RT : Peut-on dire que le pari de Theresa May est perdu après ces législatives ?
Dr Mark Garnett (M. G.) : Cette situation me rappelle celle de février 1974, quand le Premier ministre conservateur de l'époque, Edward Heath, avait convoqué une élection parce qu’il cherchait à renforcer son mandat. Il n’avait pas vraiment besoin de cette élection, il souhaitait simplement consolider ses positions. Mais cela a eu l’effet inverse. Le lendemain, les journaux titraient : «L’échec complet d’Edward Heath». Je crois que l'histoire se répète, mais cette fois avec le nom de Theresa May à la place d’Edward Heath.
Cette décision a certes été très curieuse : Theresa May avait d’abord dit qu’il n’y aurait pas d’élection, ensuite elle a dit qu’il y en aurait une... Elle n’a pas non plus mené une très bonne campagne. Les conservateurs pensaient qu’elle allait gagner de toute façon, même si elle n’était pas la meilleure. Elle comptait sur une victoire, mais maintenant elle fait face aux conséquences de ce résultat.
Une prise de conscience semble avoir eu lieu, les jeunes se sont cette fois montrés déterminés à influencer ce scrutin beaucoup plus que par le passé
RT : Quel est l'impact du vote des jeunes dans ce scrutin ?
M. G. :Historiquement, la jeunesse, entre 18 et 25 ans, ne se déplace pas massivement aux élections. Elle n’a pas massivement voté lors du référendum sur le Brexit par exemple. Mais une prise de conscience semble avoir eu lieu, les jeunes se sont cette fois montrés déterminés à influencer ce scrutin beaucoup plus que par le passé. Cela semble expliquer du moins en partie les résultats.
Le Parti conservateur a également pris un risque avec les électeurs plus âgés en appelant cette élection. En effet, les retraités commencent à sentir certains effets du plan gouvernemental d’austérité qui les protégeait jusqu'alors. La pression est venue des deux extrémités de la pyramide des âges. La jeunesse est venue voter contre les conservateurs, tandis que les personnes plus âgées n’ont peut-être pas voté pour les Tories de façon aussi massive qu’auparavant. Cela marque un grand changement. Les partis politiques considéraient le vote de la jeunesse comme acquis, ils ne feront plus jamais cette erreur.
Le résultat montre qu'il y aura une tentative de la part des Britanniques de négocier une version plus «soft» du Brexit
RT : Theresa May a fait de cette phrase «Brexit ça veut dire Brexit» son slogan de campagne. Mais maintenant que le Royaume-Uni a un Parlement sans majorité, en quoi cela va-t-il affecter la façon dont Theresa May va mener le Brexit ?
M. G. : Je crois que l’un des grands problèmes de la campagne de Theresa May, c’est qu’elle n’a jamais véritablement su ce qu’elle voulait. Elle disait qu’elle voulait «une main plus ferme» dans l'exécution du Brexit, mais le voulait-elle pour mener un Brexit plus dur ou plus doux ? Elle n'a jamais paru sûre d'elle. Le résultat montre qu'il y aura une tentative de la part des Britanniques de négocier une version plus «soft» du Brexit.
Les gens ont compris que ce qui allait se passer n’était pas le Brexit pour lequel ils avaient voté
Ce que Theresa May voulait pour sûr, c’était le contrôle plus strict de l’immigration. Elle n’apprécie pas trop la Cour européenne des droits de l’homme, ni la Cour de justice européenne. Que ce soit Theresa May ou un autre qui aura à diriger le prochain gouvernement, le Premier ministre devra faire beaucoup plus attention, et probablement faire des concessions à l’Union européenne. Un accord sera vraisemblablement conclu, un compromis sera probablement atteint, et il rencontrera un soutien du public britannique bien plus franc que l’idée d'un Brexit dur. Les gens ont compris que ce qui allait se passer n’était pas le Brexit pour lequel ils avaient voté.