Macron peut encore sauver son quinquennat

Macron peut encore sauver son quinquennat© Philippe Wojazer Source: Reuters
Le président de la République Emmanuel Macron.
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Denis Tillinac, écrivain, journaliste et éditeur, analyse les causes de l'estompement de l'état de grâce qui a semblé suivre l'élection d'Emmanuel Macron et les possibilités qui restent à celui-ci, confronté à la crise des Gilets jaunes.

Les Français ont élu Macron ad minima et sans le connaître à la faveur d’un concours de circonstances : retrait du Président Hollande (qui l’avait promu ministre pour contrer Valls), radicalisation des candidats issus d’un socialisme usé (Mélenchon et Hamon), élimination par la justice du candidat de la droite (Fillon) trahi par le ralliement en sous-main des amis de Juppé.

Aucune des familles politiques enracinées dans notre Histoire n’y trouvait son compte, mais Macron a, durant sa campagne, fait rêver les Français : un «monde nouveau» allait ensoleiller la France, porté par une majorité («En marche») oublieuse des clivages partisans. L’épouse Brigitte, nettement plus âgée, symbolisait une nouvelle donne psychologique. Finie la vieille France, ses conformismes, ses rigidités, les mauvaises habitudes de l’assistanat. Les médias ont fait les yeux doux, les forces de l’argent ont mis la main à la poche.

L’électorat de Macron se réduisait aux urbains très diplômés, bien calés dans l’économie-monde, libéraux sur le plan économique (moins de charges, moins de pesanteurs bureaucratiques, marché du travail fluidifié, etc.) et «libertaires» sur le plan des mœurs (apologie des minorités culturelles, hédonisme, etc.). Le projet ressuscitait le songe de Giscard : transcender le clivage droite-gauche en marginalisant les pôles extrêmes, Mélenchon et Marine Le Pen, dont les thèses «populistes» font encore écho au souci des Français ordinaires (rejet des institutions européennes, hantise de l’immigration, critique des «élites»). Tout cela sur fond de chômage, d’endettement endémique et de crainte suscitée par les attentats des terroristes islamistes.

L’électorat de Macron se réduisait aux urbains très diplômés, bien calés dans l’économie-monde

Il y eut trois mois d’état de grâce durant lesquels Macron, non sans brio, redonna un lustre à une fonction présidentielle que Sarkozy, et surtout Hollande, avaient désacralisée. Ne pas oublier l’impact, dans l’inconscient collectif français, de seize siècles de monarchie, de l’épopée napoléonienne et de la «grandeur» gaulliste. Ça compte. Le choix d’un Premier ministre sans aspérités, raisonnablement centriste et européiste (Philippe) parut judicieux. La réforme du statut de la SNCF révéla l’agonie de syndicats jadis puissants (CGT, FO, CFDT). Leur mise au pas en promettait d’autres. Du moins Macron l’a cru. Sa parole était rare et solennelle. Sa jeunesse, son indéniable charisme ringardisaient une opposition divisée et inaudible. Il allait régénérer l’Europe, son seul idéal proclamé.

Mais le capital de sympathie s’effilocha très vite. Trop de phrases maladroites ont trahi une arrogance de caste («Pognon dingue», «Gaulois réfractaires», etc.). On se prit à douter de sa sincérité. Puis de sa compétence. Comme précédemment, des communicants ont pris le pouvoir à l’Elysée pour zigzaguer à l’aveugle entre les désidérata des bobos partisans de la PMA pour les lesbiennes, et ceux des catholiques (discours aux Bernardins). Tout et son contraire.

Pas un mot sur la menace que font peser les flux migratoires, le communautarisme sévissant dans les banlieues. Menace pourtant soulignée par Collomb, ministre de l’Intérieur, qui déserta sans prévenir Macron après l’affaire Benalla. Affaire en soi mineure, mais qui aura sonné le glas du rêve macronien. L’opinion s’aperçut alors qu’à l’Elysée, au gouvernement, à l’Assemblée, les soutiens du Président manquaient d’étoffe, de jugement, d’expérience et en outre ne forçaient pas la sympathie. 

Le prestige présidentiel fut gravement détérioré par des incongruités (danseurs équivoques sur le perron de l’Elysée lors de la fête de la musique, images non moins équivoques aux Antilles en compagnie de voyous partiellement dévêtus, etc.). Parallèlement, les Français ont perçu la stérilité du vibrionage de Macron dans les relations internationales, face à des chefs d’Etat forts et résolus (Trump, Poutine, Xi, Erdogan). Il comptait sur l’autorité d’Angela Merkel pour co-animer une Europe selon ses désirs, mais la Chancelière est au bout du rouleau. En Italie, en Hongrie, en Pologne, les nouveaux gouvernants récusent son magistère. Les peuples du continent se tournent vers le «populisme» : ce constat, mal analysé par une macronie de plus en plus autiste, ne pouvait que l’isoler, y compris en France où seuls les métropolitains aisés le soutiennent encore.

