Auto-amnistie préventive de la Macronie : technique du coup d'éponge

Auto-amnistie préventive de la Macronie : technique du coup d'éponge© LOIC VENANCE Source: AFP
L'avocat Régis de Castelnau revient sur la responsabilité pénale du gouvernement français durant la crise du Covid-19.
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Suite à la gestion douteuse de la crise sanitaire qui anime la société depuis plusieurs mois, l'avocat Régis de Castelnau dénonce la responsabilité pénale des décideurs publics de l'Etat français.

Toute la presse a répercuté les inquiétudes qui se sont fait jour au plus haut sommet de l’Etat concernant la mise en cause de la responsabilité pénale des décideurs publics – ministres et hauts fonctionnaires – dans le traitement de la crise du Covid 19. Jusqu’au président de la République qui a été jusqu’à fustiger, en les traitant d’irresponsables, les victimes qui osaient d’ores et déjà saisir les tribunaux pour faire valoir leur droit fondamental de s’adresser à la justice.

C’est chose normale, légitime et la marque d’un Etat de droit. Le Parlement contrôle l’activité politique du gouvernement, le juge pénal est saisi des fautes pénales commises par les personnes.

L’Etat de droit, pour quoi faire ?

Mais le respect de l’Etat de droit, c’est encore beaucoup trop pour Emmanuel Macron et sa bande.

Il est clair, compte tenu de l’incurie et de la gabegie qui ont caractérisé la gestion de la crise, et ce au plus haut niveau, que nous sommes confrontés à un florilège d’infractions pénales. Dont seront saisies par les victimes les juridictions compétentes, Cour de justice de la République pour les ministres et tribunal correctionnel pour les hauts fonctionnaires. Et cette perspective d’avoir à rendre des comptes est insupportable à l’équipe qui entoure le chef de l’État.

Ils ont imaginé une procédure afin de faire voter par le Parlement une loi que l’on ne peut qualifier autrement que de «loi d’amnistie préventive»

Comme chacun sait, face à l’impréparation et au manque de maîtrise de l’Etat dans le déconfinement, le gouvernement a décidé de faire appel aux maires. En particulier pour une rentrée scolaire ingérable à laquelle les communes seront nécessairement associées puisqu’elles ont la mission de fournir les moyens matériels au service public de l’Education nationale pour les écoles primaires. Beaucoup d’élus ont simplement refusé, et d’autres ont manifesté la crainte que leur responsabilité pénale soit mise en cause.

Alors, certains ont imaginé une entourloupe afin de mettre à l’abri les amis exposés. En s’emparant de la légitime et réelle inquiétude d’un certain nombre de maires et d’élus locaux face à la décision passablement irresponsable de la rentrée scolaire le 11 mai, ils ont imaginé une procédure afin de faire voter par le Parlement une loi que l’on ne peut qualifier autrement que de «loi d’amnistie préventive». L’ineffable Aurore Bergé a ingénument mangé le morceau dans un tweet publié dimanche à une heure du matin et dont il faut s’infliger la lecture pour mesurer la duplicité : «Nous proposerons une adaptation de la législation pour effectivement protéger les maires pénalement mais aussi toutes les personnes dépositaires d’une mission de service public dans le cadre des opérations de déconfinement. Des propositions que je porterai avec LAREM».

Avant de décrire le mécanisme du coup d’éponge envisagé, revenons sur la façon dont se pose le problème en l’état actuel du droit. Ce qui permettra de démontrer que si l’inquiétude des maires est compréhensible, elle est juridiquement infondée. Et la prétention des parlementaires LREM de vouloir les protéger simplement une imposture. Destinée à permettre un coup d’éponge salvateur pour les incapables, les désinvoltes, les menteurs, les cyniques et les amateurs à qui Emmanuel Macron a confié la gestion de la pandémie.

Protection des maires : que dit le droit ?

