RT France : Le directeur général de l'Agence nationale de sécurité des services d'information (ANSSI) a déclaré hier qu'il n'y avait «aucune trace de hackers russes» dans l'attaque informatique qui a visé l'équipe de campagne d'Emmanuel Macron. Il a d'ailleurs ajouté que cette intrusion était si «simple et générique» qu'elle avait pu être faite par «n'importe qui dans n'importe quel pays». Ces propos vous surprennent-ils ?
Eric Denécé (E. D.) : Non, ils n'ont rien d'étonnant. On sait aujourd'hui qu'il est très très difficile d'identifier les personnes derrière les attaques informatiques, surtout lorsqu'elles sont complexes. On se souvient des soupçons d'actions sur les ordinateurs du parti démocrate [américain] lors des élections présidentielles. Les enquêtes ont tout de suite mené vers des groupes de hackers russes puis, quelque temps après, Edward Snowden a expliqué qu'il savait très bien que la CIA était capable d'organiser des attaques en se faisant passer pour des hackers russes. Dès que l'affaire Macron a éclaté, il était normal que des analystes comme nous disent : «Il faut faire attention. Ce serait soi-disant les Russes mais on sait très bien que n'importe quel service de renseignement un peu développé peut faire passer cette attaque pour une intrusion russe.»
Le fait que l'ANSSI ait prouvé que l'attaque était finalement d'une simplicité assez basique et qu'il n'y avait pas de trace de hackers russes, cela va dans le sens de ce que l'on disait. Quel intérêt auraient les Russes à mener une attaque de cette nature-là ? Bien sûr, on peut inverser les propos et dire que ce n'est pas parce que l'attaque est simple qu'elle ne peut être russe mais cette déclaration a le mérite de la modération.
Les journalistes comme les personnes touchées auraient dû être bien plus prudents en disant : «Nous sommes victimes d'attaques informatiques et nous ne savons pas qui est derrière» au lieu de systématiquement attaquer les Russes
Ce n'est pas l'analyse finale qu'il faut mettre en cause mais plutôt revenir en arrière et reconnaître que, lorsque cette action, a eu lieu – que cela soit aux Etats-Unis ou pour Emmanuel Macron – les journalistes comme les personnes touchées auraient dû être bien plus prudents en disant : «Nous sommes victimes d'attaques informatiques et nous ne savons pas qui est derrière» au lieu de systématiquement attaquer les Russes. A force d'accuser sans preuve, cela permettra peut-être un jour à nos amis russes de faire des attaques en disant : «Ce n'est pas nous !»
Je ne crois pas un instant que Moscou ait eu intérêt à faire cela. On n'intervient pas dans un processus démocratique par des attaques informatiques. Une élection se passe différemment.
Les Etats-Unis sont dans cette logique de vouloir faire passer le reste de la planète pour un danger
RT France : Il y a quelques années après chaque cyberattaque d'envergure les soupçons se portaient sur la Chine ou l'Iran. Depuis le piratage du comité démocrate américain, les hackers russes sont systématiquement accusés. Comment expliquer ce besoin de si vite accuser un Etat étranger ?
E. D. : On est dans une logique où il y a de plus en plus une dérive de la démocratie américaine, qui a besoin d'un adversaire. Elle en a besoin à la fois pour resserrer autour d'elle le camp occidental et pour les besoins de crédits et de financements du Pentagone et du système de sécurité américain. Il leur faut exagérer l'ampleur des menaces qu'elles soient russe, chinoise ou iranienne pour continuer à obtenir des budgets du Parlement et l'adhésion des pays occidentaux.
Je pense que les trois-quarts, si ce n'est 90%, des faits reprochés à la Russie sont faux. Il y a probablement 10% de véracité mais la très grande majorité des éléments reprochés ne le sont pas. C'est de la propagande américaine. On est dans une situation inverse à la Guerre froide où l'Union soviétique faisait énormément de propagande pour exporter la révolution prolétarienne, le communisme et le totalitarisme. Aujourd'hui, ce sont les Etats-Unis qui sont dans cette logique de vouloir faire passer le reste de la planète pour une menace alors même qu'ils mettent la planète sur écoute, envahissent l'Irak illégalement et tuent des innocents avec des frappes de drones. On est vraiment dans une logique inversée. Si l'opinion occidentale arrive à peu près à le percevoir, la plupart des politiques des pays européens sont gagnés à cette idéologie là.
A la différence de ce qu'il s'est passé avec François Hollande où les relations franco-russes étaient exécrables, elles semblent aujourd'hui se renouer
RT France : Cette déclaration de l'ANSSI intervient la même semaine que la rencontre entre Vladimir Poutine et Emmanuel Macron, doit-on voir dans tout cela une volonté française de dégel avec la Russie ?
E. D. : On aurait tendance à le penser mais personnellement je ne le crois pas. Le discours d'Emmanuel Macron sur la Syrie et les frappes chimiques n'a pas changé. Disons qu'à la différence de ce qu'il s'est passé avec François Hollande où les relations franco-russes étaient exécrables, elles semblent aujourd'hui se renouer. Mais je ne vois pas pour l'instant la politique française évoluer sur la Russie. Il faudra attendre encore quelque temps.