Le septième sommet des BRICS s'est ouvert avec pour point d'orgue le lancement d'une nouvelle banque de développement. Cette banque traduit «un désir d'autonomie» selon l'analyse de l'économiste Jean-Joseph Boillot.
Jean-Joseph Boillot est expert pour les pays émergents, auteur de Chindiafrique (Editions Odile Jacob)
RT France: Quelles sortes d'infrastructures la nouvelle banque de développement des BRICS veut-elle financer?
Jean-Joseph Boillot: Il s'agit de financer les infrastructures des pays en développement ou des pays émergents qui font partie de l'orbite des BRICS. Le but est de permettre de sortir de la tutelle de la Banque Mondiale, qui s'est détournée du financement des infrastructures et pose des conditions très fortes avant toute aide. Le but est aussi de faire face au 500 milliards de dollars par an de besoin en infrastructures du monde en développement.
RT France: Est-ce que cette banque des BRICS peut s'affirmer comme une alternative au FMI et à la Banque Mondiale?
Jean-Joseph Boillot: Il s'agit surtout d'un projet pour les BRICS eux-mêmes. Le financement de leur projet commun est la vocation première de cette banque. Il n'y pas pour l'instant de possibilité, voire de volonté, de mettre en oeuvre une véritable alternative aux institutions de Bretton Woods.
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RT France: Mais derrière ces projets économiques, y-a-t-il des ambitions politiques?
Jean-Joseph Boillot: Il y a, bien sûr, une ambition politique très forte des BRICS, mais pas forcément celle d'être une alternative à Bretton Woods. L'ambition politique des BRICS est de prendre enfin leur autonomie propre vis-à-vis de ces institutions, FMI et Banque mondiale, qui sont très largement dominées par les Etats-Unis et leur alliés européens, à la fois dans la méthodologie, dans l'approche et surtout dans les enjeux géopolitiques de la planète. Par ailleurs, les BRICS ne trouvaient pas dans ces institutions internationales une réelle représentation. L'Inde par exemple ne représente que 2% des votes, ce qui la ramène au niveau du Bénélux. Il est difficile pour ces grands pays d'accepter un système né de l'après-guerre mondiale.
RT France: Que sont précisément ces enjeux géopolitiques défendus par les institutions nées des accords de Bretton Woods?
Jean-Joseph Boillot: Dés lors que la géopolitique vue de Washington est en contradiction sur le terrain avec la vision géopolitique de la Russie, ou de la Chine, ou de l'Inde, il y a prévalence dans les institutions de Bretton Woods du seul point de vue occidental. On a pu le voir par exemple dans le cas de l'Ukraine. Il y a donc là un réel projet politique de prendre son autonomie vis-à-vis de ces institutions occidentales.
RT France: Est-ce qu'à terme, le but de cette banque n'est pas de s'affranchir du dollar comme monnaie d'échange international?
Jean-Joseph Boillot: Absolument. Dans le projet des BRICS, il n'y a pas que la Banque de développement. Pour un montant deux fois plus important, un fonds a été créé permettant de faire face aux crises spéculatives sur les monnaies. Les BRICS sont en train de construire un ensemble, avec une fusée comportant trois étages: un étage banque de développement pour financer les infrastructures communes. Un autre étage pour s'affranchir sur le plan monétaire et financier du FMI. En un dernier étage politique visant à ne pas être obligé d'entrer dans le jeu géopolitique occidental.
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RT FRance: Comment les Etats-Unis considèrent-ils les BRICS, puisque leur but est de s'émanciper du dollar?
Jean-Joseph Boillot: Ils voient d'un mauvais oeil l'émergence des Brics car cela signifie la fin d'un monde où l'hyperpuissance américaine était le centre des grandes décisions mondiales. Ces BRICS vont dans le sens d'une gouvernance mondiale multipolaire. Dans cette gouvernance, émerge un bloc, les BRICS, qui par leur puissance économique, politique, sont désormais capables de résister à tout un ensemble de visées, visions économiques et politiques américaines.
RT France: Avec les BRICS, la Russie réaffirme-t-elle un leadership?
Jean-Joseph Boillot: Par rapport à la Chine, l'Inde, la Russie joue un jeu d'un égal parmi les autres. Par contre, l'objectif de la Russie, lors du lancement des BRICS, a été d'anticiper ce qui allait être un affrontement relativement inévitable sur la géopolitique russe. La stratégie russe a été, dés lors qu'elle avait des alliés dans les pays émergents, d'éviter l'isolement. De ce point de vue, cette stratégie a été un succès complet. Et si ces BRICS constituent une alternative, ce serait plutôt vis-à-vis du G7.
RT FRance: A terme, les BRICS veulent créer leur propre agence de notation. Pourquoi?
Jean-Joseph Boillot: Depuis la crise de 2008 on sait que les grandes banques mondiales s'appuient sur un sytème de notation, lui-même contrôlé par deux agences de notation américaines. Tout cela fait partie du même système occidental de contrôle de la gouvernance mondiale. Il est donc logique que les BRICS, qui souhaitent offrir une alternative au monde occidental, mettent en place un système de notation objectif pour fixer un prix au risque sur les crédits. Cela est absolument nécessaire dés lors qu'il y a des crédits et c'est là un plan tout à fait cohérent.
RT France: Que peut signifier la création de cette banque pour les pays du Sud, notamment l'Afrique?
Jean-Joseph Boillot: La banque des BRICS a une double vocation: être évidemment la banque pour les projets des pays BRICS mais aussi devenir la banque alternative pour les pays du sud, notamment les pays africains. Mais depuis la création par la Chine de la banque de financement des infrastructures en Asie, la banque des BRICS va être en réalité réservée aux projets des BRICS eux-mêmes. L'essentiel des projets d'infrastructure des pays africains, qui sont de l'ordre de 60 à 80 milliards de dollars par an, sont financés en mélangeant des sources de type Banque mondiale, assistance internationale et autres. C'est là que la banque des BRICS interviendra comme une autre source internationale de financement parmi d'autres.
RT France: Les BRICS ont-ils une capacité d'attraction pour d'autres pays, on peut penser au Nigéria ou à l'Algérie?
Jean-Joseph Boillot: Il est évident qu'à partir du moment où existe un bloc alternatif, le but est de l'élargir au maximum pour constituer plus de force de résistance au bloc odccidental. Il me semble que beaucoup de pays voient d'un très bon oeil l'émergence des BRICS, mais pour autant ne veulent pas choisir entre eux et le bloc occidental. Il y aura, à l'avenir, plusieurs pôles et certains pays joueront de façon opportuniste l'un ou l'autre de ces blocs en fonction de leurs intérêts.
RT France: A propos de l'organisation de coopération de Shangaï (OCS), comment cette organisation s'articule-t-elle avec les BRICS. Est-elle une plateforme inclusive vers d'autres pays comme le Pakistan et l'Iran?
Jean-Joseph Boillot: Ce n'est pas une plateforme inclusive. Il y a aujourd'hui une multiplication d'institutions politiques ou fiancières qui visent des sous-zones de l'économie mondiale. L'OCS est très axée sur l'Asie centrale avec un segment qui va de Moscou à Pékin. C'est là une zone plus petite que celle que couvre les BRICS dans leur ensemble. Il y aura de toute façon une multiplication d'organisations qui ont une communauté d'intérêt sur le moyen terme avec des partenaires à géométrie variable.
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