La guerre qui sévit au Yémen est «l'une des plus atroces de l'histoire du pays», selon l'ancien président du Yémen du Sud, Ali Nasir Muhammad, qui estime en outre que la Russie pourrait jouer un rôle dans le processus de règlement du conflit.
RT: Le directeur d'Oxfam Mark Goldring a déclaré : «Le Yémen est lentement affamé à mort... les entrepôts, puis les routes et les ponts ont été bombardés. Ce n'est pas un hasard. C'est systématique.» Pensez-vous que l'Arabie saoudite cherche à gagner la guerre en affamant l'adversaire ?
Ali Nasir Muhammad (A.M.): Le Yémen a connu plus de 60 ans de guerres et de conflits, tant dans le sud que dans le nord, que ce soit avant l'unification, en 1990, ou après. Mais l'actuelle guerre est l'une des plus atroces de l'histoire du pays. Je me suis prononcé contre elle au tout début des hostilités. La violence engendre la violence. J'ai demandé aux parties de s'asseoir et d'avoir recours au dialogue plutôt qu'à la violence. La guerre a déjà tué ou blessé des dizaines de milliers d'individus et quelque 21 millions d'autres ont une besoin urgent d'aide humanitaire. La guerre a été dévastatrice pour les enfants et les femmes. Elle a détruit l'économie du Yémen et ses capacités militaires. Nous demandons que soit mis un terme à cette guerre.
RT : L'Arabie saoudite affirme que, grâce à son blocus, l'administration Houthi, à Sanna, la capitale, est sur le point de s'effondrer. Pouvez-vous confirmer cela ?
Personne ne peut prendre le pouvoir au Yemen sans consensus national
A. M. : Le Yémen est devenu un terrain de jeu pour les conflits, une aire de jeux pour les groupes terroristes comme Al-Qaïda et Daesh.
Pour répondre à votre question sur les Houthis, quand ils sont entrés dans Sanaa, ils l'ont fait avec l'accord du président actuel, Abdrabbuh Mansour Hadi. Quand ils sont entrés dans la ville d'Amran, puis dans Sanaa, le président n'a pas dit que la capitale était tombée. Ensuite, ils sont entrés à Aden, l'ancienne capitale de la République démocratique populaire du Yémen avec l'accord de l'ex-président Ali Abdulla Saleh. Un président les a donc laissés entrer dans Sanaa, et, l'ancien président Ali Abdulla Saleh les a donc laissés entrer dans Aden. Quand ils sont entrés dans la capitale, je les ai rencontrés et leur ai parlé. Je leur ai donné plusieurs recommandations. La première était de ne pas entrer au Yémen du Sud, ce qu'on appelle «l'ancien Sud», autrefois la République démocratique populaire du Yémen. Deuxièmement, de ne pas se rapprocher de la frontière avec l'Arabie saoudite. Troisièmement, ne pas se rapprocher du détroit de Bab-el-Mandeb. Et, quatrièmement, ne pas remettre en question la légitimité du président Abdourouh Mansour Hadi. Ce que je voulais, c'était que toutes les questions soient résolues pacifiquement. Bien sûr, nous savons qu'il y a beaucoup de problèmes aujourd'hui. Il y a beaucoup de débats sur l'intervention d'acteurs internationaux et régionaux dans cette guerre. Le Yémen est devenu un champ de bataille des conflits régionaux et internationaux.
Le processus d'unification a été spontané et mal préparé
RT : Voyez-vous une force politique ou un individu au Yémen qui pourrait remettre la situation sous contrôle ?
A. M. : Je pense vraiment qu'une telle personne n'existe pas, parce qu'il y a beaucoup de forces et de centres de pouvoir différents au Yémen. Personne ne peut prendre le pouvoir au Yemen sans consensus national. Ensuite, il doit y avoir une entente entre les pays de la région. Les pays de la région ont pris part à la guerre, et doivent prendre part à sa résolution. Personne ne peut résoudre le problème seul. Je serai honnête avec vous : la décision ne concerne pas seulement le peuple yéménite. Une fois que les Yéménites vont trouver un consensus, ils devront atteindre un consensus avec les forces régionales et avec les Nations Unies.
Le Yémen est un pays sous supervision désormais. La Russie pourrait jouer un rôle dans le de processus de résolution du conflit.
RT : Est-il possible de diviser le pays une nouvelle fois ? Cela pourrait-il atténuer les tensions ?
A. M.: Le processus d'unification a été spontané et mal préparé. Dans les années 1990, j'avais parlé de «vol vers l'unification». Les dirigeants du Nord et du Sud avaient leurs problèmes. Ils pensaient que ces problèmes seraient résolus automatiquement après l'unification. Mais il n'y avait pas de fondement à ce processus d'unification. J'ai soutenu l'unification à l'époque, et je l'ai bénie. Cependant, l'unification n'aurait pas dû être orchestrée de cette façon. Il aurait fallu le faire progressivement. Quand j'étais président, j'ai fait des pas progressifs vers l'unification. Premièrement, il y avait des conflits armés entre le Nord et le Sud. J'ai mis fin à cette guerre. Deuxièmement, nous nous sommes engagés dans le dialogue. Nous avons mis en place des projets communs dans le domaine de la construction : routes, eau, énergie. Nous avons également mis en place le Conseil suprême yéménite, pour une meilleure coordination. Tout cela allait, progressivement, vers l'unification du Yémen.
Le fait diviser le pays à nouveau ne résoudra pas le problème
Quand j'ai quitté le pouvoir, ceux qui ont pris le contrôle à Aden après moi ont accéléré le processus d'unification. Mais quand il y a eu dispute avec le président Saleh en 1994, ils ont dit qu'ils allaient se séparer. La sécession a été soutenue par les Etats du Golfe mais elle n'a pas duré longtemps. Je me suis prononcé contre la guerre et j'ai dit en 1994 que le dialogue devait prévaloir dans les relations entre le Sud et le Nord. J'ai proposé une solution à l'époque : la création de deux régions, le Nord et le Sud. Ainsi aurait mis en place un Etat fédéral, comme vous l'avez aujourd'hui en Russie ou comme c'était le cas en Union soviétique. Malheureusement, ils ont rejeté ma proposition et cela a mené à une guerre qui a provoqué de profonds conflits au sein de la société, aux manifestations appelées par le Sud «manifestations pacifiques» et qualifiées à Sanaa de «Révolution des Jeunes».
Nous espérons que le Yémen pourra surmonter cette épreuve. Diviser le pays à nouveau ne résoudra pas le problème. J'ai proposé l'idée de créer une fédération si le peuple du Yémen le veut. Mais c'est aux Yéménites de décider.
RT : Que peut attendre le Yémen du nouveau président des Etats-Unis? Quel genre de politique américaine pourrait aider votre pays ?
A. M. : J'espère que le nouveau président et la nouvelle administration américaine nous aideront à trouver une solution pacifique aux conflits au Yémen, en Libye et au Moyen-Orient en général. Le Yémen n'est pas en mesure de se battre avec la nouvelle administration américaine. L'ancien secrétaire d'Etat américain, John Kerry, a visité notre région à plusieurs reprises. Il a rencontré les parties au conflit et a présenté ses propositions pour une solution au Yémen. Ses propositions ont été rejetées. Nous attendons de l'aide de la nouvelle administration. J'ai récemment rencontré des responsables américains et britanniques au Liban et leur ai demandé de nous aider à trouver une solution.
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