La visite du prince saoudien constitue un défi majeur pour Emmanuel Macron, qui, selon l'expert en Défense Philippe Migault, doit ici jouer les équilibristes : sa popularité comme l'ensemble de l'industrie française de la défense sont en jeu.
Pour Emmanuel Macron, la visite en France du prince héritier d’Arabie Saoudite, Mohammed ben Salmane, relève de l’exercice de haute voltige. Engagé depuis le 2 mars dernier dans un marathon diplomatique qui l’a conduit successivement au Caire, à Londres et à Washington, Mohammed ben Salmane ne restera pas plus de 72 heures à Paris. Une étape extrêmement courte alors que les autorités françaises souhaitent nouer une relation plus fructueuse avec Riyad, notamment du point de vue des ventes d’armes.
Or c’est sur ce segment que les obstacles sont les plus nombreux.
Car Riyad a conforté depuis un an les anglo-saxons dans leur rôle de partenaires préférentiels en la matière.
En mai 2017, Donald Trump a claironné la conclusion de contrats d’armement d’un montant total de 110 milliards de dollars. Un chiffre qui donne le tournis et ne correspond pas tout à fait aux engagements effectifs de l’Arabie, mais qui se confirme peu à peu. La scène surréaliste de Donald Trump, vantant récemment, en présence de Mohammed ben Salmane, la concrétisation de quelques accords conclus l’an dernier, en atteste.
Sans atteindre les chiffres colossaux des Américains, les Britanniques ont obtenu il y a un mois la quasi-garantie d’une commande de dix milliards de livre sterling (11,45 milliards d’euros) portant sur 48 avions de combat Typhoon. Cela reste raisonnable, comparativement aux plus de 50 milliards d’euros engrangés par Londres depuis 1985 en Arabie Saoudite, dans le cadre des contrats dits d’Al-Yamamah. Il n’en demeure pas moins que Riyad, confirmant qu’un achat d’armement est, avant tout, un geste politique, a marqué sa préférence pour un des rivaux majeurs du Rafale français, malgré la supériorité technique de ce dernier.
Le pacte du Quincy et la coopération anglo-saoudienne ont encore de beaux jours devant eux.
La France, par ailleurs, ne donne pas à l’Arabie l’appui contre l’Iran que lui assurent Américains et Britanniques. Paris a renouvelé son attachement à l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, conclu en 2015, estimant que cette position n’était pas incompatible avec la conclusion d’un «partenariat stratégique» entre la France et l’Arabie Saoudite. Mais les Saoudiens ne l’entendent pas du tout de cette oreille. Les mots ont pour eux un sens. Un partenariat stratégique, à leurs yeux, c’est une alliance, signifiant que l’on est prêt à aller ensemble au feu. Ce n’est pas un vague engagement diplomatique.
De surcroît Emmanuel Macron devra se méfier de sa propre opinion publique en discutant avec Mohammed ben Salmane.
Ce dernier, en dépit des réformes, très cosmétiques, qu’il a engagées dans son pays, demeure aux yeux de nombreux Français un champion du wahhabisme, de l’islam radical, de l’islam qui a assassiné plus de 260 Français sur le territoire national depuis les attentats de 1995.
Il incarne aussi un pays, l’Arabie Saoudite, conduisant, sans aucun mandat des Nations unies, une guerre au Yémen contre les rebelles houthis proches de l’Iran, guerre qui, depuis 2015, a fait près de 10 000 morts et plus de 50 000 blessés, essentiellement civils. Difficile de justifier une vente d’armes à un tel partenaire… D’autant que deux ONG françaises, Amnesty International et l’ACAT (Association des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture) ont rendu public le 20 mars dernier un rapport, réalisé par un cabinet d’avocats, estimant que de nouvelles ventes d’armes françaises à Riyad pourrait violer le traité sur le commerce des armes et contrevenir à la position commune exprimée par l'Union européenne en 2008.
Certes, cette position commune est régulièrement contournée. Et les juristes du ministère de la défense et de la CIEMMG (Commission Intermnistérielle pour l’Etude des Exportations de Matériel de Guerre) sont des experts chevronnés sachant ficeler un contrat inattaquable.
Il n’en demeure pas moins qu’Emmanuel Macron et son gouvernement, en délicatesse dans les sondages, vont devoir faire preuve d’infiniment de souplesse et d’intelligence manœuvrière pour séduire les Saoudiens sans fâcher davantage leurs concitoyens.
Le plus simple, peut-être, serait pour le Président de la République de se livrer vis-à-vis des Français à un exercice de pédagogie et de franchise brutale, option dont il est relativement coutumier.
Car la France doit vendre ses armes. Elle n’a pas le choix. Le marché domestique français ou celui des partenaires de l’OTAN – pour l’essentiel chasse gardée américaine – ne peuvent suffire à assurer la pérennité de son industrie de défense. Ce sont les succès de cette dernière à l’export qui lui permettent de survivre et permettent aux groupes qui la composent de conserver les savoir-faire indispensables à la défense nationale. Mais ce sont aussi près de 300 000 emplois directs et indirects qui dépendent des exportations d’armes. Si Paris décide, comme c’est souvent le cas, de donner l’exemple de la vertu, la France ne sera pas suivie et sera la seule perdante. Mohammed ben Salmane sera à Madrid les 11 et 12 avril. Un contrat de deux milliards d’euros portant sur la commande de cinq corvettes pour la marine saoudienne sera au centre des discussions. De l’issue de ces dernières dépend peut-être le sort du chantier naval Navantia, 5 000 salariés et plus d’un demi-milliard d’euros de pertes depuis cinq ans. Le gouvernement espagnol n’hésitera pas s’il a l’opportunité de sauver l’entreprise grâce à l’Arabie. Thales, Nexter, Naval Group, MBDA,etc. : Tous les industriels français espèrent qu’Emmanuel Macron saura faire preuve du même leadership.
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