Le temps passant, porter sur les réseaux sociaux une voix qui s'affranchit du politiquement correct devient de plus en plus complexe. Des simples utilisateurs aux commentateurs politiques en passant par les journalistes, n'importe qui risque désormais de voir ses messages supprimés pour avoir enfreint les conditions d'utilisation – chaque jour plus restrictives – des géants de l'Internet.
Au risque de se voir purement et simplement privé d'accès à ces plateformes, à l'instar du très populaire Paul Joseph Watson, banni de Facebook, du journaliste du Sud Radio Didier Maisto, un temps banni de Twitter, ou plus récemment de la chaîne au demi-million d'abonnés Black Pigeon Speak, bannie de YouTube avant d'être réactivée sous la pression populaire.
La liberté d'expression est-elle menacée sur Internet ? Et avec elle, le rôle essentiel joué par Facebook, Twitter ou encore YouTube dans les récents mouvements sociaux, des printemps arabes au mouvement des Gilets jaunes ? Rien n'est moins sûr tant internet est un outil récent et en perpétuelle mutation. Dans un relatif anonymat, plusieurs entreprises ont décidé, il y a plusieurs années, de s'attaquer au monopole de ces géants avec un credo : laisser libre cours à la liberté d'expression des internautes sur leurs plateformes.
«Les Big tech ont perdu la confiance de la planète»
Minds, un réseau social open source et décentralisé, est de celles-là. Interrogé par RT France, Bill Ottman, fondateur de l'entreprise, explique ce qui a conduit à la naissance du projet. «Les entreprises des Big tech ont perdu la confiance de la planète. Les algorithmes restrictifs, le secret, la surveillance, la démonétisation [consistant à priver de revenus les chaînes YouTube jugées politiquement incorrectes], la censure et la centralisation excessive infectent le Web [...] Les abus des réseaux sociaux autour de la vie privée sont tellement accablants que nous ne pouvons plus les ignorer», affirme-t-il en préambule.
C'est donc en opposition à ce modèle que le projet voit le jour : «Nous pensons que les principaux réseaux sociaux doivent être gérés par le peuple, pour le peuple.» Aucune information personnelle n'est dès lors nécessaire pour pouvoir se connecter, et le réseau se veut le plus transparent possible sur son mode de fonctionnement. Quand l'algorithme de Facebook, qui inquiète jusqu'aux sénateurs américains pour sa propension à masquer certains contenus, est un secret bien gardé, les contenus mis en avant sur Minds sont au contraire directement gérés par les utilisateurs.
«Nous avons un système de récompense unique qui permet à nos principaux contributeurs de gagner des jetons et d'obtenir plus de vues sur le réseau en utilisant notre système publicitaire anti-surveillance Boost, ou de soutenir d'autres utilisateurs par des paiements en ligne», poursuit Bill Ottman, soulignant que le code de Minds est «100% gratuit et open source, ce qui permet un examen et une inspection rigoureux par les utilisateurs».
Côté modération de contenus, Minds mise encore sur l'innovation, la politique en la matière des géants de l'internet s'étant attiré les foudres de nombre d'utilisateurs, jusqu'au président américain Donald Trump. L'idée est de mettre en place un système de jurés afin que les utilisateurs aient leur mot à dire dans les décisions de modération. «L'objectif du système de jurés de Minds est d'avoir un processus plus démocratique et plus équitable pour examiner les décisions de modération, au lieu de contraindre la communauté à adhérer à la subjectivité d'une seule autorité centralisée, sans transparence», assure Bill Ottman.
Le patron de Minds précise par ailleurs que tous les contenus légaux sont autorisés sur la plateforme, et qu'un système de contrôle humain des contenus signalés par les robots a été mis en place, afin de limiter au maximum les erreurs de l'algorithme. Avec encore une fois, comme garde-fou, l'accès au code en open source. «Sinon, le réseau ou l'entreprise ne sont plus tenus de rendre des comptes», précise-t-il.
S'il est bien entendu essentiel pour Minds de s'atteler à la délicate tâche consistant à supprimer les contenus qui contreviennent à la loi, Bill Ottman souligne l'attachement du réseau à son principe fondateur : «Nous pensons que les libertés d'expression et d'opinion sont essentielles à l'humanité et que ces libertés doivent s'étendre à tout le spectre idéologique, plutôt qu'à ceux dont les idées sont considérées comme "conformes à la norme".»
«Construire l'internet de la liberté d'expression»
Aux Etats-Unis, pays de la sacro-sainte liberté d'expression, protégée par le Premier amendement de la Constitution, un tel positionnement fait toujours recette. Minds est en effet loin d'être le seul réseau social à avoir vu le jour en réponse aux menaces qui pèsent sur cette liberté. Ainsi, Gab, qui pourrait être comparé par son fonctionnement à Twitter, a été créé avec le même fil directeur, et ne nourrit pas moins d'ambitions. «Gab construit l'Internet de la liberté d'expression», confie à RT France son créateur Andrew Torba, qui revendique plus d'un million d'abonnés. «Notre mission est de décentraliser le contrôle de la communication en ligne, de protéger la liberté d'expression et de démocratiser l'accès à l'information sur internet en défendant les valeurs de la souveraineté individuelle, des logiciels libres et de la vie privée», fait-il encore valoir.
Le réseau social, dont la popularité augmente au rythme des controverses sur la modération des contenus éclaboussant Twitter, dispose pourtant d'une réputation sulfureuse. En cause, la volonté affichée de son créateur d'accueillir sur sa plateforme les utilisateurs bannis de Twitter pour leurs opinions politiquement incorrectes. Ce qui en fait, d'après les médias mainstream tel que Wired, un «paradis pour l'extrême droite». «La réponse à un "mauvais discours" ou à un "discours de haine", quelle que soit la définition que vous en donnez, est davantage de discours. Et ce sera toujours le cas», avait alors répondu Andrew Torba en octobre dernier dans une interview accordée à NPR.
En dehors de ses effets sur l'opinion publique, cette campagne médiatique a eu pour conséquence de pousser le service de paiement Paypal et l'entreprise de gestion de nom de domaine Godaddy à priver Gab de leurs services en 2018. Une décision qui met en lumière la volonté des entreprises de la Silicon Valley de s'attaquer à la concurrence par tous les moyens, selon Andrew Torba. «Un "déplateformage" coordonné, quand il est effectué de manière à limiter la concurrence dans un marché libre, est illégal. Nous pensons que les sociétés de la Silicon Valley s'unissent pour éliminer les concurrents des réseaux sociaux existants», soutient-il auprès de RT France.
D'après lui, la raison est simple : «Le principe de liberté d'expression à l'américaine est la seule chose susceptible de perturber les Big Tech à l'échelle mondiale.» C'est en tout cas en tablant dessus que la concurrence espère remettre en question l'hégémonie des géants du Net.
Frédéric Aigouy