«On croirait revenir à l’époque de Lehman Brothers !». Marc Touati, économiste et fondateur d’ACEDEFI, fait aujourd’hui figure de vétéran. La faillite de la banque d’affaires, symbole de la crise des subprimes, il l’avait vécue aux premières loges. Mais cette fois, la chute des Bourses est encore plus violente que ce qu’il avait prévu : -12% pour le CAC 40, rien que sur la séance de jeudi. Une glissade historique. Pour lui, et au train où vont les choses, «on va à la cave» sur l’indice parisien. Traduisez : sous les 4000 points, et pour un certain temps. Car il a suffi que Donald Trump interdise, pour un mois et sans concertation, l’entrée des Etats-Unis aux ressortissants Européens, pour que la crise du coronavirus prenne une nouvelle tournure, encore plus pénalisante pour l’économie mondiale. Après l’Italie, c’est donc toute la zone euro qui se retrouve mise à l’index.
Pour Véronique Riches-Florès, qui surveille la situation comme le lait sur le feu, le choc est d’autant plus rude que «le coût économique de cette épidémie est encore très difficile à chiffrer». L’économiste de RF Research estime toutefois qu’il sera «considérable», au point de remettre en cause l’idée d’une hausse continue des Bourses grâce à des taux toujours plus bas. La différence par rapport à 2008 ? «A ce moment-là, on avait des réserves» se souvient Véronique Riches-Florès, «la première, c’était la Chine qui nous avait tiré de la récession. Mais aujourd’hui, c’est le flou total !».
Alors si la Chine elle-même flanche, à qui s’en remettre ? Une fois de plus, les banques centrales vont venir à la rescousse, mais avec des marges de manœuvre nettement plus réduites, notamment pour la Banque centrale européenne dont les taux sont à zéro depuis des années. La BCE qui a pris de court les marchés en ne baissant pas ses taux, accélérant ainsi la chute des indices : pour ce qui est de rassurer, c’est raté ! L’institution, désormais dirigée par Christine Lagarde, a préféré cibler les banques avec des prêts à taux avantageux, et accélérer son programme de rachat d’actifs pour injecter des liquidités dans l’économie.
Face à l’incapacité des banques centrales à calmer le jeu, c’est aux Etats de reprendre la main
Une réponse que Jacques Sapir, économiste et intervenant régulier sur RT France, juge «insuffisante et inadaptée», face à une crise qui devient financière. Pour lui, et face au marasme des marchés, «il fallait provoquer une surprise, avec des taux largement négatifs». Ce que déplore Jacques Sapir, c’est que Christine Lagarde n’ait pas pris la mesure de la crise de liquidités qui menace les entreprises, notamment les banques, en première ligne quand les Bourses dévissent.
Des faillites de banques en cascade, c’est ce que redoute David Cayla, enseignant-chercheur à l’Université d’Angers et membre des Economistes atterrés. Il rappelle que «les banques sont en bout le ligne, et qu’elles subissent à postériori les faillites des entreprises qui ne peuvent plus rembourser leurs emprunts». Elles-mêmes sont d’ailleurs fragilisées par les taux zéro des banques centrales qui laminent leurs marges. Pour le chercheur, «les banques sont le reflet de l’économie», en quelque sorte leur baromètre. Les pertes de leurs clients génèrent des créances douteuses qui plombent leurs bilans. Et dans ce domaine, les plus fragiles sont connues : Deutsche Bank qui accumule les pertes, et certaines banques italiennes, qui bien avant le coronavirus, étaient déjà pointées du doigt. Le marché ne s’y trompe d’ailleurs pas puisque rien qu’à Paris, BNP Paribas, Société Générale, ou Crédit Agricole font partie des plus fortes baisses de la séance de jeudi, avec des chutes comprises entre 12 et 14%. Une journée noire parmi tant d’autres pour le secteur.
Face à l’incapacité des banques centrales à calmer le jeu, c’est aux Etats de reprendre la main avec des mesures budgétaires, prises dans l’urgence, et sans réelle coordination. Pour la France, Emmanuel Macron a promis «un plan de relance national et européen», estimant que les premières annonces de la BCE ne seraient peut-être pas «suffisantes», mais sans en dire plus pour l’instant.
En attendant une hypothétique remontée des marchés, Marc Touati, lui, se dit que certaines valeurs commencent à être intéressantes à l’achat. «Comme après 2008, glisse-t-il, je vais peut-être redevenir l’un des rares optimistes de la place !». Un comble.