«Il nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons», déclarait le 12 mars Emmanuel Macron lors de son allocution aux Français, consacrée à la crise du coronavirus. Ce potentiel changement de cap s'applique-t-il également aux politiques économiques néolibérales menées par le chef de l'Etat et par certains de ses homologues européens ? Paris et Rome sont en tout cas contraints de prendre ou d'envisager des mesures d'urgence, alors que l'ensemble des restrictions mises en place par de nombreux pays à travers le monde afin de lutter contre la pandémie de Covid-19, ont de lourdes conséquences sur l'économie et la finance.
«Une compagnie nationale est stratégique pour notre pays»
Le 16 mars au soir, le gouvernement italien a ainsi fait part de son intention de nationaliser la compagnie aérienne Alitalia, au bord de la faillite depuis des années, dans le cadre d'un plan d'urgence visant à endiguer l'impact économique de la pandémie de Covid-19.
Pour aider l'entreprise, le Conseil italien «prévoit la constitution d'une nouvelle société entièrement contrôlée par le ministère de l'Economie et des Finances, ou contrôlée par une société à participation publique majoritaire, même indirecte», explique un communiqué publié le 16 mars au soir, sans toutefois en préciser les délais ou autres modalités.
Rome a ainsi prévu une enveloppe globale de 600 millions d'euros pour l'ensemble du secteur aérien national, dans lequel Alitalia représente la part du lion.
Un nouvel appel à manifestation d'intérêt pour racheter Alitalia avait pourtant été publié il y a moins de deux semaines, le 5 mars, et les entreprises ou fonds intéressés avaient jusqu'au 18 mars pour se faire connaître, selon un document publié sur le site de la compagnie.
Des contacts ont eu lieu avec la compagnie aérienne américaine Delta, l'allemande Lufthansa et le gestionnaire italien d'autoroutes et aéroports Atlantia (famille de Luciano Benetton), selon l'AFP.
Alitalia, confrontée à la concurrence extrêmement vive des compagnies à bas coûts, ne peut pas non plus rivaliser avec les autres compagnies traditionnelles faute d'une taille suffisante, alors qu'un important mouvement de concentration s'est réalisé ces dernières années. Ainsi, la compagnie perdrait environ 300 millions d'euros par an.
Pourtant, cette mauvaise situation économique n'a pas refroidi l'exécutif italien, qui évoque un impératif d'ordre stratégique.
«Ce n'est pas une situation facile, cette expérience [du coronavirus] m'a renforcée dans l'idée qu'une compagnie nationale est stratégique pour notre pays», a ainsi déclaré ce 17 mars la ministre des Transports Paola De Micheli à la chaîne de télévision Rainews24.
Bruno Le Maire peut «même employer le terme de nationalisation si nécessaire»
De son côté, le gouvernement français, a déclaré, ce 17 mars, «la guerre économique» au coronavirus et n'exclut aucune piste pour aider les entreprises en danger dans une économie française à l'arrêt, avec des Français confinés.
«Tout sera mis en œuvre pour protéger nos salariés et pour protéger nos entreprises, quoi qu'il en coûte», avait déclaré, le 12 mars, le président de la République Emmanuel Macron, au cours de son allocution filmée depuis le palais de l’Elysée.
Il y a aussi une guerre économique et financière
Prolongeant le raisonnement du chef d'Etat, le ministre français de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, s'est déclaré, ce 17 mars, prêt recourir à «tous les moyens» y compris la nationalisation pour «protéger» les entreprises françaises menacées par la crise du coronavirus. «Je n'hésiterai pas à employer tous les moyens qui sont à ma disposition pour protéger les grandes entreprises françaises», a-t-il affirmé lors d'une conférence de presse téléphonique. Et d'ajouter : «Cela peut passer par de la capitalisation ou une prise de participation. Je peux même employer le terme de nationalisation si nécessaire.»
«Il y a aussi une guerre économique et financière. [...] Elle sera durable, elle sera violente, elle doit mobiliser toutes nos forces», avait-il également martelé ce 17 mars au matin sur RTL.
«La guerre sanitaire, j'espère que c'est une affaire de semaines. La guerre économique et financière, c'est une affaire de mois. Il faudra donc du temps pour faire redémarrer l'économie, pour lui redonner toute sa puissance», a encore insisté Bruno Le Maire, au lendemain des nouvelles restrictions annoncées par Emmanuel Macron.
Le contexte économique avait par ailleurs conduit, quelques jours plus tôt, le gouvernement français à faire machine arrière (temporairement ?) sur son projet controversé de privatisation des Aéroports de Paris (ADP).
Et pour cause, le business n'est pas à la fête. La baisse de la demande et la désorganisation des chaînes de production du fait des mesures de confinement conduit de plus en plus d'entreprises à réduire ou même à suspendre complètement leur production pour abaisser leurs coûts.
Renault, PSA, Michelin, ont ainsi annoncé la fermeture de leurs usines en France, et Airbus a suspendu sa production dans le pays et en Espagne pendant quatre jours. Certains groupes, à l'image d'Air France-KLM, vivent un supplice en Bourse et ont vu leur capitalisation fondre en quelques jours.
Pour limiter les dégâts, et éviter les faillites d'entreprises en cascade, parce que trop fragiles pour encaisser un arrêt total de leur activité pendant des semaines, le gouvernement va dégainer un arsenal immédiat de 45 milliards d'euros. L'essentiel (32 milliards d'euros) passera en report ou annulation de charges sociales et fiscales, déjà en place depuis plusieurs jours.
Des investissements publics importants qui tranchent avec les politiques économiques traditionnellement menées. Mais ces mesures dictées par l'urgence de la situation mèneront-elles à une remise en cause plus profonde du modèle économique ? Il est probablement trop tôt pour l'affirmer.