Washington s'oriente-t-il vers un changement de régime en Iran ?

La politique américaine consistant à pousser pour un changement de régime en Iran n'est qu'un copier-coller des agendas saoudien et israélien, estime le chercheur Milad Jokar.

RT France : Les récentes déclarations de Rex Tillerson concernant une «transition pacifique» en Iran signifient-elles que les Etats-Unis souhaitent y voir un changement de régime ?

Milad Jokar (M. J.) : Ces déclarations étaient assez claires. Rex Tillerson a expliqué que la politique des Etats-Unis vis-à-vis de l'Iran était en train de se dessiner, qu'elle se dirigeait un changement de régime et qu’il fallait s’appuyer sur les Iraniens dissidents présents aux Etats-Unis. Il faisait ici référence aux moudjahidine qui se considèrent comme étant la «résistance iranienne» alors même qu’ils sont très impopulaires en Iran puisqu’ils se sont alliés avec Saddam Hussein lors de la guerre Iran-Irak. Ce sont eux qui avaient bombardé le parlement iranien en 1980, tuant 72 membres du Congrès. Donc cela ne fonctionnera pas, les Iraniens y seront réticents. Cette politique américaine est la marque d'un manque de leadership : on voit clairement que Rex Tillerson s'est borné à faire un copier-coller du récit saoudien et israélien pour évoquer la politique américaine vis-à-vis de l’Iran.

La politique américaine est maintenant d’isoler puisque l’administration Trump s’appuie sur les visées tactiques de l’Arabie saoudite dans la région

RT France : Comment expliquez-vous ce changement de rhétorique et de politique à l’égard de l’Iran ?

M. J. : L’administration d’Obama avait réussi à discuter avec le grand rival iranien pour aboutir à un accord sur le nucléaire afin de restructurer la région. La politique menée par Trump change totalement la donne puisque la priorité est désormais d’isoler l’Iran. Le pilier que l’administration Trump a choisi dans la région est l’Arabie saoudite, cela s’est vu avec la visite du président américain le mois dernier : il a vraiment fait la danse de la guerre aux côtés des Saoudiens. La politique américaine est maintenant d’isoler puisque l’administration Trump s’appuie sur les visées tactiques de l’Arabie saoudite dans la région.

RT France : Pensez-vous que ce revirement américain pourrait-être lié aux succès de l'armée syrienne qui a récemment réussi à rejoindre l'Irak ? Car nous assistons là à la construction d'un véritable axe chiite dont l'Iran est la pièce maîtresse.

M. J. : Les forces iraniennes font en sorte que le jeu aille en leur faveur. Avec l’accord sur le nucléaire, signé en 2015, les Saoudiens et les Israéliens ont assisté impuissants à un déséquilibrage de la balance géopolitique dans la région. L’équilibre des forces géopolitiques a basculé en faveur de l’Iran, et cela aux dépends des Saoudiens et des Israéliens. Ces derniers font donc tout leur possible pour inverser la tendance et contrer et isoler l’Iran. Ils viennent d’obtenir les appuis de Washington pour mener une telle politique. C'est un très mauvais signe puisque, après un accord gagnant-gagnant sur le nucléaire, nous allons désormais entrer dans un affrontement qui risque d’être perdant-perdant. C’est en cela que d'autres acteurs comme l’Europe, la Chine et la Russie ont un rôle à jouer pour éviter toute confrontation militaire.

L’action du gouvernement de Hassan Rohani était de rétablir les liens diplomatiques et c’est pour cela que le premier article de Javad Zarif était écrit en arabe après la réélection pour l’Arabie saoudite, c’était une offre de paix, pour parler

RT France : L’Arabie saoudite a récemment rompu ses relations diplomatiques avec le Qatar, qui s'entend avec l’Iran dans plusieurs domaines. Pensez-vous que l’Iran soit la cible de cette opération diplomatique ?

M. J. : Oui. Les relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie saoudite ont été rompues après la mort, il y a deux ans, de 464 pèlerins iraniens qui ont été tués lors d'une bousculade à la Mecque. Les 464 pèlerins sont rentrés en Iran dans des cercueils. Ca a été un grand choc dans le pays. Les radicaux iraniens ont saccagé l’ambassade d’Arabie saoudite à Téhéran et, en réponse, l’Arabie saoudite avait rompu les liens diplomatiques avec Téhéran et appelé d’autres pays arabes du Golfe persique à faire de même. L’action du gouvernement de Hassan Rohani a été de rétablir les liens diplomatiques. Le premier article publié par le nouveau ministre des Affaires étrangères iranien Javad Zarif après la réélection de Rohani était en arabe et était une offre de paix à l’Arabie saoudite. Mais cette main tendue n’a pas été bien perçue et l’appui de Trump pousse les Saoudiens à persévérer dans leur politique d’isolation de la république islamique de l’Iran.

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