Privatisation de la FDJ : «Ce gouvernement applique très sèchement l’agenda néolibéral»
Alors que La FDJ a enregistré un bénéfice net de 181 millions d'euros, la privatisation de l'entreprise est toujours dans les cartons du gouvernement. Pour l'économiste et orateur national LFI, Liêm Hoang-Ngoc, cette vente «est tout un symbole».
RT France : La Française des jeux (FDJ) vient de communiquer ses chiffres. Ils sont bons, puisque la société a enregistré un bénéfice net en hausse de 2,8% à 181 millions d'euros l'an dernier. Quel est donc l'intérêt du gouvernement à souhaiter la privatisation de cette entreprise ?
Liêm Hoang-Ngoc (L. H-N.) : Le gouvernement est dans une stratégie de privatisation des profits. Il se couvre derrière l’idéologie libérale selon laquelle le caractère public d’une entreprise qui «marche bien» ne se justifie pas. Cela dit, cette privatisation est évidemment discutable, parce que la FDJ collecte d’une certaine façon l’impôt, sa contribution fiscale – c'est-à-dire ce que la FDJ reverse à l'Etat – étant de 3,3 milliards d’euros par an. C’est donc une forme de privatisation de la collecte de l’impôt.
RT France : A l'inverse, qu'est-ce qui justifie que la FDJ demeure publique ?
L. H-N. : L'Etat a pour mission d’assurer la santé publique et cela justifie qu’il contrôle l’organisme qui est chargé de gérer les jeux. En effet, il y a une certaine forme d’addiction aux jeux qu’il faut combattre. Il est évident que la privatisation va conduire les actionnaires privés à rechercher un développement et une croissance de ce type d’activité. On sait que cette activité engendre des pathologies, et notamment des comportements addictifs. Or, c’est le rôle du service public que de réguler l’activité des jeux en ligne, mais également de garder la main sur un secteur aussi particulier.
RT France : Des socialistes sous le précédent quinquennat, ou encore Nicolas Sarkozy avant eux, ont eu cette idée. La privatisation de la FDJ dépasse-t-elle les clivages politiques ?
L. H-N. : C’est tout un symbole. La Française des jeux est l’héritière de la loterie nationale, créée en 1933 pour abonder les caisses qui étaient destinées aux anciens combattants. Ce gouvernement est en train d’appliquer très sèchement l’agenda néolibéral pour lequel il a été élu et il fait feu de tout bois. La privatisation de la FDJ fait partie de la dernière vague de privatisation que le gouvernement pense mettre en place, au sein de laquelle il a déjà programmé des cessions d’actifs chez Aéroports de Paris [groupe ADP] et chez Engie.
La FDJ fait assez logiquement partie de la charrette. Cette privatisation se fait au nom de l’abondement d’une caisse pour l’innovation des entreprises mais cela reviendrait à, une nouvelle fois à céder les bijoux de famille que constitutent ces entreprises stratégiques à des intérêts privés. S’agissant d’Aéroports de Paris, par exemple, on sait déjà que Vinci est sur les rangs…
L’agenda de ce gouvernement est de détricoter le modèle social français
RT France : Vendre les «bijoux de famille» de l'Etat, n'est-ce pas une vision économique à court-terme ?
L. H-N. : C’est un choix de société. Ce gouvernement revendique haut et fort son attachement à l’idéologie libérale. Il applique son agenda de façon tout à fait cohérente. Et l’agenda de ce gouvernement est de détricoter le modèle social français qui incluait des entreprises stratégiques contrôlées par l’Etat. La privatisation de la FDJ, héritière de la loterie nationale, je le redis, c’est tout un symbole.
RT France : Mais la vente de ces entreprises publiques n'est-elle pas aussi une bonne manière de gonfler les recettes, de rééquilibrer le budget de l'Etat ?
L. H-N. : Le problème des privatisations, c’est que c’est un one shot. L’objectif est clairement de confier à des intérêts privés la gestion d’entreprises qui devaient être contrôlées par l’Etat, par ses missions d’intérêt général, de santé publique, de collecte de l’impôt.
RT France : Le gouvernement, par cette manœuvre, va montrer aux citoyens et au peuple qu'il peut récolter de l'argent par les ventes. A la fin, ne pourraient-ils pas être satisfaits ?
L. H-N. : Cela ne s’adresse pas au peuple. La gouvernement s’adresse aux 20% d’électeurs libéraux qui votaient auparavant LR [Les Républicains] ou socialistes. Il essaie donc de les rassembler dans un projet libéral auquel ces gens-là faisaient semblant de s’opposer pendant des années. Ainsi, les gages, que le gouvernement donne sur de nombreux dossiers économiques, sont des gages qu’il donne à l’électorat LR, qu’il cherche à capter.
Le peuple, quant à lui, est attaché à la FDJ, comme il l’était à la Loterie nationale, comme entreprise publique collectant une partie de l’impôt de façon indirecte. En effet, quand vous jouez, vous savez que vous versez de l’argent qui finira dans les caisses de l’Etat. Même si vous perdez, cela sert à quelque chose dans l’inconscient collectif. Désormais, avec la privatisation, cet argent ira dans les dividendes des actionnaires. Ces actionnaires seront plus nombreux, ils vont nécessairement demander à l’entreprise d'accroître la masse de dividendes à verser. Par conséquent, cela va conduire à accroître son activité et à dangereusement engendrer de l’addiction aux jeux, un phénomène qu'il s’agit de combattre. Je comprendrai que des députés à l’Assemblée nationale, notamment chez les Insoumis, s’opposent à la privatisation.
RT France :Toutefois, les Insoumis pourraient ne pas être seuls. A droite aussi cela peut faire débat...
L. H-N. : Oui, la privatisation devrait même remonter les gaullistes... s’il en reste.
Bastien Gouly
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