RT France : Emmanuel Macron et Vladimir Poutine se rencontreront lundi 29 mai à Versailles. Après Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande, Emmanuel Macron est le quatrième président français a entrer en fonction et à traiter avec Vladimir Poutine. Comment pourrait-on décrire les relations entretenues avec chacun d'eux et leur incidence sur les relations entre les deux pays ?
Bruno Drweski (B. D.) : Il est clair que, jusqu'à présent, avec chaque président, les relations franco-russes n'ont fait que se dégrader dans un continuum qui devrait effrayer les partisans de la paix et de l'équilibre international, sans même parler de sécurité collective, de désarmement, de détente et de politiques de développement mutuellement avantageuses.
A l'époque de Chirac, les choses étaient différentes, d'une part parce des éléments – certes en voie d'affaiblissement – de la vieille politique gaullienne d'autonomie nationale persistaient au sein des élites politiques. Et que, côté russe, on montrait encore des signes de confiance dans la rationalité supposée des dirigeants occidentaux, en particulier français.
Sous Hollande, et contrairement aux attentes de beaucoup de ses électeurs, le mouvement de clientélisation de la France en faveur de Washington et de Berlin s'est accéléré
Puis, advint l'épisode de Sarkozy qui a certes tenté d'un côté de maintenir des relations personnelles avec le président russe, mais en donnant simultanément tous les gages possibles d'engagement actif envers son protecteur d'outre-atlantique, ce qui s'est terminé par le retour de la France dans le commandement intégré de l'OTAN. Une organisation qui n'a aucune raison d'être si ce n'est celui d'arbitrer les flux financiers et énergétiques profitables aux cercles dirigeants aux Etats-Unis.
Sous François Hollande, et contrairement aux attentes de beaucoup de ses électeurs, le mouvement de clientélisation de la France en faveur de Washington et de Berlin s'est accéléré, alors que les Russes semblaient avoir perdu presque toutes leurs illusions sur la qualité intellectuelle et éthique des élites occidentales, françaises comprises.
La dégradation de la situation générale a en fait commencé dans la seconde moitié de la présidence Chirac
RT France : Il y a quelques jours au sommet consacré aux «nouvelles routes de la soie» en Chine, Vladimir Poutine a déclaré que les relations entre la Russie et la France se porteraient «mieux» avec Macron «mais moins bien qu'avec Chirac». Cette référence est-elle surprenante ?
B. D. : Doit-on lire cette déclaration au premier ou au second degré ? Certes, jusqu'à l'attaque visant l'Irak en 2003, sous Chirac donc, les rapports franco-russes étaient cordiaux mais la dégradation de la situation générale a en fait commencé dans la seconde moitié de la présidence Chirac. Je pense donc que la déclaration du président russe s'adresse plutôt à l'image gaulliste qu'a conservée Chirac plutôt qu'à la réalité d'un dirigeant qui n'a pas pu faire face aux pressions extérieures et intérieures visant l'indépendance de la France et son rôle d'intermédiaire entre pays puissants et moins puissants. Un rôle qu'assument désormais seuls la Russie et ses alliés.
Quant à Emmanuel Macron, sans vouloir jouer les devins sur ce qui adviendra, je pense qu'il s'agit de la part de Vladimir Poutine d'un message se voulant optimiste, dans la ligne du réalisme employé à l'égard d'un président en exercice. Mais je doute que le président russe s'illusionne sur les capacités à mener une politique d'indépendance de la part de celui qui a été choisi comme le candidat de banquiers supranationaux dopés par le complexe militaro-industriel transnational.
L'état des relations franco-russes ne semble plus vraiment dépendre de décisions prises à Paris de façon autonome
RT France : Quels sont, selon vous, sous chacune de ces trois présidences, les moments les plus marquants dans les rapports franco-russes ?
B. D. : Pour Chirac, je retiendrais l'action énergique de la France visant à éviter la guerre de 2003 contre l'Irak. Pour Sarkozy, je retiendrais le rôle funeste qu'il a joué en Libye dans le saccage du droit international. Pour Hollande, je retiendrais ses tentatives infructueuses de va-t-en guerre en Syrie face aux positions prises par la Russie.
Comme vous le constatez, je ne mentionne pas ici les questions strictement franco-russes qui dans une situation normale devraient prendre le dessus dans les rapports mutuels, en particulier celles des coopérations économiques nécessaires entre les deux pays. Car la France, on doit bien le reconnaître, n'est, pour le moment en tout cas, plus en état de jouer un rôle autonome dans les rapports internationaux et elle n'est donc plus en état de défendre ses propres intérêts qui exigeraient un renforcement de la coopération franco-russe sur les plans politique et économique dans le cadre d'une vision d'avenir ouverte sur tout l'axe eurasiatique. L'état des relations franco-russes dans ce contexte ne semble plus vraiment dépendre de décisions prises à Paris de façon autonome.
RT France : Lors de sa visite à Moscou en janvier 2016, Emmanuel Macron alors ministre de l'Economie avait déclaré que les sanctions économiques contre la Russie étaient mauvaises pour les entreprises françaises. Pendant sa campagne, au contraire, il s'est présenté comme un futur chef d'Etat qui se voudrait intransigeant et méfiant avec le pouvoir russe. Sur le plan bilatéral, à quoi peut-on s'attendre lors de son quinquennat ?
B. D. : Le nouveau président français se devait de jouer deux rôles différents dans deux positions différentes, en tant que ministre de l'Economie et en tant que candidat. Aujourd'hui devenu président, c'est bien sûr celui de porte-parole des intérêts dominants en France qu'il va prendre. Quelles que soient ses pensées ou ses appréhensions profondes, c'est à la fin le rapport de force régnant au sein des groupes influents qui prendra le dessus, dans une situation où l'Alliance atlantique connait une crise de légitimité et d'efficacité profonde. Difficile de dire, dans ce contexte, si le réflexe de la partie la plus influente des élites françaises sera de se cabrer autour du protecteur d'outre-Atlantique ou d'envisager de reprendre un peu de marge de manœuvre.
Il n'y a pas, pour le moment en France, de volonté politique de rupture avec la politique d'asservissement à des intérêts supranationaux
Beaucoup dépendra en fait des choix plus ou moins hasardeux qui seront faits au sein des élites économiques et politiques à Washington. Comme vous pouvez le constater, à moins d'un basculement imprévisible au sein de la classe politique française, je considère que très peu de choses se décident en ce moment à Paris. Et je n'ai pas l'impression qu'Emmanuel Macron ait vraiment l'intention de devenir autre chose que le représentant d'intérêts économiques, ayant certes des bases en France, mais entremêlés avec ceux d'entreprises et de banques basées en Allemagne et aux Etats-Unis.
Il n'y a pas, pour le moment en France, de volonté politique de rupture avec la politique d'asservissement à des intérêts supranationaux encore dominants – mais en passe de devenir périphériques – ni de désir de redécouvrir la géographie et le fait pourtant évident sur le long terme que la France est située à l'extrémité ouest de la grande Eurasie en plein développement.