Le chef économiste de la BCE plaide pour plus d'«union budgétaire»
Sans parler ouvertement d’augmenter la dette commune, Philip Lane plaide dans une interview accordée au journal Le Monde pour une «union budgétaire plus étroite» en Europe afin de moins s’inquiéter des déficits.
Interrogé à Londres par la rédaction du Monde sur l’état et les perspectives de la zone euro après «la violente récession enregistrée début 2020», l’économiste en chef de la Banque centrale européenne (BCE) attire surtout l’attention sur le niveau d’activité actuel, et souligne qu’il est inférieur de «4 % ou 5 %» à celui de 2019.
Dans cette interview mise en ligne sur le site web du quotidien du soir, l’Irlandais Philip Lane concède qu’en mai-juin, la zone euro est désormais «à un tournant conjoncturel», et pense que l’économie va croître rapidement. Mais selon lui, elle «ne retrouvera son niveau de PIB de 2019 qu’au printemps de l’année prochaine». Une prévision au demeurant conforme avec celle déjà faite par le Commissaire européen Paolo Gentiloni en février.
Au sujet de l’emploi, Philip Lane estime que le rattrapage du niveau de 2019 (8,5% de taux de chômage en France selon l’Insee) ne se fera qu’en 2023. Là aussi rien de nouveau, même si l’économiste de la BCE souligne que «le chemin sera long» et surtout qu’il «nécessitera un effort prolongé sur le plan budgétaire et monétaire pour soutenir la reprise.»
Commentant l’écart entre le plan de relance de 750 milliards d’euros de l’Union européenne (UE), et les 1 900 milliards de dollars mis sur la table par le président américain Joe Biden, le commissaire fait d’abord remarquer que les réponses nationales des Etats membres s’ajoutent au montant fonds européen.
le plan de relance américain souligne aussi le potentiel qui pourrait être libéré, en Europe, si nous avions une approche commune plus forte des politiques budgétaires
Puis, dans une allusion implicite à l’écart des taux de croissance prévus en 2021 pour les Etats-Unis et la zone euro (respectivement 6,4% et 4,4% attendus en 2021 selon le FMI), il estime : «A un autre niveau, le plan de relance américain souligne aussi le potentiel qui pourrait être libéré, en Europe, si nous avions une approche commune plus forte des politiques budgétaires.»
Une autre manière de laisser entendre que la croissance pourrait être plus forte en Europe si les Etats membres se mettaient d’accord pour créer plus de dette commune. Une idée que soutient l’économiste de la BCE en ajoutant qu’aux Etats-Unis, quelle que soit la taille des déficits, la capacité du gouvernement à les financer n’est jamais mise en doute. «Si nous avions une union budgétaire plus étroite en Europe, les gouvernements européens s’inquiéteraient moins de leur capacité à [les] financer», estime Philip Lane.
Le spectre de la remontée des taux
Enfin, alerté sur la possibilité d’une remontée des taux d’intérêt en Europe avec les risques que cela représente pour les Etats membres les plus lourdement endettés, l’économiste répond simplement : «Nous ne voyons pas ce risque à l’horizon.» Et si cela se produisait, il se veut rassurant en rappelant qu’une large partie des dettes ont été émises à long terme à des taux très bas, et le plus souvent négatifs, pour les Etats membres.
Toutefois, depuis décembre 2020, les taux des emprunts des Etats de la zone euro ont de nouveau augmenté et ne sont plus négatifs qu’aux Pays-Bas et en Allemagne, alors qu’ils approchent les 1% en Grèce et en Italie. Or le déconfinement progressif devrait logiquement créer une brusque hausse de la consommation de biens et services, de nature à créer une pression inflationniste en Europe et à donner des arguments aux tenants d’un resserrement monétaire.
En Allemagne, par exemple, pays dont la position est déterminante au sein du conseil de l’institut de Francfort, des voix se sont fait entendre à plusieurs reprises jusqu’à la cour constitutionnelle de Karslruhe, plus haute juridiction du pays, pour lui demander de condamner la politique d’argent facile de la BCE et d'interdire à la Bundesbank d’y participer.
En attendant, la BCE a décidé en mars d’augmenter significativement les achats d’actifs qui étaient déjà de l’ordre de 20 milliards d’euros par mois. L’économiste en chef confie que ce niveau d’achats, plus élevé, va continuer dans les semaines qui viennent, au moins jusqu’à la prochaine réunion des gouverneurs en juin.