Philippe Mesnard revient sur la décision du tribunal administratif de Nantes d'enjoindre la commune des Sables-d’Olonne de retirer une statue de Saint-Michel d'une place publique afin de se mettre en conformité avec la loi de 1905.
En donnant raison à la Libre Pensée vendéenne qui exigeait qu’une statue de Saint-Michel soit retirée d’une place publique, le tribunal administratif de Nantes valide une conception anticléricale de la laïcité aussi surannée que les opinions des Libres Penseurs.
Il y a en France des gens courageux et obstinés, souvent issus d’une longue lignée de gens courageux et obstinés, un peu têtus, un peu neuneus, qui se sont donné pour tâche de lutter contre la religion catholique. Armés de rien, sinon de tout l’appareil d’un Etat férocement anticlérical depuis la Révolution, à peine soutenus, sinon par tous les progressistes autoproclamés, ils s’acharnent à abattre l’Infâme. Ils ont ignoré le nazisme et le communisme, petites péripéties sans envergure et sans dommages, pour se consacrer à l’éradication du catholicisme qui embrume les esprits et corrompt les corps bien plus sûrement que la cancel culture et la pornographie en ligne. Ils ne sont pas nombreux mais ils sont teigneux, ils n’ont pas bien compris que les siècles passent mais, en vrais conservateurs, ils s’accrochent à leur devise désuète et émouvante, «Ni dieu ni maître, à bas la calotte et Vive la Sociale !», qui ressemble à ces tendres épaves retraitées qu’on croise dans les défilés de la CGT.
Horreur, un saint !
Lorsque l’Eglise catholique elle-même leur a prêté main-forte, saccageant ses églises, bouleversant son calendrier, annulant ses pèlerinages, renonçant à ses processions et faisant allégeance à la République, ils n’y ont pas cru – et ils ont eu bien raison. Imaginez-vous qu’aux Sables-d’Olonne, en Vendée, un maire a installé une statue de Saint-Michel devant l’église Saint-Michel sur la place Saint-Michel ?! En 2018 ?! Une statue de SAINT – l’émotion m’étreint – sur une place publique ! Une statue de saint, c’est bien simple, n’est pas d’abord une statue : c’est une provocation catholique. Dans ce pays qui ne comporte plus que 2% de catholiques pratiquants, une statue de saint est une intolérable incitation à la conversion de masse, et le fait que des édiles l’installent n’est ni plus ni moins qu’une dragonnade. Il fallait exiger qu’elle soit enlevée.
Alors que Castaner, ex-ministre de l’Intérieur, considère que «Notre-Dame de Paris n’est pas une cathédrale», alors que les présidents successifs ont fait voter avec succès des lois qui, toutes, méprisent, contredisent et combattent le catholicisme, alors que 65% des jeunes musulmans considèrent que les lois de la République pèsent peu par rapport à celles de l’islam, alors que le contrat d’engagement républicain imaginé par LREM va mettre l’Eglise et ses associations sous la tutelle de l’Etat, le petit troupeau de la Libre Pensée, concentré sur sa noble tâche comme une vieille demoiselle sur la défense de l’imparfait du subjonctif dans les circulaires administratives, proteste contre l’érection d’une statue de Saint-Michel. Après avoir protesté contre quelques calvaires. Et une statue de Jean-Paul II. Les mosquées fleurissent, les municipalités les financent, les (rares) processions catholiques se font attaquer par des antifas ou des musulmans, la Libre Pensée n’en a cure : elle défend la vraie liberté d’expression, qui est d’empêcher les catholiques d’exister. Quatorze siècles d’expansion musulmane ne sont rien contre le danger d’une statue de Saint-Michel, qui plus est en bronze, matériau solide.
Considérer la statue, ne pas voir l’islam
La Libre Pensée a en plus des arguments solides : voir une statue de Saint-Michel provoque un choc émotif sur les libres penseurs. C’est leur équilibre psychologique qui est en cause. Ils sont si fortement ébranlés que leur corps, affaibli, est la proie facile de tous les virus. Les citoyens ordinaires, qui ne sont pas ébranlés, ni par les éructations de Raquel Garrido, ni par les exercices d’admiration de Macron, ne peuvent pas comprendre. Ils sont certainement sous l’emprise des «curés» (autre espèce en voie de disparition, avec les calottes – mais c’est une autre histoire). Il faut, pour les choquer, et encore, pour quelques mois seulement, une décapitation ou deux, un massacre avec quelques dizaines de victimes, des prêches expliquant que l’islam doit conquérir le monde. Mais la Libre Pensée n’a que faire de ces vaguelettes, elle ne traite que des tsunamis, comme l’érection d’une statue de Saint-Michel, en bronze, sur la place Saint-Michel, aux Sables-d’Olonne. La Libre Pensée, elle, regarde la réalité en face avec ses vieux militants usés. Et voulait que cette statue, plantée comme un pieu dans le corps douloureux de la République, soit ôtée.
Par gentillesse, par pitié, pour le plaisir d’un geste chevaleresque envers une confrérie décimée qui perpétue avec panache les vieilles traditions de la IIIe République anticléricale (tout en rêvant avec nostalgie à quelques noyades nantaises et à une expulsion générale de tous les religieux – catholiques, n’est-ce pas), un juge administratif leur a donné raison. Au nom de la laïcité, ce principe républicain chéri par les Libres Penseurs qui permet aux gens intelligents de souhaiter un bon ramadan et de ne pas parler de Noël, de refuser de participer à une cérémonie catholique séculaire et de financer les mosquées – qui sont plus grosses et plus nombreuses que les statues de Saint-Michel sablaises. Pourquoi ? «La statue, une fois dévoilée par le maire, lui-même ancien parachutiste, a été bénie par un prêtre, cette bénédiction confirmant son rattachement à l’iconographie chrétienne», a expliqué le tribunal administratif de Nantes. Sans bénédiction en 2018, Saint-Michel n’aurait pas été catholique, c’est bien évident. Il n’aurait été qu’un élément du folklore local. Il n’aurait qu’un caractère culturel et historique. Mais le tribunal administratif de Nantes ne veut reconnaître de caractère culturel et historique qu’à la Libre Pensée, vieille dame sourde, aveugle et boiteuse, bien digne de notre compassion.
La laïcité administrative est bloquée sur l’anticléricalisme du XIXe siècle. Le maire a jugé, lui, que «les tribunaux de notre pays ont pourtant autre chose à faire que d’instruire les demandes abusives de laïcistes radicaux complices de la cancel culture qui cherchent à déboulonner un par un les attachements culturels millénaires qui ont forgé notre identité collective.» Il pourrait avoir raison, et le tribunal pourrait s’être trompé sur ce qu’il y a sauver, entre une culture multiséculaire inscrite dans les écoles et les hôpitaux, et l’expression rance et dépassée d’une haine sans objet qui n’a jamais rien produit pour le bien commun.
Philippe Mesnard