Au lendemain des élections législatives en Pologne et du triomphe de la droite conservatrice, RT France discute des résultats avec le professeur de l’Institut des langues et des civilisations orientales de Paris, Bruno Drweski.
RT France : Est-ce que le succès du parti Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwosc, PiS), de la droite conservatrice, était-il prévisible ?
Bruno Drweski : Oui, c’était tout à fait prévisible parce qu’il y avait un fond de mécontentement du pouvoir en place pour des raisons très diverses, qui vont de la politique étrangère à la politique intérieure en passant par les relations avec l’UE. D’autre part, le parti conservateur a su jouer sur deux cartes au même moment – c’est-à-dire la carte de changement et de la tradition polonaise et en même temps de la classe populaire, des intérêts gens qui ont été mis sur le bord du chemin au cours des transformations économiques. En jouant sur ces deux tableaux ils ont pu capitaliser sur une grande partie du mécontentement de la population.
RT France : Que signifie le résultat du mouvement Kukiz’15, qualifié d’extrême droite, qui est arrivé troisième aux élections alors que c’était la première fois que ce parti participait aux législatives ?
Bruno Drweski : C’est surtout un parti inclassable que d’extrême droite. Et c’est plus une personne qu’un parti – le rockeur punk Paweł Kukiz – qui n’était pas particulièrement politisé et qui dit un peu tout et son contraire. Son atout principal est le fait qu’il n’appartient pas à l’appareil politique traditionnel des deux grands partis. Lui, apparaît comme hors de ce système. Il a capitalisé sur cet électorat qui voulait quelque chose de tout neuf, sans que les gens ne sachent trop ce que c’est exactement son programme. C’est plutôt sa personnalité, le fait qu’il était un outsider qui a contribué à son succès.
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RT France : Mais le parti se prononce contre l’immigration, est-ce une marque de l’extrême droite ?
Bruno Drweski : C’est un élément à prendre en compte, mais je ne pense pas qu’il soit le seul à contribuer à son succès. Le PiS a joué aussi cette carte de la méfiance à l’égard de l’immigration. C’est effectivement un élément à considérer mais c’est très difficile de savoir si c’était l’élément principal, parce que Paweł Kukiz était déjà là lors des dernières élections présidentielles, à un moment où on ne parlait pas vraiment de cette question des réfugiés, qui a émergé au printemps 2015. C’est un élément qui s’est ajouté à sa campagne, mais c’est très difficile d’en mesurer la proportion.
RT France : Comment la politique européenne sera-t-elle influencée par l’arrivée de la droite conservatrice au pouvoir en Pologne ?
Bruno Drweski : A priori, le parti qui vient d’être élu est plutôt eurosceptique – l’électorat est eurosceptique et ses dirigeants ont joué là-dessus. Mais c’est a priori. L’euroscepticisme du PiS reste assez verbal, pas tellement concret. Par ailleurs, vous avez une contradiction majeure dans ce parti, c’est que d’un côté il joue sur la russophobie, et de l’autre – sur la germanophobie. La Pologne est entre les deux, il faudra choisir et ce parti ne dit pas vraiment ce qu’il choisit lorsqu’il y a des tensions entre l’UE et la Russie. Il choisit plutôt l’Occident, l’OTAN et, par conséquence, sa germanophobie devient plutôt verbale. Je ne pense pas qu’au pouvoir ils changeront grand-chose.
RT France : Donc à votre avis, cette germanophobie n’est qu’une promesse électorale ?
Bruno Drweski : Voilà. De la même façon qu’ils l’avaient déjà jouée la première fois quand les frères Kaczyński sont arrivés au pouvoir il y a 18 ans. Au moment des élections, ils jouaient aussi la carte de la germanophobie mais une fois élus, à part quelques déclarations verbales, la Pologne n’a pas suivi cette voie, prise par la Hongrie d’Orban, par exemple, qui est plus conséquente dans son euroscepticisme et «otanosepticisme». D’ailleurs, officiellement, Orban est considéré comme le leader européen le plus proche du PiS. Je constate quand même qu’il y a un décalage entre la politique d’Orban et la politique du PiS. Certes, ils appartiennent à la même psychologie politique, au même électorat, mais les leaders ne sont pas sur la même longueur d’onde en particulier en ce qui concerne la Russie.
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RT France : Comment l’Europe va-t-elle faire face à la crise des migrants avec autant de pays européens gouvernés par la droite?
Bruno Drweski : De toute façon, la Pologne a accepté de ne prendre qu’un tout petit nombre de réfugiés, ce n’est pas extraordinairement important. La deuxième chose, c’est que la plupart des migrants ne veulent pas venir en Pologne parce qu’il n’y a pas de travail, ils préfèrent aller ailleurs. Même quand ils obtiennent un permis provisoire de séjour en Pologne, la première chose qu’ils font – ils prennent le train en direction de l’Allemagne ou de la Suède en profitant du régime Schengen. Je ne pense pas qu’on va assister à un afflux massif de migrants des pays méditerranéens. En revanche, on assiste à un afflux massif d’Ukrainiens depuis un an – mais c’est plus ancien, plus traditionnel. Cela provoque des tensions mais d’un autre type évidemment, que des populations dont on ignore le comportement, l’existence etc.
RT France : La Hongrie est constamment ostracisée par l’UE à cause de son refus d’accepter les migrants. Ensemble avec la Pologne, peuvent-ils ébranler la politique européenne ?
Bruno Drweski : Au niveau des populations, il y a une forte réticence à l’égard de la politique européenne qui va des pays Baltes jusqu’à la Bulgarie, toute l’Europe du Centre et de l’Est est très réticente. Il y a effectivement un sous-bloc qui se forme dans l’UE qui se manifeste sur différentes questions. Je dirais que le problème est que les différents pays de cette région ne se sont jusqu’à présent jamais réellement unis sur les points de convergence qu’ils ont entre eux. On verra ce que cela va donner, mais pour le moment je suis encore très sceptique concernant une espèce de coordination sur n’importe quel sujet. Pour ce qui est de l’UE, son degré de cohérence globale est assez en crise en ce moment. C’est l’Allemagne qui mène le bal et fait ce qu’elle veut, les autres suivent, ou pas trop.
RT France : Le fait que la droite monte en puissance – les partis comme Pegida en Allemagne – est-ce une tendance au niveau européen ?
Bruno Drweski : Je ne sais pas si c’est partout en Europe, mais c’est le cas de l’Europe centrale et orientale. Je ferais quand même une différence entre la droite du centre-est européen et la droite occidentale, dans la mesure où celles de l’Europe de l’Est et d’Allemagne sont très populiste au sens où elle prennent en compte le peuple et les classes populaires sur ce que je dirais les droits les plus traditionnels de l’Europe occidentale affirme d’une façon moins conséquente. L’Europe du Centre-Est est une Europe de périphérie par rapport au centre occidental, et la montée de la droite dans ces régions-là est lié aussi à ce facteur de périphérisation par rapport à l’Europe occidentale qui se manifeste aujourd’hui par la montée de la droite mais qui peut se manifester par une autre tendance, par exemple dans une tendance favorable à Moscou. On sent que la russophobie officielle n’est pas très bien relayée sur le terrain. L’Europe du Centre-Est a ses propres intérêts, elle n’en est pas encore consciente mais elle est consciente du fait qu’elle n’est pas occidentale.
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