La principale infraction qui sera reprochée à ces décideurs publics défaillants sera celle d’homicides et blessures involontaires prévue et réprimée par tout d’abord l’article 221–6 du code pénal :

 «Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

En cas de violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende.»

C’est une infraction à caractère général, c’est-à-dire qu’elle concerne tous les citoyens quel que soit leur statut juridique. Il faut savoir que pour définir qui sont les personnes qui peuvent être incriminées, la France applique depuis toujours ce que l’on appelle la «théorie de l’équivalence des conditions» qui veut que tous ceux qui ont commis le dommage ou ont CONTRIBUÉ à sa réalisation sont pénalement responsables. C’est ce que l’on appelle les «auteurs directs» et les «auteurs indirects».

Dans les années 90, après la mise en œuvre des lois de décentralisation et en raison de mises en cause massives des maires dans l’exercice de leurs fonctions, le législateur a précisé les contours de cette responsabilité qui sont aujourd’hui définis dans l’article 121-3 du code pénal :

«Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les DILIGENCES NORMALES compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.

Dans le cas prévu par l’alinéa qui précède, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une FAUTE CARACTÉRISÉE et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer

Ce texte, fruit d’une élaboration particulière dans les années 90 à laquelle l’auteur de ces lignes a participé, avait évidemment un caractère général applicable à tous les citoyens, mais c’est bien la nécessité de préciser le périmètre de la responsabilité personnelle des maires en matière d’homicide et de coups et blessures involontaires, qui en était l’objectif premier. Retenons bien les deux nouvelles conditions exigées pour que l’auteur indirect du dommage puisse être condamné : d’abord n’avoir pas accompli les diligences normales en fonction des moyens dont on disposait, et ensuite commis une faute caractérisée exposant autrui à un risque grave qu’on ne pouvait ignorer.

Etat d’urgence sanitaire ou pas, si l’Etat envoie les maires au casse-pipe sans leur donner les moyens d’appliquer la politique qu’il a décidée, ceux-ci ne pourront pas être poursuivis. Ils sont d’ores et déjà protégés.

Alors, il faut insister sur ce point, les maires chargés de mettre en œuvre les décisions irresponsables du gouvernement avec le manque criant de moyens qui caractérise la gestion macronienne de la crise seront protégés des mises en cause pénales par la notion de «diligences normales […] en fonction du pouvoir et des moyens dont ils disposaient» contenue dans le code pénal.

État d’urgence sanitaire ou pas, si l’État envoie les maires au casse-pipe sans leur donner les moyens d’appliquer la politique qu’il a décidée, ceux-ci ne pourront pas être poursuivis. Ils sont d’ores et déjà protégés. Et ce d’autant que le Conseil d’Etat vient de rappeler, dans son ordonnance d’annulation de la décision du maire de Sceaux imposant le port obligatoire du masque sur le territoire de sa commune, que les pouvoirs des maires en état d’urgence sanitaire étaient strictement limités, sans pouvoir d’initiative, à la mise en œuvre des décisions de l’Etat.

Les parlementaires LREM en mode blanchisseurs

Mais dans certains crânes a germé l’idée que l’expression de cette inquiétude infondée des maires et des élus locaux permettrait de réaliser l’opération d’auto-blanchiment dont ils rêvent. La démagogie électoraliste d’un certain nombre de sénateurs dans la perspective des prochaines élections sénatoriales affirmant la main sur le cœur leur volonté de protéger leurs futurs électeurs en a fourni l’occasion.

«Profitons de la discussion et du vote de la loi de prolongation de l’état d’urgence, pour faire passer un texte salvateur sous forme d’amendement» : dans la confusion actuelle, avec un Parlement godillot, une modification des textes en forme d’amnistie préventive pourrait être adoptée subrepticement et mettre à l’abri tous ceux qui craignent que leur impéritie, leur négligence, leur désinvolture, leur amateurisme et l’ampleur de la catastrophe qu’ils ont tant aggravée les emmènent dans le box des accusés.

