Gérard Filoche : «l'ubérisation de l'économie, c'est Mad Max !»

Gérard Filoche : «l'ubérisation de l'économie, c'est Mad Max !»
L'ubérisation de l'économie touchera-t-elle tous les aspects de la vie? (Capture écran Manpower)
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Après avoir fait trembler les chauffeurs de taxi, le modèle économique d'Uber touche aussi d'autres domaines: banque, assurance, loisirs, achats. Rien ne semble échapper à cette ubérisation, ou économie de partage, pas même le code du travail.

Imaginez la journée type dans une économie sous ubérisation. La famille Dupont, plongée dans l'économie informelle, trouve une application qui peut répondre à chacun de ses besoins. Monsieur se rend au travail en commandant un taxi Uber. Madame réserve leurs futures vacances en louant un appartement à des particuliers via AirBnb puis commande le déjeuner sur Mon-voisin-cuisine. L'alimentation en électricité de la maison Dupont se fait auprès d'un particulier qui possède des panneaux solaires. Le petit dernier révise ses cours dans des Mooc. De quoi complétement révolutionner un modèle basé sur le salariat et le classique contrat de travail.

Pourtant Gérard Filoche, inspecteur du travail, voit dans cette nouvelle économie dite du partage, une menace sur les acquis sociaux des salariés et sur le modèle social français. 

RT France : Que pensez-vous du nouveau modèle de l'économie qu'on appelle l'ubérisation ? 

Gérard Filoche : C'est un recul barbare que cette économie informelle. Cela ressemble à l'économie du tiers-monde. Uber c'est quoi ? Moins de 1000 salariés pour un million de chauffeurs. Le milliardaire américain Georges Soros avait pu parler de «holding sans entreprise». Là, il s'agit d'une entreprise sans salariés. On nous invente des mots pour couvrir ça. On parle d'«économie collaborative». Ce sont des ânneries. Il s'agit d'enlever tous les droits aux salariés : salaires, horaires, santé, couverture sociale, représentativité, les droits liés au licenciement.

RT France : Quelle modèle de société cette économie implique-t-elle ?

Gérard Filoche : C'est une sorte de société Mad max qu'on nous prépare. On nous présente ça comme une avancée alors qu'il s'agit d'un recul social. On retourne à la période post-esclavage, quand on avait dû libérer les esclaves. Pour vivre, il ne leur restait plus que la possibilité de se louer au plus offrant. L'ubérisation de l'économie, c'est ça, c'est retourner à l'époque où le salariat n'avait rien.

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RT France : Qu'entendez-vous exactement par là ?

Gérard Filoche : Sous l'esclavage, il n'y avait évidemment pas de liberté. Mais le maître assumait la totalité des aspects de la vie de son esclave, de sa naissance à sa mort. L'Ubérisation, c'est payer les gens seulement quand on a besoin d'eux. L'histoire du salariat a été une lutte constante contre cela : en 150 ans, le salarié a bâti, autour de son salaire net, un salaire brut qui lui a permis de bénéficier de logement, d'assurance maladie, accident du travail, chômage retraite. Une partie de son salaire prend en charge et protège sa capacité de travail. Ce que fait Uber est de supprimer ces 150 ans de lutte et ne payer le salarié que pour la tâche accomplie. Le reste n'est pas leur problème.   

RT France : L'essayiste et économiste Jacques Attali estime que le modèle futur du salariat est celui de l'intermittent. Qu'en pensez-vous ?

Gérard Filoche : Il essaie de dire quelque chose aux franges libérales et au patronat : transformez tous vos salariés en intermittent, en auto-entrepreneur sur le modèle du chauffeur Uber et vous augmenterez vos marges de bénéfices. Il a la précaution de dire que seuls les plus talentueux resteront salariés. Seuls ceux qui auront des qualifications spécifiques ou des talents particuliers pourront rester salariés, avec la protection que cela permet. C'est une violence sociale inouïe qui s'annonce.

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RT France : Pourtant Uber avance que ce nouveau modèle économique profite au client.

Gérard Filoche : Ce n'est tout simplement pas vrai. Ils fixent les prix de la course à partir d'algorithmes, de façon centralisée. Sur dix euros, deux sont pour Uber, huit pour le chauffeur. Avec cela, ce dernier doit tout payer : l'entretien de sa voiture, son assurance, son essence, sa retraite, sa maladie... Mais si demain le prix de la course varie, sans que le chauffeur puisse dire quoi que ce soit, car les prix varient comme ils veulent puisque ce n'est pas au compteur, que se passera-t-il ? Le chauffeur ne peut rien dire, rien contrôler. Les usagers vont finir par y perdre : au début ils commencent par des prix bas pour casser le marché puis ils vont augmenter la course selon leur seule volonté. Alors que dans le modèle classique, la course est au pro rata du temps et du chemin parcouru.   

RT France : Il n'y a aucun avantage à l'ubérisation de l'économie ?

Gérard Filoche : Non, que de la barbarie. Une anecdote personnelle, j'ai pris sans le savoir hier un taxi Uber qu'on m'avait commandé. Le chauffeur travaillait depuis 7h du matin et il était 23h. Il marchait avec plusieurs applications. Il travaillait 7 jours sur 7. Les risques liés à sa santé, les dangers pour le client étant donné les amplitudes d'horaires, le non partage du travail, puisque ce chauffeur faisait facilement 2 temps pleins, tout cela est une aberration... C'est du travail au sifflet, on siffle et la personne doit être disponible. 

RT France : Un débat a eu lieu récemment à propos du code du travail que certains jugent dépassé, notamment par rapport à ces pratiques nouvelles qu'induit cette ubérisation. Qu'en pensez-vous ?

Gérard Filoche : Le code du travail est l'indice du développement d'une civilisation. Plus ce code est protecteur, plus la civilisation est protégée. Il y a effectivement un débat en France sur l'idée que le code du travail serait obèse. Or c'est le plus petit code législatif. Je suis un praticien du code du travail depuis plus de 30 ans. Il y 18 millions de salariés. C'est un bon texte qui exprime les rapports sociaux, les luttes dans la société et qui s'est construit par strates. Il est justement protecteur dans le sens où il instaure un socle qui ne doit pas être modifié parce qu'il y a des nouveaux modes de relations contractuels tels Uber. 

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