Le texte posthume de Charb sur l'islamophobie censuré à Lille et à Avignon
Le dessinateur avait rédigé un pamphlet dénonçant autant la haine de l'islam que le terme d'«islamophobie» qui conduirait à interdire le blasphème. L'adaptation scénique fait aujourd'hui l'objet d'une «censure sécuritaire» selon son metteur en scène.
L'adaptation théâtrale d'un texte de Charb, directeur de la publication de Charlie Hebdo assassiné le 7 janvier 2015, a été annulée par l'Université de Lille-2 et par la Maison régionale de l'environnement et des solidarités de Lille. Deux représentations scénographiques de cette Lettre aux escrocs de l'islamophobie qui font le jeu des racistes devaient s'y tenir, respectivement le 21 mars dernier et le 2 mai prochain. Le spectacle s'est également vu fermer les portes de deux théâtres à Avignon, qui avaient pourtant d'abord donné leur feu vert pour une représentation dans le cadre du festival de cet été, comme le raconte La Provence.
Echange tendu entre Benoît #Hamon et Laurent #Wauquiez sur la place de l'#islam en France https://t.co/ASmlaQnEvSpic.twitter.com/NWkvl5qCWq
— RT France (@RTenfrancais) 12 mars 2017
«Avoir peur de l'islam est sans doute crétin, absurde, et plein d'autres choses encore – mais ce n'est pas un délit», lit-on notamment dans ce texte. Dénonçant l'emploi du terme d'«islamophobie» qu'il qualifiait de «dangereux», Charb livrait dans cet écrit sa vision de la lutte contre la haine de l'islam. Celle-ci ne devait pas, selon lui, tomber dans le piège d'une confusion avec une lutte contre le racisme – au risque de reconnaître à une religion un statut intouchable. Il avait rédigé ce texte en réponse aux attaques dont le journal satirique faisait régulièrement l'objet, notamment à cause de ses caricatures représentant le prophète de l'islam.
Pour le président de Lille-2, Xavier Vandendriessche, interrogé par La Voix du Nord, la déprogrammation du spectacle, compte tenu de son contenu sensible, s'explique par une «crainte des débordements». «Le climat et l'ambiance sont si lourds», explique-t-il encore. Interrogé par Le Figaro, Gérard Minet, secrétaire de la section lilloise de la Ligue des droits de l'homme (LDH), explique quant à lui ne pas vouloir prendre parti dans l'affaire, car ses «militants craignent de cautionner au final une ligne politique» critique envers l'islam.
«Islamophobie» : un terme qui fait débat, un sujet qui fait peur ?
En effet, la question de la pertinence du concept d'«islamophobie» est au cœur d'un débat qui n'en finit plus de diviser les associations de lutte contre les discriminations. Si certaines, comme la LDH, n'hésitent pas à l'employer, d'autres considèrent, dans une ligne proche de celle défendue par Charb, que la haine d'une religion ne saurait s'apparenter à du racisme – c'est le cas de SOS racisme ou de la LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme). Cette dernière estime d'ailleurs que cette «censure» s'apparente à de la «résignation».
Censurer la parole de #Charb, c'est un pas vers la résignation lorsque tout aujourd'hui appelle au courage. #Lillehttps://t.co/ncEADZPWcwpic.twitter.com/FwDgIzRlaw
— LICRA (@_LICRA_) 27 mars 2017
Marika Bret, metteur en scène du spectacle, a dénoncé de son côté une «censure sécuritaire». Interrogée par Le Point, elle explique : «La parole de Charb, on ne l'entend plus, car il a été tué – si on n'entend plus ses mots, il sera mort deux fois, ça me rend triste et en colère.»
Le spectacle s'est en revanche trouvé des défenseurs, notamment en la personne de Bernard-Henri Lévy. L'écrivain a annoncé qu'il «aimerait les candidats» sur ce sujet.
#Charb assassiné en 2015, censuré en 2017. Aujourd'hui #Lille, demain #Avignon. Voilà un sujet sur lequel on aimerait entendre les candidats
— Bernard-Henri Lévy (@BHL) 26 mars 2017
Le philosophe Raphael Glucksmann estime de son côté que cette démarche revient à «réduire les morts au silence».
Déprogrammer Charb par "crainte des débordements": courage, fuyons! Ou comment réduire les morts au silence... https://t.co/6AIZEjlf7F
— Raphael Glucksmann (@rglucks1) 26 mars 2017
Marika Bret affirme ne pas baisser les bras. Néanmoins, elle concède que «la récurrence des actes terroristes» a quelque peu changé la donne ces derniers mois, notamment en matière de liberté d'expression. Dans L'Humanité, elle note que «la campagne sur le fameux "Charlie, oui mais..." a repris». Si, dans les jours ayant immédiatement suivi l'attaque de la rédaction de Charlie Hebdo, de nombreuses voix avaient proclamé «Je suis Charlie», la défense de la liberté d'expression semble moins unanime et moins automatique deux ans plus tard.