L’épargne à la merci de la crise actuelle

L’épargne à la merci de la crise actuelle© PHILIPPE HUGUEN Source: AFP
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Les craintes de voir une partie de l’épargne des Français confisquée pour cause d’endettement, renforcées par des avis du FMI, sont-elles fondées ? Esquisse de réponse par Michel Tirouflet, chef d'entreprise, historien et économiste.

L’État devra-t-il opérer un raid sur la fortune des Français pour apurer une partie au moins de sa dette dont on peut se demander si elle est abyssale ou himalayenne mais dont personne ne discute la périlleuse grandeur ? C’est une question que le FMI avait posée en 2013 et que l’actualité virale rend chaque jour plus actuelle et plus brûlante. Il n’y a pas si longtemps, la dette publique française représentait environ 10 % du patrimoine des Français dont on sait qu’il est majoritairement composé d’immobilier, les résidences principales représentant une bonne partie de celui-ci. Aujourd’hui, ce pourcentage est plus proche de 20 % avec cette différence que l’activité économique est sévèrement malmenée par la crise sanitaire et que le retour à la croissance peut se révéler long et douloureux. Retour logiquement pénalisé par le poids accru de la dette publique. Comme je le disais dans un ouvrage récent, ce n’est pas la croissance qui dévore la dette mais la dette qui dévore la croissance.

Il y a quelques années, un directeur de l’Agence France trésor, chargée de la gestion de la dette de l’État, s’était bizarrement réjoui de la diversification que l’Agence avait cru réussir en touchant de nouveaux prêteurs tout particulièrement étrangers. C’était évidemment faire entrer le loup dans la bergerie. Avec le risque que le loup sentant sa proie lui échapper, pour cause d’incapacité de l’État de remplir ses engagements demande le remboursement du capital investi en obligations assimilables du Trésor.

Pourtant, la notation de la France demeure étrangement élevée et certains experts, notamment au sein des grandes banques, de gestion notamment, expliquent justement ce que d’autres pourraient qualifier d’anomalies par la quasi-certitude que le moment venu, le Gouvernement et le Législateur s’entendront pour décider une ponction exceptionnelle sur le patrimoine des Français. Cependant, cela n’est pas si sûr.

Certes, les gouvernements ont déjà pratiqué ce type de ponction mais à petite échelle. Comme ce fut le cas en 2012 de la contribution exceptionnelle sur la fortune. Qui, malgré son ampleur limitée, avait fait des vagues et laissé quelques très mauvais souvenirs. À l’étranger, mais en Europe, l’exemple de Chypre montre que décider pour un État de se servir directement dans l’épargne des citoyens, n’est pas facilement accepté par les résidents et encore moins par les déposants étrangers. Par ailleurs, la situation de Chypre pendant la crise de 2012/2013 et surtout de ses banques surnuméraires n’est pas aisément transposable.

Bien que la situation de la dette publique et celle de la fortune des Français soient en plein cœur de crise largement grevées d’incertitude, on sait que la première croît exponentiellement quand la seconde est sûrement plus qu’écornée. Or, pour avoir un impact tangible sur le montant de la dette, une ponction devrait être lourde et donc amputer une partie assez considérable du patrimoine des Français. Alors que dans le même temps, la hauteur des divers impôts est déjà très élevée. Et que le déficit budgétaire était encore énorme avant le début de la crise du Covid 19.

Certes, en théorie, puiser dans la fortune des citoyens paraît possible et, pour certains, même souhaitable. Mais il y a loin de la théorie à la pratique. Pour deux raisons : la première est que le remède serait sans doute pire que le mal, la seconde étant qu’il existe certainement d’autres moyens de traiter la maladie, les prêts aux États directement par la banque centrale européenne étant l’un d’eux. Ponctionner les patrimoines privés dans les circonstances d’aujourd’hui, à condition que cela soit techniquement, politiquement et constitutionnellement possible, aurait en effet des effets singulièrement délétères. La confiance du peuple, et surtout de ses forces vives, serait durablement détruite, ce qui serait susceptible de provoquer notamment une crise bancaire majeure et une émigration économique aux conséquences dépressionnistes semblables à celles qui furent provoquées par la révocation de l’édit de Nantes. Or, il est manifeste que la santé financière d’un pays ne peut être au beau fixe qu’à la condition d’une conjonction de la confiance et de l’existence de liquidités abondantes dans l’économie. Clairement, une ponction des patrimoines privés qui serait forcément limitée aux actifs financiers et qui devrait être d’une amplitude extraordinaire, aurait un impact néfaste sur ces deux exigences. La France aurait ainsi honoré ses engagements mais serait un pays économiquement sinistré. Et d’autant plus endommagé que l’État ne pourrait plus se rendetter tout en voyant ses recettes fiscales considérablement diminuées.

Certains économistes dits ultra-libéraux ont suggéré que la France soit défaillante sur sa dette. Cette idée paraît tellement farfelue et son hypothétique mise en œuvre si dévastatrice que sa discussion ne présente à mon sens aucun intérêt.

En revanche, que la France restructure une partie importante de sa dette, en utilisant plusieurs techniques, semble à la fois possible et, il faut l’admettre, plus raisonnable. En premier lieu, si une ponction brutale et sans contrepartie paraît donc porteuse de risques inappréciables mais inévitablement destructeurs, une emprunt forcé, remboursable à long ou très long terme, possiblement nanti d’avantages particuliers, serait une opération adaptée. L’exemple de «l’impôt sécheresse» de 1976, en pratique un emprunt forcé remboursable jusqu’en 1982, montre la technique possible. Elle aurait, en outre, l’intérêt de rapatrier les prêteurs. En deuxième lieu, la France devrait rechercher les possibilités de lever sur les marchés internationaux de la dette perpétuelle, à des conditions sans doute plus élevées que celles d’un emprunt classique mais permettant de ne pas accroître le risque de défaillance du pays en cas de difficultés de refinancement. Enfin, en troisième lieu, la France devrait s’engager dans une vraie politique de diminution des dépenses publiques. Ce qu’elle s’est refusée de faire jusqu’à présent avec une coupable faiblesse de caractère.

Une politique de réduction des dépenses publiques, d’autant plus nécessairement drastique qu’elle survient tard et après avoir subi deux crises majeures, ne doit pas consister seulement à tailler à l’aveugle dans les sorties de trésorerie de l’État et des collectivités publiques mais aussi à réorienter ces dépenses publiques. Et, s’il fallait prouver qu’elles étaient jusqu’à présent mal orientées, il suffirait de rappeler l’inefficacité de notre système de santé face à l’actuelle crise sanitaire.

Mais le pire n’est jamais sûr. Il va de soi qu’une montée rapide et brutale des taux d’intérêt qui ne pourrait résulter que d’une perte de confiance des prêteurs n’est pas à exclure. Ses effets seraient dévastateurs pour la France et au-delà pour les pays de la zone euro. Or, la simple observation que le taux des obligations de l’État reste à des niveaux historiquement bas alors que Gouvernement, soutenu par l’Assemblée, ouvre tout grands les cordons de la bourse nationale, est finalement assez rassurante. Cela signifie que les prêteurs à la France restent confiants dans la capacité du pays à faire face à son endettement malgré l’inévitable accroissement de celui-ci. Toutefois, on peut légitimement s’interroger sur la pérennité de cette confiance si nos gouvernants ne s’attaquaient pas au déficit budgétaire.

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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