Par Sébastien Boussois Tous les articles de cet auteur
Sébastien Boussois est docteur en sciences politiques, chercheur sur le Moyen-Orient et les relations euro-arabes, le terrorisme et la radicalisation. Il est également enseignant en relations internationales.

Comment Macron a rompu l’équilibre de ses relations dans le Golfe en jouant la carte dangereuse MBZ

Comment Macron a rompu l’équilibre de ses relations dans le Golfe en jouant la carte dangereuse MBZ© Gonzalo Fuentes Source: Reuters
Le président français Emmanuel Macron et le prince héritiers des Emirats arabes unis, Mohammed ben Zayed, le 21 juin 2017 à l'Elysée (image d'illustration).
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Selon le chercheur Sébastien Boussois, le rapprochement d'Emmanuel Macron avec le prince héritier des Emirats arabes unis Mohammed ben Zayed après avoir tenté l’équilibre avec le Qatar, le plonge dans des choix dangereux pour la paix dans la région.

Dans le contexte de la crise déclenchée le 5 juin 2017 par l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis en tête contre le Qatar afin de l’isoler sur la scène internationale, Emmanuel Macron fraîchement élu, était encore plein de rêves et d’illusions sur la capacité de l’Elysée à peser et jouer un rôle de médiateur au sein de plusieurs conflits mondiaux. Le Golfe en faisait partie.

Il faut bien dire que les relations entre Paris et Doha étaient particulièrement au beau fixe depuis le mandat de Nicolas Sarkozy. Et pour cause, déjà à l’époque : «Nos liens économiques avec le Qatar sont denses, que ce soit sur le plan commercial ou financier. Si le montant de nos échanges commerciaux a connu un léger infléchissement en 2016, après une année 2015 record, il reste bien supérieur aux résultats des années précédentes. Le Qatar représente, selon les données disponibles pour l’année 2016, le septième excédent commercial de la France avec 1,6 milliard d’euros (1,8 milliard d’exportations et 239 millions d’euros d’importations). La France demeure également l’une des destinations privilégiées de l’investissement qatari à l’étranger, aux côtés du Royaume-Uni, de l’Allemagne et des États-Unis (les investissements Qataris en France sont estimés à près de 25 milliards d’euros en 2016).»

Le 6 juillet 2018, le président Emmanuel Macron recevait l’émir du Qatar Tamim Al-Thani à l’Élysée au cours d’une visite officielle. Ce fut l’occasion une fois encore de souligner la bonne santé des relations entre les deux pays. L’histoire est ancienne en réalité. Depuis 1996, la coopération militaire entre le Qatar et la France n’a eu de cesse de croître : collaboration des forces d’une crise régionale à une crise mondiale de sécurité́ qataries avec la gendarmerie française, alternance de l’organisation du Salon mondial de la sécurité des États Milipol entre Doha et Paris inaugurés jusqu’en 2015 par les plus hauts dirigeants des deux pays. En 2011, l’engagement des aviateurs à la fois français et qataris lors des opérations en Libye avait marqué une nouvelle étape de l’association entre les deux pays. Enfin, la signature le 4 mai 2015 du contrat portant sur l’achat de 24 avions Rafale était venue renforcer encore les relations entre les deux nations. Mais déjà, le président François Hollande lorgnait ailleurs et changeait petit à petit d’alliance privilégiée pour se rapprocher de l’Arabie saoudite.

Emmanuel Macron, lui lentement, fera le choix des Émirats arabes unis contre les autres. Le Qatar perdit petit à petit de son attraction.

Pourtant, au tout début de son mandat, Emmanuel Macron avait le sens de l’équilibre espérant encore peser dans le jeu des rivalités régionales moyen-orientales : à la fin 2018, il s’était rendu autant de fois en Arabie saoudite qu’aux Émirats arabes unis, qu’au Qatar. Dans le contexte de la crise, c’était un défi mais il avait un rôle à jouer, il l’espérait même pendant la tentative de médiation du Koweït. Dans un article du Huffington Post de décembre 2017, Claire Tervé explique que la chasse semblait de toute façon gardée pour le président français et ce pour des raisons éminemment stratégiques : «Depuis plusieurs mois, le président français montre sa volonté de s'impliquer dans la résolution de la crise qui frappe les pays du Golfe [...]. En septembre, Emmanuel Macron avait reçu l'émir du Qatar, cheikh Tamim al-Than. Quelques semaines après, il avait également annoncé vouloir se rendre en Iran, pays ennemi des Emirats, lors d'une visite officielle. Puis, en novembre, il avait entrepris ses voyages aux Emirats et en Arabie saoudite. La tactique du président est claire : dans la ligne d'une prudente politique diplomatique, Emmanuel Macron tente de ménager ses alliés, tout en avançant ses pions dans ce contexte houleux de crise.» 