Le reste du pays (villes moyennes, ruralité, classes moyennes précarisées, classes populaires, lumpen-prolétarisées, banlieues en état de sécession sociale) s’est senti largué et méprisé. La colère grondait, cela se ressentait plus ou moins confusément. Seuls les gens de l’Elysée n’ont rien vu venir. Longtemps épargné parce que l’omniprésence de Macron faisait écran, le Premier ministre commit une première bévue, faussement anodine, en imposant le 80 km/heure sur les routes de France où l’on a toujours roulé à 90. Cela a exaspéré les citoyens ordinaires qui vont travailler en voiture. Les surtaxes permanentes sur le tabac et l’alcool, la moraline secrétée par les porte-voix de la macronie, ont donné l’impression que la caste dirigeante considère les Français comme des enfants indociles. Elle ferait leur bonheur malgré eux. Elle les amènerait de gré ou de force dans son «nouveau monde» décomplexé, dérégulé, ubérisé, high-tech et hors sol.

Seuls les gens de l’Elysée n’ont rien vu venir

La surtaxe sur le pétrole a mis le feu aux poudres. Les Gilets jaunes ne veulent pas vivre dans ce «nouveau monde». C’est viscéral. Leur révolte spontanée traduit une relance de la lutte des classes et un attachement à des valeurs, des traditions, un mode de convivialité aux antipodes du néo-libéralisme macronien. Leur activisme autour des ronds-points a valeur de symbole ; ils y retrouvent une forme de fraternité. Ils ont fait de Macron leur bouc-émissaire en mixant un conservatisme moral et des postures révolutionnaires hérités de notre histoire (1789, 1830, 1848, Commune en 1871, Front populaire en 1936, CNL en 1944). Si les étudiants et les lycéens s’avisent de rééditer Mai 68, le désordre peut dégénérer en émeutes à répétition comme on en a eu un avant-gout avant Noël, à Paris et dans les grandes villes de province. Méfiance donc. Le fait que Marine Le Pen, présente au second tour de la présidentielle et écrasée par Macron dans le débat télévisé rituel, continue d’engranger des voix dans tous les sondages, donne à réfléchir. Et à gauche, les ultras ont trouvé en Mélenchon un remake de Danton.

Pour autant, Macron dispose encore de deux atouts : les institutions de la Ve République, qui surprotègent l’exécutif, et la division de la droite, frustrée et encore orpheline de Sarkozy. S’il souhaite se représenter en 2022, Macron peut dissoudre l’Assemblée et tenir une position d’arbitre car il ne retrouvera pas une majorité. La sienne (En marche) n’a aucune consistance et le savoir-faire de ses ténors (Ferrand, Castaner, Legendre) ne tient pas la route par temps orageux. Il peut aussi, après les élections européennes du printemps prochain, nommer un autre Premier ministre et bâtir avec lui une gouvernance modeste qui apaiserait le climat. Mais au prix d’un renoncement à toute réforme d’envergure.

Macron ayant perdu la main, le navire France n’a plus de cap. Macron a du talent, mais la macronie en manque cruellement. Une seule solution : s’en débarrasser avant qu’elle implose. Normalement, le tropisme de Macron devrait le faire basculer à gauche. Il s’est fait les crocs dans l’équipe de Straus-Kahn, il a grenouillé dans le hollandisme. Castaner et Ferrand sont des transfuges du PS, Rugy est un bobo-écolo. Le «nouveau monde» macronien voudrait abolir la mémoire de l’Histoire de France pour embarquer le pays dans une modernité à l’anglo-saxonne, avec en prime un moralisme à la scandinave. Les Français n’en veulent pas. Trop enracinés. Trop latins. Trop frondeurs. Alors…

Alors, tout dépendra des suites imprévisibles de la révolte des Gilets jaunes. Pour les apaiser il ne suffira pas de mesures octroyées avec la condescendance du «sachant». Ce qui importe n’est pas le contenu hétéroclite et souvent poujadisant de leurs revendications, mais la nature de leur effervescence. Elle révèle sans qu’ils le sachent clairement la nostalgie d’une identité stable et protectrice. Le peuple français a besoin d’être protégé, et plus encore d’être respecté. En ce sens, les Gilets jaunes sont le cœur vibrant du peuple de la France. Macron se tirera de l’impasse où il patauge si des responsables avisés n’appartenant pas à sa camarilla viennent à sa rescousse. C’est possible. Encore faudra-t-il qu’il ait le courage de renouveler son sérail. A cette condition, il peut encore sauver son quinquennat. Mais le temps lui est compté.

 

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