Bloqué en Chine, le soja américain déferle sur l’Europe
Les exportations de soja américain en Europe ont plus que doublé en 2018. Cet effet de la chute des cours mondiaux coïncide étrangement avec les menaces de l’administration Trump contre les importations de voitures européennes.
«L'Union européenne peut importer davantage de soja des Etats-Unis et cela arrive au moment même où nous parlons», déclarait le 25 juillet dernier Jean-Claude Juncker à la Maison Blanche. Il s’était rendu à Washington en urgence pour désamorcer un conflit commercial naissant entre l’Union européenne et les Etats-Unis.
En réponse à l’instauration de droits de douane par l’administration Trump à ses partenaires commerciaux sur leurs ventes d’acier et d’aluminium aux Etats-Unis, Bruxelles avait pris des mesures de rétorsion visant des produits symboliques comme les motos de la marque Harley Davison. A son tour Donald Trump s’apprêtait à taxer plus lourdement les voitures européennes, une menace sérieuse pour l’économie allemande.
A l’issue de ce mois de juillet 2018, les exportations de soja transgénique étasunien avaient bondi de 283% par rapport au mois de juillet de l’année précédente. Depuis, les ventes se sont légèrement tassées, mais dans les six mois qui ont suivi la visite du président de la Commission européenne à Washington, les ventes de soja en provenance des Etats-Unis ont tout de même connu une progression de 112% par rapport au second semestre 2017.
Ces exportations exceptionnelles ont permis aux agriculteurs étasuniens de compenser une grande partie de l’effondrement (-92%) de leurs ventes sur le marché chinois en raison du conflit commercial entre Washington et Pékin. L’Europe est ainsi devenue le premier marché d’exportation du soja des Etats-Unis.
Depuis, Washington et Bruxelles sont convenus d’ouvrir un cycle spécial de négociations bilatérales sur leurs échanges commerciaux qui représentent un volume total de près de 1 000 milliards de dollars par an.
Officiellement, l’agriculture a été exclue des négociations à la demande de la France. Ainsi, le 18 janvier, la commissaire européenne au Commerce, Cecilia Malmström, en rendant public, son programme de négociation avec les Etats-Unis, a réitéré son refus d'y inclure l'agriculture et précisé : «Ce n'est pas un accord traditionnel de libre échange [...] c'est une proposition limitée mais importante sur les droits de douanes des produits industriels.» Elle a ajouté : «Dans ce mandat de négociation, nous ne proposons aucune réduction de droits de douane dans le secteur de l'agriculture. Ce secteur a été mis de côté.»
L’accès aux marchés agricoles figure toutefois, avec la fourniture de Gaz naturel liquéfié (GNL) à l’Europe, au premier plan des objectifs officiels des négociations de Washington tels qu’ils ont été énumérés dans le mandat du représentant au commerce du président daté de janvier 2019. Ces objectifs avaient d’ailleurs été mentionnés sans ambiguïté dans la déclaration commune, publiée le 25 juillet, à l’issue de la rencontre entre les présidents de la Commission européenne et des Etats-Unis.
L'industrie automobile allemande, enjeu des négociations UE-USA
Les deux pays s’étaient engagés à «accroitre le commerce des services, des produits chimiques, pharmaceutiques, médicaux ainsi que du soja». Dans ce texte les deux parties expliquaient aussi que leur démarche ouvrirait «des marchés pour les agriculteurs». Enfin, elles affirmaient également : «L'Union européenne veut importer davantage de gaz naturel liquéfié (GNL) des Etats-Unis afin de diversifier son approvisionnement en énergie.»
Aujourd’hui, les déclarations de la Commission européenne selon lesquelles l’agriculture ne fera pas partie des négociations apparaissent bien peu convaincantes. En décembre la Commission a discrètement ouvert la procédure autorisant l'utilisation de soja américain dans les biocarburants, ce qui pourrait contribuer dans les prochains mois à une nouvelle hausse des importations. Enfin, l’épée de Damoclès de taxes étasuniennes dissuasives contre l’importation de véhicules européens plane toujours sur ces négociations. Elle vise précisément la puissante industrie allemande à laquelle Donald Trump avait adressé, en 2018, un courrier transmis par son ambassadeur en Allemagne.
Jean-François Guélain
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