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«Le bon censeur» : le rêve orwellien de Google dévoilé dans un document interne

La liberté d'expression, un «principe utopique» ? C'est ce qu'avance Google dans un mémo interne, où l'idée de censurer ouvertement des contenus pour créer des «espaces bien ordonnés» où règne «la sécurité et la civilité» prend vie.

L'intitulé du document laisse peu d'interrogations quant à son contenu et pourrait attiser les craintes des détracteurs de Google. «Le bon censeur» est un mémo de 85 pages détaillant les réflexions du moteur de recherche sur la place qu'il doit laisser à la liberté d'expression sur internet. C'est le média américain pro-Trump Breitbart qui a révélé le document, dont l'authenticité a ensuite été confirmée par l'entreprise, selon le site d'actualité technologique The Verge.

Les différents experts du secteur qui se sont consacrés à l'écriture du mémo dressent en premier lieu un constat : Google, Facebook, YouTube ou encore Twitter s'éloignent aujourd'hui de la «tradition américaine», selon laquelle la liberté d'expression est sacro-sainte, au profit de la tradition européenne qui privilégie «la dignité et la civilité au détriment de la liberté». En d'autres termes, ils reconnaissent s'être «progressivement détournés de la liberté d'expression sans intermédiaire pour se tourner vers la censure et la modération».

Selon les auteurs du document, la mission de Google comme celle des autres plateformes, devrait donc désormais être de «créer des espaces bien ordonnés» où règnent «la sécurité et la civilité». Un changement de perspective profond puisque ces entreprises, qui se définissaient à leur création comme des distributeurs de contenus, assumeraient ainsi un rôle d'éditeur.

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Ce changement impliquerait surtout des conséquences légales monumentales pour ces dernières, étant donné qu'elles sont à l'heure actuelle protégées par l'article 230 de la loi sur la décence des communications aux Etats-Unis qui les exempte de toute responsabilité juridique pour le contenu qu'elles distribuent. Or ce privilège, attribué en leur qualité de distributeur, n'aurait plus lieu d'être si elles venaient à ouvertement censurer des contenus et donc à se comporter en tant qu'éditeur. Un point sur lequel les sénateurs américains avaient particulièrement insisté lors de l'audition de Mark Zuckerberg devant le Congrès, en avril dernier.

«Apaiser» certains utilisateurs mécontents

Plusieurs raisons sont mises en avant par les auteurs du document pour justifier cette volonté de basculement. Economiques tout d'abord, les auteurs y voyant un moyen d'optimiser la monétisation des contenus et d'éviter de perdre des annonceurs en raison d'éventuelles controverses. Mais aussi pour accéder à de nouveaux marchés comme la Chine où il est indispensable de se plier aux demandes réglementaires sur le contrôle des contenus. Enfin, selon les auteurs du document, cette censure de certains points de vues serait également nécessaire pour «apaiser» les utilisateurs mécontents.

Jason Pontin, un journaliste spécialisé dans les nouvelles technologies qui a participé à l'écriture du rapport, juge à ce propos que les utilisateurs, au même titre que les gouvernements ou les entreprises du secteur, sont à blâmer pour la mise à mal du «principe utopiste» de la liberté d'expression sur lequel s'est fondé internet. Aussi, le journaliste ne fait pas mystère du parti pris des plateformes dans la manière dont elles gèrent le contenu politique : «Je connais beaucoup d'utilisateurs féministes assez abusives ou d'utilisateurs de gauche à qui il est permis de faire certains types de discours pour lesquels les utilisateurs de droite sont punis.» Une attitude des plateformes qui avait d'ailleurs été publiquement critiquée par le président américain Donald Trump.

Cité par Breitbart et The Verge, Google explique que le document doit être considéré comme une piste de réflexions internes et pas une position officielle de l'entreprise. 

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