Mais l’attraction irrémédiable des Emirats arabes unis et du prince héritier mben Zayed étaient déjà en marche. Au-delà de la propagande anti-qatarie désormais institutionnalisée, la France a, faut-il le rappeler, une base à Abu Dhabi où stationnent près de 500 militaires français. Le 9 novembre 2017, le président français inaugurait l’antenne du Louvre d’Abu Dhabi, puis se rendait le lendemain à Riyad. À peine un mois après, il voyageait, après l’Algérie, vers Doha pour signer de nouveaux contrats. Toute l’ambiguïté́ de la politique française fut résumée dans un article paru sur le Huffington Post le 9 novembre 2017: «Les relations de la France avec l'Arabie Saoudites sont assez complexes. Emmanuel Macron a clairement fait comprendre que, contrairement aux Émirats et à l'Égypte, l'Arabie Saoudite n'était pas un pays fiable en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme. Une remarque qui s'inscrit dans la crise que traverse le Qatar et l'ensemble des pays du Golfe.»

Macron venait donc de critiquer la politique antiterroriste de Riyad, sans désigner le Qatar comme le foyer dudit terrorisme, pourtant raison officielle principale de la mise au ban de Doha par Mohammed Ben Salmane en juin 2017. En réalité au-delà des mots, une fois encore, les affaires sont les affaires : «Cependant, même si le manque de confiance est établi, la France entretient tout de même de bonnes relations avec l'Arabie Saoudite. [...] L'Arabie est notre premier partenaire commercial dans le Golfe avec 10 milliards d'euros en 2014 et 8,5 milliards d'euros en 2015 (la différence s'explique par la baisse de nos importations en hydrocarbures)", souligne l'Elysée».

L’intérêt de la France aurait pourtant été que la crise se résolve au plus vite, dans l’intérêt également de ses principaux partenaires dans le Golfe. Mais il n’en fut rien. Le président Macron s’engagea corps et âme dans un soutien indéfectible aux Emirats arabes unis qui désormais passent leur temps à semer la zizanie partout dans la région : remise en cause de l’accord sur le nucléaire avec l’Iran, soutien à la guerre au Yémen avec Riyad, intervention et soutien hasardeux au maréchal Haftar en Libye contre le gouvernement d’union nationale reconnu par les Nations unies, appel au mercenariat sur les terrains de guerre libyen et yéménite, rapprochement avec Israël et normalisation sans résolution de la question palestinienne qui finit de diviser un peu plus le monde arabe, torture, enlèvements, disparitions sur place relevés par de nombreuses ONG. Faut-il rappeler que les Emirats arabes unis sont régulièrement sur la liste des paradis fiscaux condamnés par l’UE et donc la France ? Ou bien que les Emirats mènent régulièrement des OPA agressives sur les principales mosquées françaises, à commencer par Evry ou celle de Paris pour y imposer leur islam ? 

Mais qu’est donc venue faire Emmanuel Macron dans cette galère ? C’est ce que Jeune Afrique titrait récemment en parlant à juste titre de la lune de miel et des «noces guerrières» de MBZ et Macron : « Entre les ventes d’armes, l’opposition à l’islam politique et à l’activisme turc, Paris et Abu Dhabi ont développé des relations privilégiées. Une amitié qui se cultive au sommet du pouvoir, dans un tout petit cercle : "La cellule diplomatique de l’Élysée, Jean-Yves Le Drian et le président"». Et pour se cacher de tout cela dans l’opinion, le meilleur moyen était d’entretenir au mieux ce qu’on appelle en géopolitique la dissimulation par l’art, à tel point que Paris rayonne à Abu Dhabi mais pour des raisons plus officielles et acceptables : «À Abou Dhabi, capitale des Émirats arabes unis, la France a imprimé sa marque sur le paysage. Depuis le pont Sheikh Khalifa, on peut désormais embrasser du regard trois lieux emblématiques du rayonnement français dans la pétromonarchie. A l’ouest, la base navale de Mina Zayed, qui abrite l’état-major interarmées des Forces françaises. À l’est, flottant telle une méduse d’acier sur les bords de mer, le joyau de Jean Nouvel, le Louvre Abu Dhabi, qui a accueilli plus de deux millions de visiteurs depuis son ouverture, en novembre 2017. Au sud, l’université Paris-Sorbonne Abu Dhabi, qui a vu passer sous son dôme près de 2000 étudiants depuis sa création en 2006», rapportait Jeune Afrique. A quand une avenue Emmanuel Macron dans la capitale des Émirats à ce rythme ?

Sébastien Boussois

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