Les négociations Londres-Bruxelles piétinent, mais le Royaume-Uni sortira bien de l’UE dans le délai prévu de deux ans, analyse Pierre Lévy, rédacteur en chef du mensuel Ruptures.
Le Brexit «est une décision stupide». L’auteur de cette toute récente amabilité se nomme Martin Selmayr. Très peu connu du grand public, cet Allemand n’est autre que le chef de cabinet de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne. Dans les cercles bruxellois bien informés, on lui prête une influence aussi discrète qu’étendue au sein des institutions européennes. Sa petite phrase du 4 septembre n’est donc pas passée tout à fait inaperçue. L’homme de l’ombre a cependant admis : «Je suis un réaliste ; le Brexit aura bel et bien lieu en mars 2019.»
De son côté, le négociateur en chef de l’UE avec Londres, Michel Barnier, avait, la veille, tenu des propos peu amènes vis-à-vis des citoyens britanniques, auprès de qui il serait nécessaire d’«expliquer les conséquences extrêmement sérieuses d’une sortie du marché unique». «Nous devons [leur] enseigner cela», a martelé l’ancien commissaire européen (et ancien chef du Quai d’Orsay). Se rendant compte de la maladresse du vocabulaire, il a tenté ensuite d’en minimiser la portée.
Mais c’est ainsi : quinze mois après le référendum qui avait tranché en faveur de la sortie de l’UE, les dirigeants européens n’ont rien perdu, ni de leur arrogance ni de leur frustration. Même si, négociations obligent, le ton se veut en principe plus policé.
Lesdits pourparlers ont formellement démarré le 19 juin dernier. Trois séries d’échanges ont déjà été menées, dont la plus récente s’est achevée fin août. Une nouvelle doit démarrer le 18 septembre. Une autre est prévue pour octobre. Lors du Conseil européen des 19 et 20 octobre, les chefs d’Etat et de gouvernement des Vingt-huit seront censés évaluer les «progrès» réalisés sur trois questions liées au divorce : la situation future des expatriés continentaux au Royaume-Uni (et de leurs homologues anglais sur le Continent) ; le statut de la frontière entre la République d’Irlande (membre de l’UE) et l’Irlande du Nord britannique ; et – point plus délicat encore – l’évaluation de l’ardoise que les dirigeants européens entendent imposer à Londres avant son départ de l’Union.
Sans doute certains dirigeants de l’UE spéculent-ils sur la situation politique intérieure difficile dans laquelle se trouve Theresa May
Ce n’est que si des «avancées substantielles» ont été réalisées sur ces conditions préalables posées par Bruxelles qu’une deuxième phase de négociations pourrait être lancée : celles portant sur un futur accord de libre-échange entre les deux parties. Londres souhaitait, mais ne l’a pas obtenu, que les négociations commerciales puissent être menées en parallèle. Le monde des affaires britannique – qui était très majoritairement opposé au Brexit – redoute qu’un tel accord commercial ne puisse être trouvé.
A Bruxelles, on ne se prive pas d’utiliser cette arme comme moyen de pression pour tenter de vider le Brexit de son contenu. Et l’on souligne le peu de progrès réalisés depuis le mois de juin. De son côté, le ministre britannique du Brexit, David Davis, exhorte les Européens à faire preuve de «flexibilité» et d’«imagination». Peine perdue : Jean-Claude Juncker a déclaré, le 1er septembre, qu'aucun des onze documents de travail présentés à ce jour par Londres n'était en réalité satisfaisant.
Sans doute certains dirigeants de l’UE spéculent-ils sur la situation politique intérieure difficile dans laquelle se trouve Theresa May : cette dernière, tout en ayant progressé en voix et en pourcentage lors des élections qu'elle avait provoquées, le 8 juin dernier, avait perdu son pari de renforcer sa majorité.
A l’issue de celles-ci, nombre d’observateurs britanniques et européens pariaient sur le fait que Theresa May «ne passerait pas l’été». En réalité, au-delà des chausse-trappes, des difficultés et des contradictions, un fait politique majeur s’impose à tous : le Brexit reste une exigence populaire. Ni les conservateurs pro-UE ni le Parti travailliste n’entendent désormais le remettre en cause.
C’est probablement cette constance – malgré les efforts de propagande démesurés des deux côtés de la Manche de la part des partisans de l’intégration européenne, à commencer par ceux du patronat – qui insupporte le plus à Bruxelles.
Car, malgré la méthode Coué, le danger de «contagion» sur le Continent reste plus vivace que jamais. Et ce n’est pas la chute particulièrement brutale de la cote du très pro-européen Emmanuel Macron qui rassurera les européistes échevelés…
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