La ministre allemande de la Défense vient de marteler que la défense européenne reposait sur l’OTAN. Une position décevante pour la France, mais qui a le mérite de la clarté, estime Philippe Migault.
Le scepticisme de nombreux experts vis-à-vis de la coopération de défense franco-allemande n’a eu de cesse, depuis des années, d’être balayé d’un revers de main par les gouvernements français successifs, quelle que soit leur couleur politique. «Entreprise de longue haleine», l’autonomie stratégique européenne s’inscrivait selon eux dans le sens de l’histoire avec, pour axe incontournable, le couple franco-allemand. Certes, on ne méconnaissait pas les «divergences culturelles», «les sensibilités différentes», de part et d’autre du Rhin, vis-à-vis de la chose militaire. Mais celles-ci, assurait-on, finiraient par s’estomper. Face à une OTAN «en état de mort cérébrale», à une Amérique se désengageant prétendument d’Europe, à la remontée en puissance de la menace russe, la constitution d’une véritable défense européenne n’était pas seulement souhaitable, elle devenait indispensable, inéluctable, martelait-on de l’Elysée à Balard via la rue Saint-Dominique.
Les illusions d’une autonomie stratégique européenne doivent cesser
Las. Avec un sens de la diplomatie et une finesse typiquement germaniques, la ministre allemande de la Défense, Annegret Kramp-Karrenbauer, vient de siffler la fin de la récréation. Dans une interview au site atlantiste Politico.eu, elle déclare sa flamme aux Etats-Unis, qui, «plus que tout autre [demeurent] le pays de l’espoir et des horizons, de la liberté et de convictions partagées.» Un joli message, un peu naïf peut-être, mais aussi exclusif de toute autre relation forte. Si Madame Kramp-Karrenbauer se félicite des efforts européens en matière de dépenses militaires, elle estime que «les illusions d’une autonomie stratégique européenne doivent cesser [car les] Européens ne seront pas capables de remplacer l’Amérique dans son rôle crucial de pourvoyeur de sécurité.» Bref, pour les Français qui conservent d’indécrottables illusions, les boulons du casque sont clairement resserrés : l’Allemagne ne conçoit son avenir que dans un cadre transatlantique. Rien de changé depuis le fiasco du traité de l’Elysée de 1963.
Et le ministre ne s’arrête pas là. Elle juge urgent pour l’Allemagne d’engager le processus d’adaptation de ses forces afin de demeurer dans le dispositif nucléaire de l’OTAN, bref, d’acquérir de nouveaux avions de combat permettant à la Luftwaffe de transporter la bombe atomique B-61, destinée à des frappes tactiques en Europe.
A cette aune, l’enthousiasme vis-à-vis de toutes les coopérations de défense franco-allemande est bien entendu à nuancer. Pour Paris, les projets de char de combat du futur (MCGS) ou de système de combat aérien du futur (SCAF) ne sont pas simplement des programmes conjoints ayant vocation à constituer des champions «européens» de la défense ou à partager le fardeau des coûts. Les Français ont toujours espéré – timidement compte tenu des réserves allemandes – que de ces projets communs naîtraient une vision commune, fût-elle partielle, d’une défense européenne autonome, avec des cahiers des charges voisins, faute d’être strictement identiques, pour les forces armées des deux pays. Grâce à Madame Kramp-Karrenbauer, les derniers rêveurs peuvent désormais comprendre qu’il n’en sera rien.
Le cerveau de la Bundeswehr demeurera au Pentagone, et l’Allemagne ne se prêtera en aucun cas à la constitution d’un pilier européen de l’OTAN susceptible d’assurer seul un jour la sécurité de l’Union européenne. Cela allait déjà sans dire. Cela va mieux en le disant.
Philippe Migault
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