteurs présentaient une longue liste de responsables politiques ayant pour habitude de profiter des largesses de Doha. 

Une relation privilégiée avec la France et des investissements massifs

Au-delà d'une éventuelle évolution des relations françaises vis à vis du Qatar, les intérêts de l'émirat en France demeurent à la fois anciens et particulièrement conséquents. Parmi les pays européens, la France fait presque figure de privilégiée dans sa relation avec Doha – elle fut d'ailleurs parmi les premiers pays à ouvrir une ambassade qatarie sur son sol, en 1972, soit un an seulement après l'indépendance du Qatar. Peu de temps après, le cheikh Khalifa ben Hamad Al Thani avait acquis une propriété dans le sud de la France, inaugurant par ailleurs la tradition d'employer des précepteurs français pour donner aux enfants de sa famille une éducation francophone. Tamim ben Hamad El Thani, nouvel émir du Qatar depuis 2013, a d'ailleurs choisi la France comme pays pour son premier déplacement officiel dans l'Union européenne.

Entretenant des relations diplomatiques intenses, la France et le Qatar organisent régulièrement des rencontres bilatérales où les négociations commerciales jouent souvent le premier rôle. Depuis 2008, les investisseurs qataris jouissent même d’un régime fiscal d'exception qui les exempte d’impôt sur les plus-values immobilières et d'impôt sur la fortune durant leurs cinq premières années de résidence en France. Ceux-ci en ont ainsi profité pour investir dans des entreprises du secteur du luxe, comme LVMH, pour acquérir les magasins du Printemps, le prestigieux prix hippique de l'Arc de Triomphe, plusieurs hôtels particuliers dans la capitale française ou encore pour acheter entièrement ou partiellement des grands hôtels, comme le Carlton et le Martinez à Cannes, ou l'Hôtel du Louvre à Paris.

Cependant, depuis quelques années, le Qatar diversifie ses investissements dans l'Hexagone, accordant désormais une certaine importance au secteur culturel, industriel et militaire. En 2015, François Hollande avait effectué son deuxième déplacement en deux ans à Doha pour y signer un contrat de vente de 24 avions de combat français Rafale. Mais l'actif qatari le plus emblématique en France est sans conteste le club du Paris Saint-Germain, acquis en 2011. Le Qatar possède également la chaîne de télévision beIN sport France. Il est, en outre, le premier actionnaire du groupe de média et d'édition Lagardère, qui possède entre autres Paris Match, Elle, le Journal du dimanche ou encore Europe 1. Le Figaro affirme que le Qatar serait également présent au capital de plusieurs fleurons économiques français, comme EADS, Vinci, Total, Veolia, Vivendi ou Orange...

Soupçons de terrorisme et impopularité

La présidence de François Hollande aura néanmoins été marquée par une certaine évolution de l'orientation diplomatique française vis à vis de Doha. Comme le note le journaliste et écrivain spécialiste du Moyen-Orient, Richard Labévière, dans un entretien accordé à RT, sous le quinquennat de François Hollande, la France a privilégié les relations avec l’Arabie saoudite au détriment du Qatar. Autrement dit, une rupture diplomatique avec le Qatar est d'autant moins probable de la part de la France que les deux pays ont déjà amorcé un certain éloignement. Richard Labévière estime par ailleurs que «la même politique va se poursuivre avec Emmanuel Macron», notant que le cabinet de Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense sous François Hollande et désormais ministre des Affaires étrangères, est composé majoritairement de «néo-conservateurs favorisant l’Arabie saoudite pour les questions financières et de signatures de contrat».

Depuis environ cinq ans, le Qatar a vu son image évoluer, notamment en Occident. Depuis les printemps arabes, le pays est en effet l'un des principaux bailleurs de fonds des Frères musulmans en Egypte et des groupes proches de cette confrérie dans les pays voisins (notamment en Syrie, en Libye et en Tunisie). Le pays a soutenu avec ferveur l'ancien président égyptien Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans, et a qualifié de «coup d'Etat» son éviction par Abdel Fattah al-Sissi en 2013. L'ancien dirigeant du Hamas palestinien, Khaled Mechaal, est également basé au Qatar, et les taliban afghans y disposent d'un bureau. Autant d'engagements qui ont considérablement détérioré la perception du Qatar en France. «L'idée selon laquelle le Qatar financerait ou soutiendrait d'une quelconque manière des terroristes et le terrorisme semble être devenue un présupposé communément admis au sein du débat sur l'extrémisme en Europe», confesse même l'ambassadeur du Qatar à Paris interrogé par l'AFP.

Récemment, les soupçons envers l'émirat se sont considérablement accentués, notamment après la publication par Wikileaks en 2010 d'une note diplomatique américaine qualifiant le Qatar de «pire pays dans la région» en termes de coopération avec Washington pour tarir le financement des groupes extrémistes. Doha aurait, selon la note, une approche «largement passive» et ses services de sécurité «ont été hésitants à agir contre des terroristes connus», de peur d'apparaître trop proches des Etats-Unis. Par ailleurs, le Qatar est régulièrement soupçonné de laxisme dans la lutte contre le financement par des fonds privés d'organisations terroristes.

Si le Qatar réfute systématiquement les reproches qui lui sont faits concernant son soutien présumé au terrorisme, les soupçons, à force de s'accumuler, finissent par attiser une réelle méfiance dans l'opinion occidentale et française. Selon un sondage BVA de 2015, près de 85% des Français auraient une mauvaise image du Qatar. Récemment, des supporters du club de foot de Bastia avaient, lors d'une rencontre opposant leur équipe à celle de Paris, déployé une banderole qui avait déclenché de vifs débats. Sur celle-ci, on pouvait lire : «Le Qatar finance le PSG... et le terrorisme.» Le pays, qui devrait organiser les championnats du monde de football en 2022 et s'est déjà engagé dans des travaux d'infrastructures chiffrés à 177 milliards d'euros, doit par ailleurs faire face aux accusations de plusieurs ONG de défense des droits de l'homme concernant les conditions de travail des ouvriers étrangers employés sur les chantiers. 

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