Avec la présentation de l’accord entre Londres et Bruxelles, les conditions du Brexit restent floues. Mais la sortie du Royaume-uni aura bien lieu le 29 mars prochain, un événement historique, rappelle Pierre Lévy, rédacteur en chef de Ruptures.
Le dossier Brexit n’est pas clos, loin de là. Une seule chose est certaine – et c’est l’essentiel : pour la première fois, un Etat membre sortira de l’Union européenne (UE). Ce sera formellement le cas, le 29 mars prochain, pour le Royaume-Uni. Et ce, conformément au choix exprimé par une majorité d’électeurs en juin 2016. Contrairement aux rêves de ceux pour qui un «Non» doit toujours être remis en question, il n’y aura pas de second référendum.
Pour le reste, l’incertitude demeure : le traité de divorce annoncé le 14 novembre, après presque deux ans de laborieuses négociations entre Londres et Bruxelles, sera-t-il approuvé par le Parlement britannique ? Et si oui, comment se dessineront les nouvelles négociations censées aboutir, en principe d’ici fin 2020, à un vaste accord régissant les futures relations entre les deux parties ?
A l’inverse, si Westminster refusait le projet, le Royaume-Uni larguerait sèchement les amarres. Une hypothèse synonyme de cataclysme selon les dirigeants européens. Certes, dans ce dernier cas, de nombreux problèmes techniques seraient à résoudre, dans un climat inévitablement tendu. De là à décrire une situation de paralysie totale, des Anglais menacés par des pénuries effrayantes, et un chaos économique continental sans précédent … Les exagérations qu’on entend de diverses parts ne sont certainement pas innocentes.
A ce stade, le projet d’accord ligue contre lui, dans le microcosme politique anglais, deux groupes antagonistes : d’une part, les députés qui restent indécrottablement nostalgiques de l’intégration européenne ; d’autre part, les partisans d’un Brexit rompant clairement et rapidement avec toute dépendance vis-à-vis de Bruxelles.
On peut parfaitement comprendre la frustration de ces derniers. Car le Premier ministre, Theresa May, a dû accepter d’importantes concessions. Les Vingt-sept entendaient imposer un divorce le plus défavorable et coûteux possible aux Anglais, dans le but quasi avoué de dissuader les peuples tentés de choisir eux aussi la sortie. Revanchard, Bruno Le Maire déclarait ainsi, alors que l’encre de l’accord était à peine sèche, que le choix pour les amis de Madame May «est désormais entre le reniement de leur promesse politique absurde ou le désastre économique». Difficile, pour le ministre français de l’Economie, d’avancer avec de plus gros sabots…
L’accord prévoit une «période de transition», jusqu’en décembre 2020, pendant laquelle le pays, certes sorti de l’UE, sera encore soumis aux obligations communautaires. Cette période pourrait même être prolongée d’un an si les deux parties estiment que c’est nécessaire pour fignoler le futur cadre des relations de long terme (dont les relations commerciales).
Pas question de frontière interne pour Londres
Deux points du divorce avaient déjà été actés depuis quelques mois : le statut des expatriés, ainsi que les sommes que Londres s’engage à continuer à verser au pot communautaire pour solder ses engagements antérieurs.
Restait le casse-tête de la frontière entre l’Irlande du Nord (qui fait partie du Royaume-Uni) et la République d’Irlande, membre de l’UE. Londres, Dublin et Bruxelles partageaient le but d’éviter le rétablissement de postes de douane. Mais les dirigeants européens ont proclamé vouloir préserver l’intégrité du «marché intérieur» de l’UE, et avaient donc demandé que l’Irlande du Nord reste soumise aux règles de ce marché unique.
Pas question d’accepter une frontière interne au Royaume-Uni, a martelé Londres, qui a, dès lors, accepté que le pays tout entier reste membre de l’union douanière européenne, sa province irlandaise ayant des obligations renforcées. Mais cette concession ne serait mise en œuvre que si n’était pas trouvée, d’ici 2020, une solution plus satisfaisante pour l’après période transitoire.
Une concession majeure théoriquement donc limitée dans le temps (impliquant cependant le bon vouloir de l’UE), mais qui entraîne notamment l’acceptation de l’autorité de la Cour de Justice européenne, dont les Britanniques voulaient se débarrasser. De même, le moment où le pays pourra négocier ses propres accords commerciaux avec des pays tiers est reporté.
May n’a pas dit son dernier mot
Reporté aux calendes grecques ? Telle est la crainte de nombreux Brexiters. Certains se sentent, de bonne foi, floués. D’autres – au sein même du parti conservateur – s’insurgent contre le «deal» pour des ambitions moins avouables visant à faire chuter Madame May.
Jusqu’à présent cependant, celle-ci a résisté à toutes les épreuves, alors que sa démission est très régulièrement pronostiquée depuis son entrée en fonctions en juillet 2016. La conjonction des oppositions au Parlement, qui doit se prononcer mi-décembre, pourrait, sur le papier, rejeter l’accord. Mais Theresa May n’a pas dit son dernier mot.
Quant au Parti travailliste – lui-même divisé – il a également annoncé son intention de voter contre, avec l’espoir de déstabiliser ainsi le gouvernement et de se rapprocher des portes du pouvoir. Sur le fond pourtant, cette attitude est paradoxale, en tout cas pour Jeremy Corbyn, qui défend des renationalisations des services publics, particulièrement du rail, et une rupture nette avec l’austérité – des propositions très populaires.
Mais qui ne sont envisageables que si le pays n’est plus sous la coupe de l’Union européenne…
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