L’incroyable expédition de l'empereur malien Bakari II : et si l’Amérique avait été atteinte avant Colomb ?

Au XIVᵉ siècle, l’empereur africain Bakari II aurait quitté le Mali avec des milliers de bateaux pour traverser l’Atlantique. Il n’est jamais revenu, mais certains chercheurs pensent qu’il aurait atteint l’Amérique bien avant Christophe Colomb. Son expédition soulève encore aujourd’hui débats et mystères.
À l’école, on apprend que Christophe Colomb « découvre » l’Amérique en 1492. Pourtant, un autre récit existe. Des chercheurs africains et européens défendent l’idée que Bakari II (ou Aboubakri), empereur du Mandé, c’est-à-dire du Mali médiéval, aurait tenté, et peut-être réussi, la traversée de l’Atlantique dès 1312.
Le pilier de cette thèse est un témoignage du XIVe siècle. Al Umari, historien et géographe arabe, rédige vers 1342 son encyclopédie Kitab Masālik al-abṣār fī mamālik al-amṣār (Livre des Itinéraires et des Royaumes). Il y rapporte une conversation entre le fils du sultan du Caire et Kankan Moussa (Mansa Moussa), successeur de Bakari II, célèbre souverain mandingue souvent présenté comme l’homme le plus riche de tous les temps. En route pour La Mecque en 1324, Moussa explique comment il a accédé au trône : son prédécesseur ne croyait pas que la « mer des ténèbres », nom donné alors à l’Atlantique, fût sans fin. Il voulut atteindre son extrémité.
Bakari II lança d’abord une expédition de 200 embarcations, chargées d’hommes et de vivres, avec une consigne simple : ne rentrer qu’après avoir trouvé l’issue de l’océan ou épuisé les provisions. Des mois plus tard, un seul bateau revint. Son équipage parla d’un courant violent, apparu au large, qui aurait entraîné les autres. L’empereur ne se contenta pas de ce récit. Il monta une seconde expédition, beaucoup plus vaste : 2 000 embarcations, dont 1 000 pour l’eau et les vivres, 1 000 pour lui et ses hommes. Bakari II prit la mer en personne… et ne revint pas. C’est ainsi, dit Moussa, qu’il devint empereur.
Les chercheurs en quête de vérité
Qui sont les chercheurs qui relisent cette histoire ? Pathé Diagne (1934-2023), historien et linguiste sénégalais, voit dans Bakari II et dans Christophe Colomb deux figures qui, chacune à leur époque, ont ouvert la voie d’une première mondialisation. Il avance aussi des proximités linguistiques entre langues mandingues et idiomes amérindiens. Jean-Yves Loude, ethnologue français, et Mamadou Oury Diallo, historien à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, soulignent, eux, que la page d’Al Umari mentionnant l’expédition a longtemps été ignorée par l’historiographie occidentale. Diallo parle d’un « oubli » qui masque le possible rôle pionnier d’un souverain africain. Mamadou Diabang, auteur d’une thèse sur Bakari II, décrit même une forme de censure mémorielle.
Les enquêtes menées dans les années 1990 au Mali, au Sénégal, en Gambie ou en Guinée ont recueilli des traditions orales auprès des griots (détenteurs de la mémoire). Un griot gambien, rapporte Loude, résume ce silence : les griots chantent les vainqueurs. Or Bakari II, parti avec ses soldats, ses griots, des vivres et de l’or, a disparu sans retour, c’est un « naufrage » de l’histoire, donc on ne parle plus de lui. Cette logique expliquerait le peu de traces orales directes sur son règne.
Reste la question de la faisabilité. Des spécialistes de la mer estiment qu’il est possible de partir des côtes ouest-africaines et de rejoindre, portés par les courants, le Brésil (Pernambuco), le Mexique ou les Caraïbes. Des découvertes contemporaines, embarcations de fortune et restes de migrants ouest-africains retrouvés dans l’Atlantique occidental, donnent un contexte montrant que la dérive transocéanique existe.
D’autres indices sont également avancés : au Mexique et au Panama, des objets archéologiques montrent des visages aux traits africains (larges nez, scarifications, cheveux crépus) et des peintures figurent des personnes noires. En 1515, le conquistador espagnol Balboa mentionne la présence d’« Éthiopiens » (noirs d’Afrique) dans l’isthme de Panama, certains combattant les populations locales, d’autres faits prisonniers.
Rien de tout cela ne constitue une preuve irréfutable que Bakari II a « découvert » l’Amérique. Mais l’ensemble — source écrite médiévale, traditions orales, faisabilité nautique, indices archéologiques et témoignages du début du XVIe siècle — invite à rouvrir le dossier. L’histoire scolaire centrée sur 1492 n’est pas forcément fausse, elle pourrait être incomplète.