Premier leurre envoyé par le sénateur Hervé Maurey annonçant à grand son de trompe le dépôt d’une proposition de loi destinée prétendait-il à protéger les maires. Ce texte est à la fois inconstitutionnel et juridiquement inepte :

 «La responsabilité, civile ou pénale, d’un maire ou d’un élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation, appelé à mettre en œuvre une décision prise, durant l’état d’urgence sanitaire, et en lien avec celui-ci, par l’Etat ou d’autres collectivités territoriales que la commune, ne peut être engagée que s’il est établi qu’il disposait des moyens de la mettre en œuvre entièrement et qu’il a commis de façon manifestement délibérée une faute caractérisée.» 

Tout d’abord, faire un régime spécial pour un élu afin de l’exonérer de l’application d’une infraction à caractère général concernant tous les citoyens, n’est pas possible. Ensuite la simple lecture de cette proposition démontre qu’elle n’est qu’une paraphrase du texte déjà existant. Pour un acte en lien avec l’état d’urgence sanitaire, l’élu ne pourra pour être condamné que «s’il disposait des moyens de la mettre en œuvre entièrement». Formidable innovation ! C’est précisément la définition des diligences normales déjà prévues à l’article 121-3 du code pénal (voir plus haut). Et la proposition de poursuivre : «l’élu ne pourra être condamné que s’il a commis une  faute caractérisée» !

Alors pourquoi cette énormité juridique inutile ? La suite nous l’apprend lorsque la presse publie une tribune de 138 députés de la majorité annonçant, la main sur le cœur leur soudaine sollicitude pour les élus locaux et leur volonté de déposer une proposition de loi destinée à les protéger.

La proposition concoctée et présentée à la dernière minute lors du débat à l’assemblée sera votée dans les bruits de l’orchestre comme un amendement à la loi de prolongation de l’état d’urgence. Et les amis d’Emmanuel Macron blanchis seront ainsi tranquilles.

Mais là patatras, Aurore Bergé mange le morceau. Et confirme dans son intervention calamiteuse que bien sûr il s’agit de protéger les maires (dont on sait qu’ils sont déjà juridiquement couverts) mais c’est pour ajouter : «mais aussi toutes les personnes dépositaires d’une mission de service public». Mais quelle surprise ! Car qu’est-ce qu’une personne dépositaire d’une mission de service public ? On va en citer quelques-unes, comme ça au hasard : Edouard Philippe, Christophe Castaner, Laurent Nuñez, Sibeth Ndiaye, Olivier Véran, Agnès Buzyn, Jérôme Salomon, les directeurs des ARS, etc. etc.

Et voilà, passez muscade ! La proposition concoctée et présentée à la dernière minute lors du débat à l’assemblée sera votée dans les bruits de l’orchestre comme un amendement à la loi de prolongation de l’état d’urgence. Et les amis d’Emmanuel Macron blanchis seront ainsi tranquilles. Et la fête sera complète car tranquilles, ils le seront pour l’avenir mais également pour le passé. Car s’il existe un principe de non rétroactivité de la loi pénale, affirmé dans l’article 112–1 du code, on trouve dans son alinéa 3 la seule exception, celle de la loi pénale plus douce : «Toutefois, les dispositions nouvelles s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu’elles sont moins sévères que les dispositions anciennes.» Ce qui serait bien le cas si ce texte était voté. Le tour étant joué, ministres et fonctionnaires défaillants pourraient alors respirer...

Ainsi, sous la fausse raison de vouloir protéger les maires, on veut voter une amnistie préventive pour mettre à l’abri le petit monde des défaillants, des incapables des cyniques et des inconséquents. Ils n’ont déjà aucun compte à rendre à un Parlement caporalisé, ils veulent en plus une immunité et un privilège pénal.

Il est un devoir de s’opposer à cette scandaleuse manipulation. Qui est aussi un aveu : celui que les plaintes des victimes qui viennent et qui viendront sont fondées.

Ces gens-là nous auront tout fait.

Régis de Castelnau

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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